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Les bienfaits du « journaling » (tenir un journal)

Discussion avec Mathieu Colinet, journaliste

Est-ce qu’à votre connaissance des études existent sur les bienfaits du journaling ?

Le psychologue américain James Pennebaker est un pionnier dans le domaine de l’écriture expressive, et il a largement étudié les bienfaits de l’écriture sur la santé mentale et physique. Selon ses recherches, écrire sur ses expériences émotionnelles, en particulier celles qui sont difficiles ou traumatiques, peut avoir des effets thérapeutiques significatifs. Il a montré que l’écriture expressive permet de structurer ses pensées et de mieux comprendre ses émotions. Il a observé que les personnes qui écrivent régulièrement sur leurs émotions profondes consultent moins souvent les médecins, ont un système immunitaire plus fort et rapportent moins de symptômes physiques comme des maux de tête ou des douleurs. Il explique que l’écriture aide à « digérer » les expériences en les transformant en récits cohérents. Cela permet de donner un sens aux événements et de ne plus les laisser tourner en boucle dans l’esprit sous forme de pensées désorganisées.

Pennebaker a analysé le choix des mots dans les écrits. Il a remarqué que les personnes qui passent de l’utilisation de mots négatifs à des termes plus positifs ou réfléchis (comme « j’ai compris » ou « je vois maintenant ») au fil du processus bénéficient davantage des effets de l’écriture.

En résumé, selon Pennebaker, l’écriture agit comme une forme de thérapie accessible à tous, favorisant le bien-être en permettant de traiter les émotions refoulées et de mieux se connecter à soi-même. Ses travaux, notamment dans son livre Writing to Heal et ses nombreuses publications scientifiques, ont inspiré des pratiques dans des contextes variés, de la psychologie clinique à l’auto-assistance.

Pennebaker recommande d’écrire pendant 15 à 20 minutes par jour, pendant 3 à 4 jours consécutifs, sur un sujet personnel et émotionnellement chargé, sans se soucier de la grammaire ou du style. L’idée est de laisser libre cours à ses pensées et sentiments les plus profonds.

Selon moi, il n’y a pas une écriture, mais des écritures. Tout dépend de ce qu’on écrit et comment on l’écrit. Les effets ne seront pas les mêmes si l’on consigne simplement des faits, uniquement des émotions ou si on allie à cela une réflexion.

En tant que psychologue, est-ce que le journaling, cette pratique personnelle réalisée chez soi vous semble intéressante ou non, crédible ou non ? Est-ce qu’elle peut avoir selon vous des bienfaits sur la santé mentale ? Si oui, à quoi doit servir exactement cette écriture et quelle forme doit-elle prendre ?

Le journaling peut être intéressant pour certaines personnes. C’est un moment de pause qu’elles s’accordent dans une vie souvent agitée, pour penser, pour réfléchir, pour exprimer leurs idées et leurs sentiments. Écrire permet de ventiler les émotions négatives et de décharger le stress, de structurer les pensées et d’y voir plus clair, de faire le point et de tirer des enseignements sur certaines situations traversées, de stimuler la créativité, etc. En prenant le temps de relire ce qu’elles ont écrit, les personnes peuvent mieux comprendre leurs pensées et tirer des enseignements de leurs expériences. Mais pour d’autres personnes, le journaling peut avoir des répercussions négatives. C’est le cas de celles qui ont une tendance à la rumination mentale et qui sont déprimées. Elles risquent de se concentrer sur les aspects négatifs de leur vie, ce qui peut renforcer leurs pensées et leurs émotions négatives. C’est également le cas pour celles qui ont tendance à s’autocritiquer. Tenir un journal peut les pousser à se critiquer plus durement, ce qui peut nuire à leur estime d’elles-mêmes. Si une personne ne se sent pas bien après avoir écrit quelques jours d’affilée, c’est le signe que cet exercice d’écriture n’est pas pour elle, du moins pas à ce moment de sa vie. Elle devrait arrêter d’écrire et, pour son bien-être, consulter un psychothérapeute.

Personnellement, je pense qu’il est important de proposer trois règles en guise de garde-fou. Les personnes peuvent exprimer des aspects négatifs de leur vie, mais en contrepartie, je leur demande d’énoncer des gratitudes : qu’est-ce qu’elles ont apprécié dans la journée, qu’est-ce qu’elles ont appris, qu’est-ce qu’elles veulent voir continuer dans leur vie, etc. J’appelle cela les « flops » et les « tops ». On équilibre les « flops » par autant de « tops ». Les bienfaits de la pratique de la gratitude, comme l’amélioration de l’humeur, la réduction du stress ou la diminution des pensées négatives, sont bien documentés. Deuxième règle, évitez l’autocritique. Tout comme en méditation pleine conscience, on note les émotions, les sentiments et les pensées sans jugement… et on les laisse passer sans essayer de les retenir, comme lorsqu’on regarde les nuages passer dans le ciel sans tenter de les arrêter ! Troisième règle : pas de pression. Écrire quotidiennement peut être contraignant. Tenir un journal ne doit pas primer sur la vie ! De même, il n’a pas vocation à être publié. Inutile donc de se forcer à rédiger comme Victor Hugo !

Dans le cadre de certaines thérapies, le patient ou la patiente est invité par le psychologue à faire certains exercices d’écriture entre les séances. Est-ce que cela vous semble comparable ou non au journaling ?

Oui, en thérapie comportementale et cognitive, ainsi qu’en thérapie brève, le thérapeute demande parfois à ses patients de tenir un journal. Prenons l’exemple d’une personne souffrant de boulimie. Le thérapeute peut lui demander de consigner ses crises dans un journal. Elle devra y noter les émotions ressenties lors de ces épisodes afin de l’aider à identifier les déclencheurs émotionnels. Le thérapeute lui demandera également de repérer les pensées qui surgissent au moment des crises, ce qui lui permettra de prendre conscience de ses schémas de pensée négatifs ou irrationnels. Il pourrait aussi l’encourager à formuler des pensées plus réalistes et positives par lesquelles elle pourrait les remplacer. Le psychologue peut également inciter son patient à noter chaque jour les choses pour lesquelles il est reconnaissant, afin de l’aider à améliorer son humeur et à développer une perspective plus positive. Il peut aussi lui suggérer de tenir un journal de ses réussites et de ses progrès pour renforcer son estime de soi et sa motivation. Avec cette façon de faire, l’exercice d’écriture vise à mieux comprendre et à gérer les pensées, les émotions et les comportements, dans le but de mettre en place des stratégies de changement. Dans le journaling, ce n’est pas le cas puisque l’écriture est généralement libre.

Si l’écriture quotidienne a des bienfaits, est-ce qu’on sait par quels mécanismes ces bienfaits se produisent ?

Lorsque les personnes se concentrent uniquement sur leurs émotions et leurs pensées négatives, le bienfait résulte de la décharge émotionnelle, mais ce bienfait est généralement de courte durée. En se concentrant uniquement sur les émotions ou les pensées négatives, on court le risque de les augmenter.

Le « réseau mode par défaut » ou DMN, pour Default Mode Network, est un réseau constitué de différentes zones cérébrales qui s’activent lorsque le cerveau n’est pas focalisé sur une tâche spécifique. Il est impliqué dans plusieurs processus mentaux, dont certains sont étroitement liés aux émotions. Par exemple, il est actif lorsque nous ressassons des émotions ou des pensées négatives. Les ruminations ont la fâcheuse tendance à exacerber les émotions négatives, telles que l’anxiété, et les sentiments dépressifs. La partie principale du cerveau responsable de freiner les ruminations mentales est le néocortex préfrontal, la partie située à l’avant de notre cerveau. Il intervient notamment dans la régulation des émotions et l’inhibition des comportements inappropriés ou non désirés. Il agit donc comme un frein bénéfique. Cette zone cérébrale permet aussi d’adapter notre comportement en fonction des nouvelles informations ou des changements dans l’environnement. Les changements significatifs durables au niveau du bien-être sont liés à un changement de valeurs, de priorités ou de perspectives, et cela passe par une implication du néocortex préfrontal. C’est ce dernier qui permet une analyse critique, l’identification des schémas de pensée négatifs et le remplacement par des pensées plus réalistes et positives. C’est ce qu’on appelle la réévaluation cognitive. Consigner ses pensées et ses émotions sans jugement permet de réduire les ruminations.

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