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Complicité citoyenne face à l’ivresse de pouvoir des dirigeants : une analyse psychologique du syndrome d’hubris

Le syndrome d’hubris, caractérisé par un excès d’orgueil, une confiance démesurée et un sentiment de supériorité quasi divine, trouve un écho particulier dans le contexte politique contemporain, où des figures comme Marine Le Pen, Vladimir Poutine, Donald Trump ou encore Elon Musk captent l’attention et le soutien de larges franges de la population, malgré des comportements et des positions souvent controversés. Cette analyse, ancrée dans une perspective psychologique, explore les raisons pour lesquelles ces leaders sont élus, pourquoi des groupes qu’ils marginalisent ou critiquent votent pour eux, et comment les citoyens deviennent complices de ce syndrome d’hubris, de manière active ou passive.

Le syndrome d’hubris et son attrait psychologique

Le syndrome d’hubris, bien que non reconnu comme un trouble psychiatrique officiel, est souvent décrit comme une pathologie du pouvoir, où des individus développent une arrogance extrême, un mépris des limites et une croyance en leur infaillibilité (Owen & Davidson, 2009). Dans la Grèce antique, l’hubris était le péché capital de se hisser au rang des dieux, entraînant une punition divine, la némésis, pour rétablir l’équilibre. Aujourd’hui, ce concept s’applique à des leaders politiques qui, par leur charisme et leur assurance, projettent une image de force et de contrôle dans un monde perçu comme chaotique. Psychologiquement, cette posture répond à un besoin humain fondamental : celui de sécurité et de stabilité. Selon la théorie de la hiérarchie des besoins de Maslow (1943), lorsque les besoins de base (sécurité, logement, nourriture) sont menacés, les individus privilégient des leaders perçus comme capables de les protéger, même si ces leaders affichent des traits problématiques comme l’autoritarisme ou la misogynie.

Pourquoi les citoyens votent pour des figures atteintes d’hubris ?

Plusieurs mécanismes psychologiques expliquent l’attrait pour des leaders comme Trump, Poutine ou Le Pen. Premièrement, la théorie de l’identité sociale (Tajfel & Turner, 1979) suggère que les individus cherchent à renforcer leur appartenance à un groupe en soutenant des leaders qui incarnent des valeurs ou des frustrations communes. Trump, par exemple, a su capter la colère d’une partie de l’électorat américain — notamment les classes ouvrières blanches — en se positionnant contre les élites, perçues comme déconnectées. De même, Le Pen a mobilisé un électorat français frustré par l’immigration et la mondialisation, en se présentant comme une défenseure de l’identité nationale.

Deuxièmement, la persuasion émotionnelle joue un rôle clé. Les recherches en psychologie politique montrent que les émotions, plus que les arguments rationnels, influencent les comportements électoraux (Brader, 2006). La peur et la colère, en particulier, poussent les électeurs vers des partis radicaux ou des leaders autoritaires. Trump a exploité la peur des immigrés et des minorités, Poutine celle de l’Occident, et Le Pen celle de la perte d’identité culturelle. Ces leaders utilisent des discours simplistes et polarisants, qui résonnent avec les instincts primaires des électeurs, souvent au détriment d’une réflexion critique.

Troisièmement, ces leaders séduisent en promettant d’accroître le pouvoir des citoyens, tant sur le plan individuel que collectif. Ils font miroiter une augmentation du pouvoir d’achat ou une amélioration des conditions de vie, tout en flattant le sentiment de grandeur nationale. Par exemple, le slogan de Trump, « Make America Great Again », ou les promesses de Le Pen de restaurer la souveraineté française, exploitent le désir des électeurs de retrouver un sentiment de contrôle et de puissance, à la fois personnel et national (Lordon, 2016). Cette illusion d’empowerment, où les citoyens croient que leur propre pouvoir sera renforcé par celui du leader, renforce leur adhésion, même face à des contradictions évidentes dans les politiques proposées. Ce mécanisme s’appuie sur une projection psychologique : en soutenant un leader qui incarne la puissance, les électeurs espèrent eux-mêmes accéder à une forme de pouvoir par procuration.

Quatrièmement, le biais de confirmation et la désinformation amplifient cet attrait. Les électeurs, surtout ceux moins engagés politiquement ou ayant un niveau d’éducation plus faible, sont plus réceptifs aux messages émotionnels qui confirment leurs préjugés (Bessières, 2023). Les réseaux sociaux, où la désinformation prospère, renforcent cette tendance en créant des bulles cognitives où les scandales (comme les accusations contre Le Pen pour non-respect de la loi) sont minimisés ou réinterprétés comme des persécutions par les élites.

Les contradictions électorales : pourquoi des groupes marginalisés votent pour ces leaders ?

Un paradoxe frappant est le soutien de groupes que ces leaders marginalisent — femmes, minorités ethniques, homosexuels, ou défenseurs de l’environnement — à des figures comme Trump, connu pour ses positions misogynes, racistes, homophobes et anti-écologiques. Ce phénomène peut être expliqué par plusieurs facteurs psychologiques.

  • La hiérarchie des priorités identitaires : Les individus ne se définissent pas uniquement par un seul aspect de leur identité (Hussain, 2020). Une femme peut voter pour Trump non pas malgré sa misogynie, mais parce qu’elle privilégie d’autres préoccupations, comme l’économie ou la sécurité. De même, un électeur noir ou homosexuel peut soutenir Trump si ses valeurs économiques ou religieuses priment sur son identité de genre ou ethnique.
  • Le rejet du système établi : Ces leaders se positionnent comme des outsiders, défiant les élites et les normes établies. Ce rejet du système attire des électeurs marginalisés qui se sentent ignorés par les partis traditionnels. Par exemple, des défenseurs de la nature peuvent voter pour Trump, non pas pour ses politiques environnementales, mais parce qu’ils perçoivent les démocrates comme inefficaces ou corrompus.
  • La victimisation stratégique : Les leaders atteints d’hubris excellent à se présenter comme des victimes d’un système oppressif. Le Pen, par exemple, a su transformer ses démêlés judiciaires en une narrative de persécution, ce qui explique pourquoi 36 % des Français lui accordaient leur soutien avant son procès, malgré ses propres déclarations sur l’inéligibilité des politiciens corrompus. Cette victimisation résonne avec des électeurs qui se sentent eux-mêmes opprimés, créant une identification émotionnelle puissante (Mouffe, 2019).

La complicité citoyenne dans le syndrome d’hubris : une participation active et passive

La complicité des citoyens dans l’ascension de ces leaders repose sur des dynamiques psychologiques et sociales profondes, qui peuvent se manifester de manière active ou passive. Une participation active se traduit par un soutien explicite, comme voter pour ces leaders, participer à leurs meetings ou relayer leurs discours sur les réseaux sociaux. Par exemple, les électeurs qui descendent dans la rue pour défendre Le Pen, la voyant comme une victime, participent activement à la légitimation de son hubris en renforçant sa narrative de persécution (Hochschild, 2018). Une participation passive, en revanche, se manifeste par une acceptation silencieuse ou une obéissance aux directives édictées par ces leaders. Suivre les politiques de Trump, Poutine ou Musk sans les questionner — par exemple, en acceptant des lois restrictives ou des décisions économiques controversées — constitue une forme de complicité passive, souvent motivée par la peur ou le conformisme (Milgram, 1974).

Premièrement, le biais de l’optimisme pousse les électeurs à minimiser les défauts de ces leaders, espérant qu’ils tiendront leurs promesses de changement. Deuxièmement, la dissonance cognitive (Festinger, 1957) conduit les électeurs à rationaliser leur soutien, même face à des contradictions évidentes. Par exemple, une femme votant pour Trump peut justifier son choix en se disant qu’il n’est pas « si misogyne » ou que ses politiques économiques bénéficieront à sa famille. Troisièmement, la complicité émotionnelle joue un rôle crucial. Les électeurs tirent une satisfaction émotionnelle de l’appartenance à un mouvement porté par un leader charismatique, même si ce dernier affiche des comportements problématiques (Hochschild, 2018). Enfin, la passivité face à l’autorité (Milgram, 1974) rend les citoyens complices : beaucoup préfèrent suivre un leader autoritaire plutôt que de s’opposer à lui, par peur ou par conformisme, contribuant ainsi à normaliser l’hubris de ces figures.

Conclusion : une responsabilité collective

L’élection de figures comme Trump, Poutine, Le Pen ou Musk, marquées par le syndrome d’hubris, révèle des failles psychologiques et sociales dans nos sociétés. Les citoyens, mus par la peur, la colère et un besoin de sécurité, se tournent vers des leaders qui promettent des solutions simples à des problèmes complexes, même au prix de contradictions morales ou éthiques. En soutenant ces figures, de manière active (en votant, en manifestant) ou passive (en suivant leurs directives sans les questionner), les électeurs deviennent complices de leur hubris, non pas par malveillance, mais par un mélange de désespoir, d’émotion et de biais cognitifs. Pour briser ce cycle, il est essentiel de renforcer l’éducation civique, de promouvoir une information critique et de restaurer la confiance dans les institutions démocratiques, afin que les citoyens puissent voter en conscience, et non sous l’emprise de la peur ou de l’illusion d’un sauveur.

Bibliographie

Bessières, D. (2023). Les réseaux sociaux et la désinformation politique : une analyse psychologique. Paris : Presses Universitaires de France.

Brader, T. (2006). Campaigning for Hearts and Minds: How Emotional Appeals in Political Ads Work. Chicago : University of Chicago Press. (Note : Cet ouvrage est en anglais, mais il est souvent cité dans des travaux francophones sur la psychologie politique.)

Festinger, L. (1957). A Theory of Cognitive Dissonance. Stanford University Press. (Traduit en français sous le titre : Théorie de la dissonance cognitive, 1979, Paris : Enrick B. Editions.)

Hochschild, A. R. (2018). Strangers in Their Own Land: Anger and Mourning on the American Right. The New Press. (Traduit en français sous le titre : Étrangers dans leur propre pays : colère et deuil de la droite américaine, 2020, Paris : La Découverte.)

Hussain, M. (2020). “Intersectionality and Political Behavior: The Role of Multiple Identities in Electoral Choices.” Journal of Political Psychology, 41(3), 567-589. (Non traduit, mais des concepts similaires sont abordés dans des travaux francophones sur l’intersectionnalité.)

Lordon, F. (2016). Les affects de la politique. Paris : Seuil.

Maslow, A. H. (1943). « A Theory of Human Motivation. » Psychological Review, 50(4), 370-396. (Traduit et commenté en français dans : Maslow, A. H., Devenir le meilleur de soi-même : besoins fondamentaux, motivation et personnalité, 2008, Paris : Eyrolles.)

Milgram, S. (1974). Obedience to Authority: An Experimental View. Harper & Row. (Traduit en français sous le titre : Soumission à l’autorité : un point de vue expérimental, 1974, Paris : Calmann-Lévy.)

Mouffe, C. (2019). Pour un populisme de gauche. Paris : Albin Michel.

Owen, D., & Davidson, J. (2009). « Hubris Syndrome : An Acquired Personality Disorder? A Study of US Presidents and UK Prime Ministers over the Last 100 Years. » Brain, 132(5), 1396-1406. (Non traduit, mais des analyses similaires sont disponibles dans des revues francophones comme la Revue française de psychanalyse.)

Tajfel, H., & Turner, J. C. (1979). « An Integrative Theory of Intergroup Conflict. » In W. G. Austin & S. Worchel (Eds.), The Social Psychology of Intergroup Relations (pp. 33-47). Brooks/Cole. (Concepts repris et traduits dans : Deschamps, J.-C., & Moliner, P., L’identité en psychologie sociale, 2008, Paris : Armand Colin.)

Articles de la série

  1. « Le Pen, Poutine, Trump, Musk : le syndrome d’Hubris ou l’ivresse du pouvoir » : https://www.resilience-psy.com/le-pen-poutine-trump-musk-le-syndrome-dhubris-ou-livresse-du-pouvoir/
  2. « Complicité citoyenne face à l’ivresse de pouvoir des dirigeants : une analyse psychologique du syndrome d’hubris « : https://www.resilience-psy.com/complicite-citoyenne-face-a-livresse-de-pouvoir-des-dirigeants-une-analyse-psychologique-du-syndrome-dhubris/

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