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Soumission chimique, qui sont les victimes et quelles sont les situations à risque ?


(Dernière mise à jour le 29/04/2022)

L’article complet Josse E. (2022). « GHB, GBL et autres drogues du viol et d’escroquerie : effets, conséquences et prévention » est sur http://www.resilience-psy.com/spip.php?article520

De plus en plus de faits de soumission chimique défrayent la chronique. Dans le premier article, nous avons brossé le portrait du GHB et du GBL et de leurs effets. Dans le second, nous avons parlé des autres drogues servant aux malfrats à soumettre leurs victimes et nous avons fait un point sur la loi en Belgique et en France concernant la soumission chimique. Dans le présent, nous abordons le mobile et le profil des agresseurs ainsi que les situations à risque. Dans le prochain, nous verrons comment se protéger de l’ingestion forcée de drogue.

Qui sont les victimes ?

Les buts de la soumission chimique sont généralement les agressions sexuelles et le vol. Toutefois, dans certains cas, le mobile des agresseurs ne peut être identifié, la victime n’ayant fait l’objet d’aucune tentative de viol ni de vol. Par exemple, dans les récentes affaires de piqûres signalées lors de concerts au Printemps de Bourges et dans des discothèques, notamment à Béziers, Grenoble, Périgueux ou Nantes, le motif des auteurs reste mystérieux.

Des victimes de violence sexuelles

Les victimes d’agressions sexuelles commises en état de soumission chimique sont majoritairement des jeunes filles et des femmes de moins de 30 ans, célibataires et sans enfants. Toutefois, des violences sexuelles sur des hommes, commises à l’aide de ces drogues, sont également signalées.

Des victimes d’escroquerie

Si ces procédés profitent aux violeurs, ils sont également rentables pour les voleurs et les escrocs de tous poils. Ainsi, les témoignages recueillis par BalanceTonBar montrent que des femmes ont été délestées de leurs biens après avoir été droguées et violées.

Des hommes d’affaires fréquentant les bars lors de leurs séjours à l’étranger, notamment dans les hôtels où ils séjournent seuls, sont régulièrement détroussés après avoir été drogués par des clients peu ordinaires. Sous l’effet de la substance psychoactive, la victime paraît saoule ; aux yeux de tous, l’agresseur semble lui prêter une main secourable pour la ramener chez elle ou dans sa chambre d’hôtel. À tire d’illustration, en novembre 2011, à Paris, quatre hommes ont été placés en garde à vue pour vol en bande organisée, usage frauduleux d’un moyen de paiement et administration de substance nuisible, en l’occurrence du GHB. Ils étaient soupçonnés d’avoir drogué, puis dévalisé, 14 victimes transportées en véhicule avec chauffeur2 légère. 90% d’entre eux se situent dans le registre d’une certaine normalité psychique. 60% des viols sont commis par des hommes intégrés socialement, en couple et ayant des enfants3. Une étude menée en 2016 par Massil Benbouriche dans le cadre de sa thèse5. Après avoir ajouté le GBL au panier, l’acheteur est invité à remplir un formulaire dans lequel il lui est demandé quelques informations d’ordre général. Celui-ci complété, il reçoit le message : « Ceci n’est pas un site d’achat » ainsi qu’une liste des risques liés à la consommation du GBL et des sanctions encourues. Un autre site lancé par l’association en 2019, proposant des drogues de synthèse altérant la conscience, a piégé plus de 20.000 utilisateurs. Selon Play Safe, les acheteurs sont des hommes âgés entre 30 et 40 ans. Lorsqu’ils parviennent à se procurer ces substances, ces derniers peuvent les utiliser à des fins personnelles ou les revendre, notamment à des personnes plus jeunes.

Dans le cas des agressions chimiques commises dans des lieux festifs, les agresseurs peuvent faire partie du personnel, comme ce fût le cas dans certains bars et boîtes de nuit de Bruxelles, et être de la même tranche d’âge ou sensiblement plus âgés que leurs victimes. Lorsqu’il s’agit de clients, ils sont d’une tranche d’âge équivalente et d’un milieu socio-culturel similaire à celui des victimes. Dans le cas contraire, ils rencontreraient davantage d’obstacles à s’approcher de leur proie. Par exemple, un « vieux » de 60 ans dans un bar fréquenté par les jeunes risque de se voir refuser l’entrée par les videurs ou d’être tenu à l’écart par les clients. D’une façon générale, plus une personne s’identifie à une autre (par l’âge, le milieu social, culturel, etc.), plus elle se sent en confiance et plus elle se laisse approcher ; plus elle se sent différente, plus elle se tient à l’écart. Certes, des personnes très différentes se côtoient chaque jour, mais le rapprochement est souvent induit par des facteurs socialement codifiés : l’école, le travail, le commerce (comme, par exemple, entre clients et personnel de bar), etc. Les violeurs sont donc des personnes auxquelles les victimes peuvent s’identifier ou identifier leurs pairs masculins, et c’est probablement là un des aspects choquants de la situation. Les violeurs des bars et des boîtes de nuit, ce sont les connaissances, les amis, les frères, c’est monsieur Tout-le-monde.

Dans les films d’animation et dans les bandes dessinées, les méchants sont reconnaissables, ils sont vêtus de noir, ils sont laids, ils ont le regard mauvais. Cette vision dichotomique du monde divisé en bons et en méchants ne correspond pas à la réalité. Celle-ci est largement plus complexe. Dans la vie réelle, les bons ne sont pas tout bons et les mauvais ne sont pas tout mauvais. Sur la page Instagram de BalanceTonBar Belgique, on peut lire les propos incrédules d’une femme réagissant au témoignage d’une victime : « Franchement, je suis assez dubitative. (…) Il (l’agresseur incriminé) a peut-être une réputation de queutard, mais du peu que je le connaisse, il est plutôt bienveillant. Je l’ai déjà vu gérer une situation avec des relous qui saoulaient ma pote. Il a fait ça tout bien, avec tact, sans arrière-pensée et sans se la jouer alpha protecteur. On peut se tromper, mais ça sent la mauvaise rumeur infondée cette histoire… ou alors, un règlement de compte. » Lorsque nous réfléchissons rationnellement, la plupart d’entre nous admettent l’idée que les agresseurs ne sont pas des monstres facilement repérables. Mais, lorsqu’un violeur, un père incestueux ou un meurtrier est démasqué, notre réaction spontanée révèle nos croyances naïves inconscientes, les gentils ne peuvent pas être méchants : « Non, ce n’est pas vrai, lui qui est si serviable, toujours prêt à rendre service ! », « Il était si gentil, je ne peux pas y croire. », « Je le bien connais, ce n’est pas possible. »

Un grand nombre d’agresseurs sexuels ayant pour mode opératoire la soumission chimique sont des multirécidivistes. Dans certains cas, leurs agissements semblent connus de leur entourage, sans qu’ils soient inquiétés, comme c’est le cas pour certains personnages connus de la vie nocturne bruxelloise et de leurs employés. L’impunité dont ils jouissent les incite à poursuivre leurs méfaits.

Notes et références

  1. Le Figaro « Il dévalisait ses victimes droguées au GHB : l’auteur et ses trois complices interpellés ». Publié le 26/11/2021 à 19:12, mis à jour le 27/11/2021 à 08:56. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/il-devalisait-ses-clients-drogues-au-ghb-un-chauffeur-et-trois-complices-interpelles-20211126%5B/efn_note%5D.
    « J’ai été droguée au GHB ou GBL dans un restaurant. Je n’ai pas subi de violence sexuelle, donc, en plus, personne ne me croit… On pense à tentative de vol, car le but était de nous droguer, mon ami et moi. On avait une chambre d’hôtel au même endroit. »

    Quelles sont les situations à risque ?

    Les agresseurs commettent généralement leurs méfaits dans les lieux de distraction collective : débits de boisson, club, discothèques, rave party, soirées privées, concerts, festivals, etc.

    Une jeune femme est sortie danser en boîte de nuit. Elle n’a bu qu’un verre de vin. Elle se sent mal, elle sort et se dirige vers le parking où son véhicule est garé. Deux hommes la suivent. Lorsqu’elle actionne le déverrouillage central, ils la poussent sur le siège arrière. Tandis que l’un d’eux prend place à ses côtés, l’autre conduit, les amenant jusqu’à son domicile. Ils ont trouvé l’adresse sur ses papiers d’identité glissés dans son sac à main. Ils partiront avec la voiture et seront interceptés par la police quelques jours plus tard. Elle ne conserve aucun souvenir de l’événement après qu’ils l’aient contraintes à prendre place sur la banquette arrière.

    Une jeune fille de 18 ans fête la fin de ses études avec ses amis de classe. Des jeunes inconnus se sont invités. À un moment, elle se sent incommodée par la chaleur. Elle sort prendre l’air… et se réveille dans le petit bois derrière la salle des fêtes. Elle n’a plus de pantalon, sa culotte est remise à l’envers et est pleine de feuilles mortes. Elle n’a aucun souvenir de l’agression. Le recoupement des témoignages de ses amis laisse penser qu’elle a été violée par deux ou trois jeunes. Les agresseurs ne seront jamais retrouvés.

    Une jeune femme est avec des amis dans un bar. Elle descend aux toilettes, puis c’est le black-out. Elle se réveillera déculottée, sans savoir ce qui lui est réellement arrivé.

    D’autres situations avec des inconnus avec lesquels la victime sympathise peuvent se révéler à risque.
    Une jeune femme loue une chambre dans un Airbnb. Elle sympathise avec le logeur. Ils passent la soirée ensemble. Ils boivent, ils s’amusent, ils rient. Le lendemain, elle se réveille et éprouve une sensation bizarre au niveau de son sexe. Elle ne se rappelle de rien, elle se pose des questions, mais celles-ci restent sans réponse. Quelques mois plus tard, elle est convoquée à la police. Elle apprend qu’elle a été violée lors de cette soirée. D’autres femmes ont été victimes. L’une d’elles a porté plainte. L’ordinateur de l’agresseur a été saisi et ses mails ont été consultés. Dans l’un de ceux-ci, il se vantait auprès d’un ami de l’agression dont il s’était rendu coupable sur sa personne.

    Plus rarement, les faits se déroulent au domicile de la victime ou de l’agresseur lorsque ce dernier, après avoir entretenu avec sa proie une relation virtuelle sur Internet, réussit à décrocher un premier rendez-vous galant. Ce type de viol est connu sous l’appellation « date rape » en anglais.
    Une femme d’une quarantaine d’années a rencontré un homme sur Internet. Ils se donnent rendez-vous dans un café pour faire connaissance. Elle se sent dans un étrange état et se laisse embarquer par son agresseur qui la ramène chez lui.

    Le violeur peut également être une connaissance et l’agression peut se dérouler au domicile de la victime.

    Une jeune femme a invité son voisin à prendre l’apéro. Profitant probablement d’une courte absence en cuisine ou aux toilettes, il verse du GHB dans son verre. Il la violera sans qu’elle ne puisse réagir. La dose de drogue étant faible, elle conserve des souvenirs de l’agression qu’elle a subie sans qu’elle n’ait pu se défendre. « Mon corps était tout mou. J’étais incapable de bouger. J’étais complètement impuissante. » témoignera-t-elle.

    « J’ai été violée, sous GHB, le 1er décembre 2019, à mon domicile lors d’une soirée entre collègues. J’avais 49 ans lors de cette soirée, le collègue était âgé de 33 ans. »
    Une jeune femme est invitée chez son frère qui a organisé une soirée privée avec quelques copains. À un moment, elle se sent bizarre. Ses pensées sont confuses et elle chancelle sur ses jambes. Un copain de son frère la soutient et l’emmène dans une chambre où il la viole. Elle se souvient du sourire de son frère qui les regarde partir sans réagir et qu’elle suspectera de complicité.

    Dans des cas exceptionnels, le ou les agresseurs se sont introduits illicitement dans le domicile de la victime.
    Une femme se réveille chez elle, les pieds et les mains ligotés avec ses bas nylon. Elle n’a aucun souvenir de ce qui s’est passé. Les deux agresseurs ont volé son ordinateur et c’est grâce à ce dernier que la police pourra les localiser et les arrêter.

    Qui sont les violeurs recourant à la soumission chimique ?

    Dans de rares cas, le viol est le fait d’un pervers sexuel (comportement stéréotypé transgressif pour parvenir à la satisfaction sexuelle) ou d’un schizophrène paranoïde. Mais, la plupart des agresseurs, quel que soit leur modus operandi, sont indemnes de pathologie mentale caractérisée et ne présentent qu’une psychopathie1La psychopathie est un trouble de la personnalité. Elle se caractérise notamment par un manque d’empathie ou de compassion à l’égard des autres ainsi que par une difficulté à respecter les normes sociales.

  2. Fédération Française de Psychiatrie (2001).5ème Conférence de consensus de la Fédération Française de Psychiatrie : Psychopathologies et traitements actuels des auteurs d’agressions sexuelles, p.113-115
  3. Benbouriche M. (2016). Étude expérimentale des effets de l’alcool et de l’excitation sexuelle en matière de coercition sexuelle. Psychologie. Université Rennes 2. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01397177/document%5B/efn_note%5D révèle que 30% des hommes pourraient violer une femme s’ils étaient certains de ne pas encourir de poursuites. Des résultats qui donnent froid dans le dos…

    Pour piéger les violeurs utilisant la soumission chimique, l’association parisienne Play Safe a mis en ligne un site factice vendant du GBL. En deux ans, près de 10.000 tentatives de commande ont été comptabilisées4Thomas E. (2022). Pour piéger les violeurs, un site factice « vend » une molécule de GHB. Néon. Le 26.04.2022 à 03h35 Modifié le 27.04.2022 à 13h11. https://www.neonmag.fr/pour-pieger-les-violeurs-un-site-factice-vend-une-molecule-de-ghb-558535.html

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