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Violences sexuelles et consentement

Evelyne JOSSE, 2024

L’affaire Pélicot a jeté un violent coup de projecteur sur la soumission chimique domestique. C’est l’occasion de s’interroger sur la notion de consentement. Il est évident qu’une personne inconsciente est dans l’incapacité de consentir à un rapport sexuel, mais suffit-il d’acquiescer pour consentir ?

Le consentement libre et éclairé

Les violences sexuelles sont commises sans qu’il y ait consentement libre et éclairé, mais qu’entend-on par « consentement libre et éclairé » ?

Consentir signifie accepter, approuver quelque chose. « Libre » désigne l’absence de contrainte et veut dire « choisi en toute liberté ». « Eclairé » indique que la personne a compris les conséquences et les enjeux de son choix. Une personne donne donc son consentement libre et éclairé lorsqu’elle pose un choix librement en pleine connaissance des conséquences et des enjeux.

Les enfants[1] et les handicapés mentaux ne peuvent choisir sur base volontaire et avec à-propos un mariage, des relations sexuelles, une excision, etc. Ces situations dépassent leur compréhension. Ils ne possèdent ni la maturité qui leur permettrait d’en saisir la signification ou l’enjeu ni d’en prévoir les conséquences à court et à long terme. Ils sont en outre dépendants de leurs tuteurs et ne sont donc pas en mesure de faire des choix en toute liberté (par exemple, ils n’ont pas la possibilité de fuir ceux qui les maltraitent).

Jessica a 14 ans. Elle fait régulièrement du baby-sitting chez son voisin de 35 ans qu’elle trouve formidablement beau. À son initiative, commencent un flirt, puis une relation sexuelle. À 19 ans, elle déclenche un syndrome de stress post-traumatique. Bien qu’elle soit à l’initiative de ce rapprochement sexuel, Jessica ne peut pas être considérée comme ayant eu un consentement éclairé, car elle ne pouvait pas prévoir les conséquences à long terme de cette expérience.

Une personne ivre ou droguée, que la consommation de substance psychoactive soit volontaire ou forcée, ne peut donner un accord libre et éclairé, car étant dans un état de conscience modifiée ou altérée, voire inconsciente, elle est incapable mentalement de comprendre la situation. Si la victime a ingéré à son insu du GHB/GBL, de la MDMA (ecstasy), des benzodiazépines ou d’autres substances psychoactives, même si elle semble adhérer à la rencontre sexuelle, par exemple sous l’effet désinhibiteur du produit, il ne s’agit en aucun cas d’un consentement, la désinhibition n’étant qu’un effet de la substance. Dans le chemsex, les participants sont conscients qu’ils vont consommer des substances psychoactives impactant leur discernement et qu’ils auront des rapports sexuels avec différents partenaires. Toutefois, il est fréquent que certains s’estiment victimes de viol parce qu’ils n’ont pu s’opposer à des rapports sexuels en raison des effets des drogues consommées. Les victimes se sentent souvent coupables lorsqu’elles ont consommé volontairement de l’alcool ou de la drogue et que ces substances ont entraîné une baisse de vigilance antérieure à l’agression. Rappelons que le problème n’est pas leur comportement ou leur attitude, mais bien les intentions malveillantes des agresseurs.

Dans de nombreuses situations, les femmes ne sont pas non plus en position d’accepter une situation de plein gré et en connaissance de cause.

Laurence se plie sans protester aux désirs sexuels déviants de son mari par crainte d’être battue.

Nelle accepte de se livrer à une pratique sexuelle qui la rebute, l’échangisme, non parce qu’elle y prend plaisir, mais parce qu’elle appréhende de décevoir son époux. Elle évite toute situation qui fragiliserait son mariage, car elle redoute la solitude.

Jeannette, une femme de 25 ans résidant dans l’est de la République du Congo, mère de trois enfants en bas âge, se retrouve veuve. Sa belle-famille lui propose d’épouser le frère cadet de son défunt mari[2] afin qu’elle puisse rester en possession de ses biens (parcelle cultivable et logement)[3]. Même si elle n’éprouve pas le désir d’épouser son beau-frère, Jeannette accepte.

Espérance, une jeune burundaise, apprend avec étonnement que ses collègues européens qualifient de viol le rapport sexuel forcé assorti de coups et blessures commis la veille par son mari.

Les violences sexuelles sont commises sans qu’il y ait consentement libre et éclairé. Même si les victimes, enfants ou adultes, semblent adhérer à la situation, il ne s’agit pas d’un réel consentement dans la mesure où elles se plient aux exigences de l’agresseur sous la contrainte (crainte des représailles ou d’être abandonnée, pressions sociales incitant à respecter les usages de la communauté, nécessité d’assurer sa survie et celle de sa progéniture, chantage, etc.), parce qu’elle a été dupée, parce qu’elle méconnait la gravité de la situation, etc.

Le victim blaming et le consentement

On parle de « victim blaming » ou de « faute sur la victime » lorsque les victimes sont tenues pour responsables, entièrement ou partiellement, des agressions qu’elles ont subies. Le déplacement de la faute de l’agresseur sur la victime est fréquent : cette dernière avait trop bu ou consommé des drogues, elle ne se rappelle plus avoir donné son consentement à l’acte sexuel, elle a séduit l’agresseur, elle fait des problèmes pour rien en exagérant la gravité de faits anodins, elle ment, etc. Elle est une mauvaise victime, une victime coupable.

Contrairement à d’autres types d’agression, la parole des victimes de violences sexuelles est souvent remise en cause. Par exemple, personne n’aurait l’idée de suspecter de mensonge ou d’exagération une personne qui déclarerait avoir été délestée de ses biens lors d’un vol, pas plus qu’on ne lui reprocherait de l’avoir « bien cherché » et moins encore d’y avoir consenti. La mise en cause de la parole des victimes porte souvent sur le consentement : « Était-ce vraiment un viol ou étiez-vous consentante ? ».

« J’ai porté plainte deux jours plus tard, j’ai été extrêmement choquée de l’interrogatoire de la police où on m’a répété et répété que j’avais trop bu et que je ne me rappelais pas de lui avoir dit oui !!! »

La mise en avant d’un prétendu consentement est un moyen fréquemment mis en avant par les agresseurs pour se disculper : « Elle était consentante ».


[1] Les Nations Unies entendent par « enfant » tout être humain âgé de moins de 18 ans.

[2] Dans certaines cultures, lorsqu’un homme marié décède, son frère hérite de son ou de ses épouses. On nomme cette pratique « lévirat ».

[3] Dans certaines cultures, les femmes n’héritent pas des biens de leur défunt époux, son héritage revenant à sa famille d’origine jusqu’à la majorité de ses fils.

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