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Violences sexuelles et abus de pouvoir

Evelyne JOSSE, 2024

Dans les récentes affaires concernant l’abbé Pierre et Mohammed Al Fayed, le lien entre violences sexuelles et abus de pouvoir est évident. Mais plus étonnant, comment Dominique Pélicot, mari, père et grand-père aimant, a-t-il pu perpétrer des actes aussi monstrueux que le viol organisé en réunion de son épouse ? Et pourquoi ? Pour assouvir un besoin sexuel ? Dans cet article, nous rappelons que les agressions sexuelles sont toujours un abus de pouvoir, les outils du pouvoir allant de la contrainte à la ruse en passant par l’intimidation, le chantage, etc.

Lorsque des gens ordinaires commettent des actes d’une violence extrême, nous sommes amenés à nous poser des questions. Dans les films d’animation, les jeux vidéo et les bandes dessinées, les méchants sont reconnaissables, ils sont vêtus de noir, ils sont laids, ils ont le regard mauvais. Cette vision dichotomique du monde divisé en bons et en méchants ne correspond pas à la réalité. Celle-ci est largement plus complexe. Dans la vie réelle, les bons ne sont pas tout bons et les mauvais ne sont pas tout mauvais. Avec le drame qui frappe Gisèle Pélicot et sa famille, nous faisons le surprenant constat qu’il ne faut pas être un monstre pour commettre un acte monstrueux, qu’il ne faut pas être un barbare pour perpétrer un acte barbare, qu’il ne faut pas être le mal absolu pour faire le mal absolu. Nous sommes face à la banalité du mal, comme le dit Hannah Arendt.

Le viol peut être le fait d’un pervers sexuel (comportement stéréotypé transgressif pour parvenir à la satisfaction sexuelle), mais la plupart des agresseurs sont indemnes de pathologie mentale caractérisée (quelques cas de schizophrénie paranoïde) et ne présentent qu’une psychopathie légère. 90 % se situent dans le registre d’une certaine normalité psychique ! 60 % des viols sont commis par des hommes intégrés socialement, en couple et ayant des enfants ! Des chiffres qui font froid dans le dos…

Les agressions sexuelles ne peuvent se réduire à la simple recherche d’une satisfaction physiologique des besoins sexuels de l’agresseur. Les violeurs n’ont pas besoin de soumettre leurs victimes pour avoir des rapports sexuels ; ils optent délibérément pour des rapports forcés, sans échange ni sensualité, avec des femmes non consentantes, voire complètement inconscientes. Leur objectif est avant tout d’asseoir leur pouvoir et leur domination.

Le pouvoir et l’abus de pouvoir

Le pouvoir est la faculté, la capacité ou la possibilité dont disposent certaines personnes d’appliquer des décisions ou de les imposer aux individus subissant leur autorité physique, affective, intellectuelle, psychologique, sociale, économique, politique, morale ou spirituelle.

Une personne abuse de son pouvoir lorsqu’elle commet des actes qui dépassent ses droits ou ses attributions[1]. Les agressions sexuelles constituent un abus de pouvoir. L’agresseur utilise l’une ou l’autre forme de pouvoir pour contraindre la victime.

Le pouvoir physique. Une personne possède un pouvoir physique sur autrui lorsqu’elle est avantagée par sa taille (être plus grand, plus lourd), sa force (être plus fort, être plus nombreux), la possession ou l’usage d’armes, etc.

Le pouvoir affectif. Un individu possède un pouvoir affectif sur ses proches qui désirent conserver son affection. En effet, la victime, adulte (par exemple, une épouse) ou enfant, éprouve davantage de difficultés à s’opposer à une personne qu’elle apprécie et qu’elle craint de décevoir, d’offenser, de fâcher, etc.

Le pouvoir intellectuel. Une personne domine intellectuellement lorsque ses connaissances, ses expériences et/ou sa capacité de réflexion lui permettent d’exercer une emprise intellectuelle sur autrui. L’adulte domine aisément un enfant en le manipulant, en le surprenant et en argumentant son comportement ou des décisions, y compris par des théories fallacieuses. Dans de nombreux pays, les femmes ont un accès réduit à l’instruction, ce qui les déforce face à leurs pairs masculins.

Le pouvoir social. Un individu a une position dominante lorsqu’il occupe au sein de la société une fonction influente telle qu’une charge administrative, politique, militaire, traditionnelle (chef coutumier, notable), religieuse ou éducative.

D’une manière générale, l’adulte est perçu comme détenteur d’autorité par l’enfant. Ceci est d’autant plus vrai lorsque ses fonctions lui confèrent une ascendance légitime (parent, enseignant, éducateur, responsable d’organisations de loisirs, policier, etc.). Dans certains contextes, en particulier les situations de conflit, de post-conflit, de migration et de déracinement, les femmes sont fréquemment la cible de personnes devant assurer leur protection ou leur bien-être (militaires, responsable de la distribution de l’aide alimentaire, etc.).

Durant la guerre, Ellen, une jeune femme libérienne a accepté un rapport sexuel avec un militaire pour obtenir un droit de passage à un check-point.

Rose, une résidente d’un camp de déplacés aux abords de Goma, dans la province du nord Kivu, en République Démocratique du Congo, a eu une relation sexuelle avec un responsable de la distribution d’aide alimentaire en échange de nourriture.

Une Congolaise, abandonnée par son mari, a été arrêtée et incarcérée arbitrairement par le juge auquel elle s’était adressée pour entamer la procédure de divorce. Il l’a libérée après qu’elle ait accepté de se donner à lui.

Dans la plupart des sociétés, l’homme a une position dominante par rapport à la femme. En effet, ils occupent généralement une situation pourvue d’un plus grand pouvoir que leurs pairs féminins tant dans le domaine privé (conjugal, familial) que publique (économique, politique, culturel, social).

Lili, une jeune employée, est victime du harcèlement sexuel de son patron. Au terme de chacun de ses contrats à durée déterminée, il en négocie le renouvellement contre des faveurs sexuelles.

Dans de nombreux endroits du monde, la culture et la tradition renforcent, cautionnent, légitiment et tolèrent la violence envers les enfants et les femmes. Dans ce cas, les abus ont moins pour origine l’autorité individuelle d’une personne que des idéologies véhiculant la suprématie masculine. Les hommes abusant de leur pouvoir sont convaincus d’agir en toute légitimité.

Jules, un grand gaillard congolais, déclare à la conseillère psychosociale : « Mais, pourquoi dis-tu que je dois laisser ma femme tranquille quand elle est malade ? Je suis un homme, j’ai des besoins et j’ai payé la dot ! »

Le pouvoir économique. Une personne possède un pouvoir économique sur autrui lorsqu’elle contrôle l’accès aux biens, aux services, à l’argent, aux faveurs, etc. Les enfants dépendent pour leur survie de leurs tuteurs. De même, dans de nombreuses contrées, les femmes dépendent économiquement de leur mari.

Le pouvoir politique. Un individu a du pouvoir politique lorsqu’il occupe une fonction politique ou lorsque les lois le discriminent favorablement (par exemple, hommes avantagés par rapport aux femmes).

Le pouvoir moral et spirituel. Il est reconnu un pouvoir moral et spirituel aux personnes qui au sein d’une communauté civile, culturelle, philosophique ou religieuse sont présumées détenir la vérité quant à la doctrine, la morale (le bien et le mal), la discipline (règles de conduite), etc. Elles disposent d’une influence sur leurs ouailles, fidèles ou adeptes en raison des connaissances et prescience qu’on leur suppose ainsi que du respect qu’elles inspirent. En Occident, les sectes religieuses défrayent régulièrement la chronique par les dérives sexuelles prônées par leur gourou (promiscuité sexuelle, pédophilie, inceste, incitation à la débauche, etc.)[2]. Actuellement, les agissements coupables de l’abbé Pierre bouleversent la communauté catholique. Dans les sociétés traditionnelles, des sorciers ordonnent aux clients qui les consultent de commettre des agressions sexuelles pour les délivrer de leur malheur, leur porter chance ou leur assurer une protection magique.[3]

Une personne peut être vulnérable par rapport à une forme spécifique d’abus de pouvoir. Par exemple, une femme peut être dans l’impossibilité de rivaliser de force avec un violeur corpulent, mais partager sa vie avec un époux respectueux, posséder un diplôme universitaire, être chef d’entreprise, s’assumer financièrement et assurer une charge politique au sein de sa commune. Cependant, il est fréquent qu’une personne ou un groupe de personnes subissant un type d’abus soit dans une situation précaire vis-à-vis de diverses formes de pouvoir. Reprenons le cas de Jeannette, la jeune veuve congolaise de 25 ans, mère de trois enfants, prête à épouser son beau-frère. La famille de son défunt mari possède un pouvoir social, celui que lui confère la coutume (tradition du lévirat, le fait que les femmes n’héritent pas des biens de leur époux) ainsi qu’un pouvoir économique, car elle contrôle l’accès aux biens de sa bru. Le pouvoir spirituel est également de son côté, Jeannette craignant de mourir si, selon une croyance populaire largement répandue dans sa communauté, elle n’entretient pas une relation sexuelle avec son beau-frère après la mort de son époux.

Les agressions sexuelles sont un abus de pouvoir. En effet, quel que soit le modus operandi de l’agresseur, la victime agit contre son gré. Pour parvenir à ses fins, l’assujettir à son désir ou à sa volonté, tirer un profit ou un bénéfice quelconque, imposer ses normes et/ou pour s’assurer de son silence, l’agresseur abuse de sa position dominante. La victime, enfant ou adulte, est contrainte de se comporter comme il le veut ou de faire ce qu’il lui propose. Elle cède à son pouvoir sans pour autant y consentir. Elle se soumet :

  • parce qu’elle ne dispose pas des moyens physiques suffisants pour le repousser : force, poids, arme, etc.
  • parce qu’elle n’est pas en possession des moyens moraux nécessaires pour affronter la situation : son immaturité, son handicap ou son état de conscience ne lui permet pas de différencier le bien du mal, de comprendre la situation ou de s’opposer à ses tuteurs, elle ignore les possibilités d’aide et de recours, elle méconnait ses droits et/ou est dans l’impossibilité de les faire valoir, etc.
  • par crainte des conséquences si elle ne s’exécute pas : elle appréhende les coups et autres brutalités, elle craint d’être tuée, elle redoute de perdre de l’amour ou l’estime de l’auteur et/ou ses proches, etc.
  • pour survivre : elle dépend de l’agresseur en raison de son jeune âge ou d’un handicap et ne peut s’assumer seule, elle se soumet pour obtenir des moyens de subsistance tels que nourriture, abri ou protection.

Immaculée, une rescapée du génocide perpétré au Rwanda en 1994 raconte : « Il a tué ma famille et moi, il a décidé de me garder. Il m’a cachée chez lui… C’était un tout petit réduit. J’étais recroquevillée. Je ne pouvais même pas me coucher et encore moins me lever. J’avais l’impression d’étouffer. J’avais mal partout parce que je ne pouvoir pas trop bouger. Et il me violait après avoir tué ma famille, mes voisins, mes amis… Je ne voulais pas mourir. Maintenant, je me demande pourquoi. On est comme des animaux. On pense à survivre. Si j’avais essayé de m’enfuir, ils m’auraient tuée. Et à ce moment-là, je ne pensais qu’à ça : vivre. Maintenant, je préférerais être morte, mais Dieu a décidé autrement. Il n’a pas voulu de moi… »

  • parce qu’elle a été dupée : sa vigilance a été endormie par le discours de l’agresseur, un piège lui a été tendu, ses velléités de résistance ont été annihilées par une substance psychoactive, etc.

Sophie se remémore : « Mon grand-père me disait qu’il m’aimait et que j’étais sa petite préférée. Il me disait que ces caresses qu’il me faisait, c’était pour me faire plaisir à moi et que toutes les femmes aiment ça. Puis en grandissant, ça m’a rendue dingue. Comment avais-je pu être aussi stupide ? Il me disait que je ne devais rien dire, que c’était notre secret à nous deux, que j’étais une grande fille et que j’étais assez intelligente que pour pouvoir garder un secret. Il disait des trucs du genre qu’il n’y a que les petites sottes qui ne savent pas tenir leur langue… Je me suis fait avoir. »

Amina, une Guinéenne, expose : « Mon père est mort. J’avais 14 ans. J’ai été vivre chez ma tante, mais elle, elle voulait me marier rapidement. Elle voulait se débarrasser de moi. J’étais une bouche en trop à nourrir. Elle m’a tendu un piège pour m’amener au bord de la rivière. C’est là qu’on fait l’excision. Elle a dit qu’elle avait quelque chose à me monter et que j’allais être très contente. Elle ne voulait pas dire quoi. Elle disait que c’était une surprise. Alors, je l’ai suivie… Après, je me suis enfouie à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Je ne voulais pas me marier avec l’homme qu’elle avait choisi pour moi. Il avait l’âge de mon père. Il était déjà homme marié une première fois et il avait deux enfants. »

Josiane témoigne : « On est arrivé chez les amis de mon mari. Lui, c’est un de ses gros clients. Au début, c’était un repas tout à fait normal. À un moment, la femme a dit : “Je vais me mettre à l’aise”. Elle est partie quelques minutes et elle est revenue en sous-vêtements avec des porte-jarretelles. Je me suis vraiment demandé où j’étais tombée. Personne n’avait l’air étonné, sauf moi. J’ai compris que j’étais tombée dans un traquenard. Le mari s’est levé et s’est approché de moi, il s’est retourné vers mon mari et lui a demandé : “Tu permets” ? ». Mon mari a répondu avec un grand sourire : « Mais je t’en prie, on est là pour ça ! Et ne t’inquiète pas, je vais bien m’occuper de ta femme ! » Tout le monde a ri, sauf moi. Ils étaient complices. Tout avait été prévu à l’avance. Quand on en a discuté plus tard, mon mari m’a dit : « Si je te l’avais demandé, tu aurais dit “non”, mais je savais que mise au pied du mur, tu n’oserais rien dire. J’avais envie de baiser sa femme et lui avait envie de te baiser, ça tombait bien ! » J’ai envie de quitter mon mari, mais je suis coincée. Je travaille avec lui dans son entreprise. Si je le quitte, je n’aurai droit à rien. Je vais me retrouver sans rien ».

Isabelle a 18 ans. Accompagnée de deux amies, elle se rend au bal organisé par son école pour fêter la fin du cycle scolaire. Elle se rappelle être au bar avec ses copines et deux garçons étrangers à l’établissement scolaire puis, plus rien jusqu’au lendemain matin si ce n’est un flash : elle marche dans un bosquet. Elle sera retrouvée deux heures plus tard, hagarde, le pantalon à l’envers et sans sous-vêtements. Isabelle a été violée. Elle n’en a aucun souvenir. 

Les outils de l’abus de pouvoir

L’abus de pouvoir implique l’usage abusif d’un avantage conféré à une personne ou à un groupe de personnes dans une relation donnée. Les moyens utilisés par les agresseurs pour assujettir la victime ou la contraindre au secret sont multiples et variés : coercition physique, psychologique, affective, sociale, morale, économique, intellectuelle, etc. La liste proposée ci-dessous n’est pas exhaustive. De plus, les différents procédés sont parfois intimement intriqués. Par exemple, pour soumettre chimiquement sa victime, l’agresseur recourt à la ruse ; pour l’asservir par la menace, il peut abuser d’une position dominante ; ses pressions psychologiques sont d’autant plus efficaces qu’elles mêlent chantage et manipulation affectives, etc.

L’agression physique. Une personne peut se rendre maître d’une autre en l’agressant physiquement. En raison des douleurs et par crainte des dommages corporels, les femmes et les enfants s’inclinent généralement devant l’agresseur qui recourt à la violence physique (coups, étranglement, torture, usage d’une arme, etc.). L’agression est rentable pour l’auteur puisqu’il atteint son objectif, ce qui favorise fréquemment le renforcement de son comportement (violence sexuelle conjugale et intrafamiliale, viols des « prédateurs » sexuels, etc.).

La contrainte physique. L’agresseur peut user de sa suprématie physique (robustesse, poids, taille) et contraindre sa victime par la force. La plupart des femmes sont dans l’impossibilité d’offrir une résistance efficace devant un homme déterminé à les contrôler pour les violer. Un adulte ne rencontre souvent aucune difficulté à immobiliser un enfant pour abuser de lui, le mutiler sexuellement, etc.

La soumission chimique. Pour parvenir à ses fins, l’agresseur peut soumettre sa victime en lui administrant à son insu une substance psychoactive en la diluant dans sa boisson ou en la mélangeant à sa nourriture.

Le chantage par la menace. Pour asservir ou réduire la victime au silence, l’agresseur peut utiliser sa capacité à l’impressionner ou à l’effrayer en lui laissant présager des châtiments physiques ou psychologiques. Il peut, par exemple, menacer :

  • de la tuer ou d’exécuter un de ses proches : « Si tu ne te laisses pas faire, je te tue », « Si tu n’acceptes pas, je tue ton enfant ».
  • de la blesser physiquement ou de s’attaquer à son entourage : « Si tu cries, je te casse les dents », « Si tu racontes ce qui est arrivé, je me vengerai sur ta famille ».
  • de la persécuter : « Si tu ne te montres pas coopérative, je reviendrai accompagné de mes amis », « Si tu parles, je reviendrai m’occuper de toi ».
  • de la déchoir de ses droits ou de ses privilèges : « Si tu n’obtempères pas, je te renvoie de cet établissement scolaire », « Si tu ne fais pas ce que je dis, n’espère pas obtenir les notes scolaires requises », « Si tu ne te montres pas conciliante, ne t’étonne pas de perdre ton emploi », « Si tu racontes ce qui s’est passé, aucun homme ne voudra t’épouser », « Si tu ne m’accordes pas cette petite faveur, tu pourrais croupir longtemps dans cette prison ».
  • d’orchestrer son déshonneur, son rejet ou la colère de ses proches en diffusant des informations compromettantes, des rumeurs ou des fausses allégations : « Si tu parles de ce qui s’est passé entre nous, je raconterai des horreurs à ton sujet sur Internet et tu deviendras la risée de l’école », « Si tu révèles cela à ta mère, elle ne te croira pas. Elle pensera que tu mens et elle cessera de t’aimer ».

Plusieurs années durant son adolescence, Caroline a été violée par le mari de sa sœur aînée. Lorsqu’elle se rebiffait, il la menaçait de révéler à sa mère les amourettes qu’elle entretenait avec un garçon de son âge. Craignant les représailles de cette femme violente pour qui tout était prétexte à la battre, Caroline se soumettait aux fantasmes sexuels les plus pervers de son beau-frère. Lorsqu’elle le défiait de dévoiler ses comportements coupables, il se moquait d’elle lui disant qu’elle y gagnerait d’être traitée de menteuse et d’être punie en conséquence, car sa mère n’accorderait aucun crédit à ses absurdes propos.

Le chantage par la promesse d’un bénéfice substantiel. Une personne aux abois peut s’incliner devant l’agresseur qui marchande des faveurs sexuelles en échange d’une protection (« Si tu couches avec moi, j’empêcherai les autres de te violer, de te tuer »), d’un abri, de nourriture, d’un emploi, d’une réussite scolaire, etc.

La contrainte morale par abus de position dominante. En raison d’une position sociale dominante, l’agresseur peut exercer une contrainte morale à l’endroit d’une personne pour l’inciter à accomplir un acte quelconque contre son gré. Par exemple, un juge, un policier, une autorité administrative ou un militaire peut abuser de sa situation d’autorité pour négocier une relation sexuelle contre l’abandon de poursuites ou la libération de la victime ou d’un de ses proches, le passage d’une frontière ou d’un check-point, des documents légaux importants, etc. Pour exploiter une personne à son avantage, l’agresseur peut également user des prérogatives dont il jouit quant à l’accès à des ressources essentielles. Par exemple, dans les camps de réfugiés et de déplacés, les responsables de l’enregistrement et la distribution (vivres, biens de consommation, etc.) occupent des postes qui leur permettent de monnayer des gratifications sexuelles contre de la nourriture.

L’intimidation psychologique. Un agresseur peut contraindre une personne en recourant aux brimades, aux humiliations (dévalorisations, injures, etc.), aux sarcasmes, au mépris, au rejet, à l’isolement (par exemple, lorsqu’il l’ignore ou qu’il la prive de contacts, etc.), à l’exclusion (par exemple, lorsqu’il l’exclut d’événements signifiants), aux privations de toutes sortes (nourriture, loisirs, etc.), etc. Les enfants sont impressionnables et sensibles à ce type de violence psychologique. Il en est de même pour les femmes lorsqu’elles entretiennent une relation affective avec l’auteur (relation amoureuse ou conjugale). Par exemple, lorsqu’un homme, pour satisfaire ses fantasmes, veut imposer à sa partenaire des pratiques sexuelles qui la rebutent, il peut la culpabiliser en la vilipendant : « Tu es trop coincée », « Tu n’es pas une vraie femme », « Tu es un mauvais coup », « Mon ex, elle, c’était une bombe sexuelle », « J’ai l’impression d’avoir épousé une nonne ! », « Tu ne vaux pas plus de 3/10 ». La honte et la culpabilité que la victime conçoit de ces persiflages la vulnérabilise. Paralysée par un phénomène d’emprise, elle capitule et subit en silence.

La pression psychologique par insistance et persuasion. L’agresseur peut parvenir à ses fins à force de sollicitations inlassablement réitérées et de persuasion. Les enfants croyant devoir une obéissance absolue aux adultes cèdent généralement rapidement à leurs requêtes. Parce que la pression est trop forte, par lassitude, pour retrouver une image positive d’elle-même aux yeux de celui qui la presse ou pour écarter les mouvements d’humeur qu’il manifeste devant sa résistance, une femme peut finir par abdiquer. Par exemple, elle peut céder aux avances importunes de son patron dans l’espoir de retrouver une ambiance professionnelle supportable après lui avoir donné satisfaction. Elle peut capituler devant l’insistance de son partenaire et subir certaines pratiques sexuelles parce qu’il la serine continuellement : « On ne sait vraiment ce qu’on aime qu’après l’avoir essayé », « C’est important de s’ouvrir à de nouvelles choses », « Il faut te libérer de ton éducation », « La sodomie, toutes les femmes de mes copains ont au moins essayé une fois ».

Le chantage affectif. L’agresseur peut soumettre une personne à sa volonté, tant un enfant qu’un adulte, et s’assurer de son silence en jouant de ses sentiments, en utilisant la connaissance qu’il a de son caractère et de ses points sensibles. Voici quelques exemples de chantage affectif :

  • Le chantage au suicide : « Si tu racontes ce qui s’est passé entre nous, je me suicide ».
  • Le chantage à la pauvreté : « Si tu parles de ça, ton père ira en prison et nous n’aurons plus de quoi vivre », « Tu dois te marier avec cet homme parce que tu es une bouche de trop à nourrir et à cause de toi, nous n’avons pas suffisamment pour tes frères et sœurs ».
  • Le chantage au déshonneur : « Si tu parles de ce viol, tu vas jeter le déshonneur sur notre famille et plus personne ne voudra nous fréquenter ».
  •  Le chantage à l’infidélité : « Je vais finir par aller voir ailleurs si tu ne fais pas un petit effort pour me faire plaisir ».

Les promesses de gratifications. Un agresseur peut aboutir à ses fins en promettant à la victime des gratifications attractives en échange d’une faveur sexuelle : argent, biens de consommation, services, etc. Plus que les adultes, les enfants et les adolescents peuvent être tentés par la possibilité d’acquérir rapidement les objets en vogue qu’ils convoitent. Ainsi, des jeunes filles monnayent des baisers, des attouchements ou des fellations à leurs condisciples.

La manipulation affective. L’agresseur peut abuser de la vulnérabilité et de la confiance que la victime lui témoigne et se servir des relations affectives nouées antérieurement avec elle. Par exemple, un adulte peut arriver à ses fins avec un enfant ou un handicapé mental sans menaces ni violence physique, mais en usant de patience, de séduction, de cadeaux ou de persuasion. C’est fréquemment le cas dans les abus sexuels perpétrés au sein de la famille et en institution (orphelinat, pensionnat, établissements pour enfants et adultes handicapés, etc.). L’activité sexuelle se structure alors sur un marché de dupes. L’enfant ou la personne handicapée mentale, à la recherche d’amour, d’affection ou d’attention, animé par une curiosité sexuelle infantile non génitale, accepte l’activité sexuelle avec l’adulte afin d’obtenir des gratifications affectives, non sexuelles au sens génital du terme. L’adulte, quant à lui, aliène la victime dans son désir et exploite son besoin d’affection pour assouvir ses propres pulsions sexuelles. Elle peut parfois en arriver à confondre tendresse et sexualité. Il y a pour elle, selon l’expression de Ferenczi, une « confusion des langues » entre tendresse et assouvissement sexuel[4].

L’abus du lien affectif existe également dans les relations amicales. Des adolescents et des hommes exploitent délibérément le besoin d’amour et de tendresse de leurs pairs féminins pour assouvir leur désir sexuel. Ils les séduisent en leur laissant espérer un engagement sentimental et se limitent en réalité à une relation de « sex friends », uniquement basée sur le service sexuel[5].

La manipulation affective par abus du lien thérapeutique se rencontre dans les relations médicales et thérapeutiques. Le praticien (médecin, infirmier, kinésithérapeute, psychothérapeute, etc.) abuse de la confiance et de la vulnérabilité (physique ou psychologique) de ses patientes lorsqu’il provoque, favorise ou accepte un rapprochement sexuel avec elles. Peu armées pour faire face aux défis de la vie, carencées affectivement, en rupture sociale, etc., certaines constituent des proies faciles.

La manipulation intellectuelle. L’agresseur peut exploiter la naïveté et l’ignorance d’une personne pour servir ses intérêts. Les enfants et les handicapés mentaux croient généralement les dires des adultes censés détenir le savoir. De plus, leurs connaissances ne leur permettent pas d’évaluer la gravité de la situation et ils ignorent avoir des droits (dont celui de refuser certaines situations), des possibilités d’aide et de recours. De même, dans certaines sociétés, les femmes peu scolarisées et reléguées à leur foyer, sont souvent largement dominées par les hommes en position de leur faire croire ce qui les arrange.

La ruse et la supercherie. Un agresseur peut user d’un prétexte pour attirer sa victime dans un endroit isolé. L’ignorance et la curiosité rendent les enfants particulièrement vulnérables à la duperie. Par exemple, un enseignant peut demander à une fillette de l’accompagner chez lui après la classe en lui faisant croire qu’il va l’aider à réviser ses leçons ; une mère peut prétendre à sa fille qu’elle l’emmène au cinéma et la conduire sur le lieu de l’excision. Les jeunes filles et les femmes sont susceptibles d’être mystifiées par des personnes à qui elles accordent prématurément leur confiance. Par exemple, une adolescente peut être violée lors d’un rendez-vous proposé par un inconnu rencontré sur Internet et dont les échanges virtuels enjôleurs lui ont font espérer le grand amour.

Conclusion

L’agresseur peut tirer du plaisir des rapports sexuels imposés. Néanmoins, l’agression sexuelle ne peut se réduire à la simple recherche de satisfaction. Ce plaisir peut n’être que secondaire ou décevant, voire totalement absent. L’objectif de l’auteur peut être uniquement d’asseoir son pouvoir et sa domination. Par exemple, la sexualité est utilisée par les enfants des rues et par les enfants soldats pour en contrôler d’autres et pour imposer une « hiérarchie » arbitraire de respect et de discipline. De même, des jeunes violent des adolescentes pour punir un comportement jugé inconvenant. Dans certains cas d’abus intrafamiliaux, la domination qu’exerce l’homme agresseur sur son épouse ou sur ses enfants compense partiellement les échecs et les impuissances qu’il subit par ailleurs dans sa vie professionnelle, sociale ou conjugale.

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[1] Il ne faut pas confondre pouvoir et abus de pouvoir. La majorité des personnes en position de pouvoir n’abusent pas de l’autorité que celle-ci leur confère. Dans de nombreux cas, elles l’exercent au profit d’autrui. Par exemple, un homme met sa force physique au service de son épouse en assumant les travaux lourds ; un juge fait respecter les droits des plus vulnérables ; un élu administre son village en préservant le bien commun, etc.

[2] Ce fût le cas, notamment, dans la secte des Enfants de Dieu fondée par le pasteur méthodiste David Brandt Berg en 1968, depuis renommée La famille.                                                                                            

[3]

[4] Ferenczi S. (1932), Confusion de langue entre les adultes et l’enfant : le langage de la tendresse et de la passion, In Psychanalyse, Œuvres complètes, Psychanalyse IV, Paris Payot.

[5] En Occident, Le phénomène nommé sex friend, fucking friend ou encore fuck buddy prend de l’ampleur. Il est lié à l’hypersexualisation de la société (voir infra). Il consiste à entretenir des rapports sexuels avec un ami ou une connaissance sans engagement sentimental. Les limites de la relation doivent être clairement établies dès le début et être le fruit d’un commun accord entre partenaires.

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