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La victimisation secondaire et le victim blaming

Evelyne JOSSE, 2024

Au procès de Mazan, Gisèle Pélicot subit un victim blaming[1], à savoir un phénomène qui la tient pour responsable des agressions qu’elle a endurées. Cette culpabilisation est orchestrée par la défense pour que ses agresseurs voient le poids de leur culpabilité diminuée et/ou pour bénéficier de circonstances atténuantes. En conséquence, elle subit une victimisation secondaire, soit une réaction inadéquate à l’égard de son statut de victime.

Le 17 septembre, Gisèle Pélicot a exprimé son sentiment d’humiliation et sa colère face aux insinuations de certains avocats de la défense sur ce qu’elle a subi, leur rappelant : « Un viol est un viol ! » 27 photos d’elle prises à son insu ont été montrées en audience le 2 septembre à la demande d’avocats de la défense dans le but de prouver que leurs clients ont pu être « trompés » par Dominique Pélicot qui la prétendant consentante. « Depuis que je suis arrivée dans cette salle d’audience, je me sens humiliée […] Entre “j’ai appâté”, “j’ai fait semblant”, “j’étais ivre”, “j’étais complice”, maintenant on cherche à diffuser des photos prises par monsieur Pelicot pour me faire passer pour coupable. Qui est la coupable dans cette salle d’audience ? » a-t-elle demandé. « C’est insultant et je comprends que les victimes de viol ne portent pas plainte parce qu’on passe par un déballage où on essaie d’insulter les victimes. Et pendant ce temps les autres (accusés) sont derrière bien tranquilles. »

Lorsque la victime d’un événement traumatisant est confrontée à une réaction inadéquate à l’égard de son statut de victime (en matière de confidentialité et de discrétion, de sécurité, de reconnaissance, d’écoute, de soutien, de réparation, etc.), on parle de victimisation secondaire. Cette réaction peut émaner d’une personne (famille, voisinage, connaissances, etc.), des professionnels de l’intervention d’urgence, du personnel médical, d’une institution (police, justice, services administratifs, etc.), des médias, etc.

Une personne inculpée dans une affaire de pédophilie et de meurtre d’enfant a vu son nom cité à de nombreuses reprises dans les médias jusqu’à ce qu’elle soit innocentée… dix ans plus tard !

En République démocratique du Congo, les femmes violées sont rejetées par leur communauté.

Joëlle, victime d’une tentative de viol, raconte : « Les flics ont débarqué au salon. Il y avait trois combis. Tout le monde qui vous regarde et qui vous écoute, tous les gens du building qui sont là autour pour savoir ce qui s’est passé… On est déjà mal, on se sent sale et vous avez des flics devant vous qui vous regardent en se disant : “Mais qu’est-ce qu’elle raconte ?”. Fourniret avait inventé qu’il avait fait un casse, je leur ai dit ça et comme il n’y avait pas eu de casse dans la région, ils se demandaient ce que je leur inventais… Et comme il ne m’avait pas violée… Bref, ils ne me croyaient pas. Ils étaient froids, pas du tout sympathiques. Et quand mon mari est arrivé… Son regard, ça fait mal aussi… son regard qui se demande s’il y a eu viol ou pas. Quand il m’a vue, il a été rassuré, mais en même temps, il s’est demandé ce qui s’était passé… C’était horrible. Et puis, quelques années plus tard, quand Fourniret a été arrêté, vous avez tous les journalistes qui débarquent chez vous. J’étais complètement bousculée par cette arrestation. Ça a fait resurgir toute cette histoire de façon violente et en plus, vous avez tous ces journalistes qui vous posent plein de questions. Vous ne pouvez plus sortir de chez vous. Après ça, il y a eu le procès. Fourniret a été jugé en France. On s’est déplacé en France, mon mari et moi. Il est jugé. On se dit “Ouf ! On va pouvoir laisser ça derrière nous et recommencer à vivre” eh bien non, le procès n’était pas valable en Belgique et on a dû tout recommencer. »

On parle de « victim blaming » ou de « faute sur la victime » lorsque les victimes sont tenues pour responsables, entièrement ou partiellement, des agressions qu’elles ont subies. Le déplacement de la faute de l’agresseur sur la victime est fréquent dans les cas d’agression sexuelle : cette dernière avait trop bu ou avait consommé des drogues, elle ne se rappelle plus avoir donné son consentement à l’acte sexuel, elle a séduit l’agresseur, elle fait des problèmes pour rien en exagérant la gravité de faits anodins, elle ment, etc. Elle est une mauvaise victime, une victime coupable. Contrairement à d’autres types d’agression, la parole des victimes de violence sexuelle est souvent remise en cause. Par exemple, personne n’aurait l’idée de suspecter de mensonge ou d’exagération une personne qui déclarerait avoir été délestée de ses biens lors d’un vol, pas plus qu’on ne lui reprocherait de l’avoir « bien cherché ». La mise en cause de la parole des victimes porte souvent sur le consentement : « Était-ce vraiment un viol ou étiez-vous consentante ? ». Le déni de la victime est également un moyen fréquemment mis en avant par les agresseurs pour se disculper : « Elle était consentante », « Elle invente cette histoire de viol pour se venger parce que j’ai refusé ses avances. » Le victim blaming entraîne une victimisation secondaire.

Une jeune femme, droguée au GHB/GBL à son insu, explique : « Je crois que le pire, ce sont les ambulanciers et le SAMU qui m’ont laissé mourir dans mon G-hole avec des symptômes graves d’AVC… sur ma sclérose en plaques. Ils sont partis et n’ont pas voulu m’emmener à l’hôpital… Pour eux, j’étais juste saoule… N’importe quoi !!! »

Une jeune femme, victime de viol sous GHB/GBL raconte : « J’ai porté plainte deux jours plus tard. J’ai été extrêmement choquée de l’interrogatoire de la police où on m’a répété et répété que j’avais trop bu et que je ne me rappelais pas de lui avoir dit oui !!! À ma collègue, la police a dit qu’elle m’avait mis des choses en tête pour me faire croire que j’avais été violée. »


[1] Cette notion a été abordée dans un article récent, Josse E. (2024). Violences sexuelles et consentement. http://www.resilience-psy.com, mais nous avons jugé important de remettre cette notion en avant.

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