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L’enfant intérieur, qu’est-ce que c’est?

L’enfant intérieur est un concept important en psychologie. Selon de nombreux auteurs, il symbolise la partie de notre psyché liée à nos émotions, positives et négatives, et à notre potentiel créatif. Pour les différents théoriciens qui se sont penchés sur le sujet, la reconnaissance et l’intégration de cet enfant intérieur sont cruciales pour le développement personnel et la santé mentale.

Les théoriciens de l’enfant intérieur

L’enfant intérieur pour Carl Jung

Carl Jung, le célèbre psychologue, a introduit plusieurs concepts pour décrire les aspects de la psyché humaine, dont l’enfant intérieur, l’enfant éternel et l’enfant divin.

Pour Jung, notre enfance joue un rôle crucial dans la formation de notre personnalité. Les traumatismes et les expériences positives vécues durant cette période influencent notre comportement et nos relations à l’âge adulte. L’enfant intérieur fait référence à cette part de nous qui reste connectée à nos expériences d’enfance, en particulier celles qui ont été significatives sur le plan émotionnel. L’enfant intérieur représente nos émotions primaires, nos souvenirs et nos réactions instinctives. Il peut symboliser à la fois la joie, la curiosité et la créativité de l’enfance, ainsi que les blessures et les traumatismes non résolus.

Dans le cadre de la psychothérapie, pour mieux comprendre leurs comportements et leurs motivations, Jung encourageait ses patients à explorer leur enfant intérieur, ce qui impliquait qu’ils reconnaissent et qu’ils acceptent leurs émotions, leurs désirs et leurs peurs. Il soutenait que se reconnecter avec cet aspect de nous-mêmes pouvait favoriser la guérison psychique, la pensée novatrice et l’expression artistique.

Le concept d’enfant intérieur est distinct de ceux d’enfant éternel et d’enfant divin. L’enfant intérieur, nous l’avons vu, est centré sur les expériences vécues dans l’enfance, tandis que l’enfant divin et l’enfant éternel évoquent des dimensions plus spirituelles et intemporelles de la psyché. Le concept d’enfant divin se concentre sur le potentiel créatif et spirituel ; l’enfant éternel évoque l’innocence intemporelle et la vitalité.

L’enfant intérieur selon Éric Berne

Éric Berne, le fondateur de l’analyse transactionnelle, a également développé le concept de l’enfant intérieur, qu’il a intégré dans sa théorie des États du Moi. Berne identifie trois États du Moi : le Parent, l’Adulte et l’Enfant. L’Enfant représente nos sentiments, nos émotions et nos besoins fondamentaux, ainsi que notre capacité à jouer et à être créatif. Il distingue deux aspects de l’Enfant : l’enfant libre  – c’est l’aspect spontané, créatif et joyeux, capable de s’exprimer sans contraintes – et l’enfant adapté – c’est l’aspect qui s’ajuste aux attentes et aux normes d’autrui, souvent en réponse à des expériences passées ou à des pressions sociales.

Selon Berne, les expériences de l’enfance influencent fortement notre comportement et nos interactions à l’âge adulte. Les blessures émotionnelles et les traumatismes peuvent affecter notre Enfant intérieur, conduisant à des comportements inadaptés ou à des schémas relationnels problématiques.

Dans le cadre de la thérapie, Berne encourage les individus à explorer leurs États du Moi, en particulier l’Enfant, pour mieux comprendre leurs émotions et leurs motivations. Cela implique de reconnaître et d’accepter les besoins de l’Enfant intérieur, ce qui peut conduire à la guérison et à l’épanouissement personnel. Comme Jung, Berne souligne l’importance du jeu et de la créativité pour l’Enfant intérieur. Ces éléments sont essentiels pour retrouver un équilibre émotionnel et une vie pleine de sens.

L’enfant intérieur selon Winnicott

Donald Winnicott, pédiatre et psychanalyste britannique, a lui aussi développé une conception de l’enfant intérieur, mais il l’a abordée sous l’angle de la relation entre l’enfant et le monde qui l’entoure.

Winnicott distingue le « vrai soi » du « faux soi », qu’il nomme respectivement « vrai self » et « faux self ». Le vrai self représente l’enfant authentique, créatif et spontané, tandis que le faux self est une façade développée pour répondre aux attentes des autres. La reconnexion avec l’enfant intérieur implique souvent de retrouver ce vrai soi.

Winnicott souligne l’importance d’un environnement apte à répondre aux besoins de l’enfant, notamment par le biais de la qualité des soins parentaux. Un environnement suffisamment bon permet à l’enfant de se développer de manière saine et d’exprimer son vrai self. Il introduit le concept d’objets transitionnels (comme une peluche ou une couverture) qui aident l’enfant à naviguer entre la dépendance et l’indépendance. Ces objets symbolisent la capacité de l’enfant à se sentir en sécurité tout en explorant son autonomie. Pour Winnicott, le jeu est essentiel au développement de l’enfant. Il permet d’exprimer le vrai self et favorise la créativité. L’enfant intérieur est donc étroitement lié à cette capacité à jouer et à créer.

Dans le cadre thérapeutique, Winnicott encourage la création d’un espace sûr où les individus peuvent explorer leur enfant intérieur, exprimer des émotions authentiques et accéder à leur créativité. En résumé, pour Winnicott, l’enfant intérieur est lié à la notion de vrai self, à la qualité des soins reçus et à l’importance du jeu et de l’environnement.

L’enfant intérieur selon Alice Miller

Alice Miller, psychologue suisse, a aussi développé la notion d’enfant intérieur, mais avec un accent particulier sur la souffrance émotionnelle causée par des traumatismes infantiles. Pour cette auteure, l’enfant intérieur représente l’aspect de nous qui porte les blessures émotionnelles issues de l’enfance. Ces blessures peuvent résulter de négligences, d’abus ou d’attentes irréalistes de la part des parents. Elle insiste sur l’importance de reconnaître et de valider les émotions de cet enfant intérieur. Ignorer ces sentiments peut mener à des problèmes psychologiques à l’âge adulte.

En thérapie, elle encourage les individus à revisiter leurs souvenirs d’enfance pour comprendre et guérir leurs blessures. Cela implique souvent de faire face à des vérités douloureuses. La guérison passe par l’acceptation de son enfant intérieur, en lui offrant l’amour et la protection dont il a besoin. Cela peut mener à une meilleure compréhension de soi et à des relations plus saines.

Enfant intérieur et traumatisme

Les traumatismes dans la mémoire

Pour comprendre pourquoi la notion d’enfant intérieur pour être intéressante dans la thérapie des personnes qui ont vécu des événements délétères dans l’enfance, il est important de savoir ce qu’est un traumatisme.

Notre cerveau ne traite pas les événements hautement émotionnels, voire traumatiques, de la même manière que les événements banals. Il existe dans notre cerveau un système inné qui traite les expériences que nous vivons ; on pourrait dire qui les digère. Toute nouvelle expérience est automatiquement triée et reliée à celles déjà conservées dans notre mémoire. Ainsi mises en lien avec ce que nous savons déjà, nous pouvons lui donner sens. Mais lorsqu’une personne est confrontée à un événement violent, elle produit des hormones de stress et un déséquilibre se produit dans son système nerveux. Le cerveau ne peut pas traiter correctement les informations liées à cet événement. Il ne parvient pas à les digérer. Du coup, le souvenir de l’événement est maintenu dans son état brut et perturbant. Les images, les sons, les sensations physiques, les émotions, les pensées, les idées, etc., présents au moment de l’événement, restent figés dans le temps, coincés dans une mémoire à part. Il y a donc une mémoire adaptée et une mémoire traumatique et chacune fonctionne de façon autonome. Une personne traumatisée peut fonctionner tantôt sur l’une des mémoires, tantôt sur l’autre. Un traumatisme peut donc provoquer une organisation psychique particulière de la personnalité dans laquelle existent différents sous-systèmes. C’est à Charles Myers, un psychologue anglais, que l’on doit cette notion. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’est intéressé aux traumatismes des soldats. Il a attribué leurs symptômes à une dissociation de la personnalité entre deux systèmes : le premier assurant la sauvegarde personnelle du sujet, le deuxième orienté vers la survie de l’espèce et le fonctionnement de la vie quotidienne. Il décrit cette dissociation en termes de division entre une personnalité apparemment normale et une personnalité émotionnelle. Lorsque le soldat est dans sa personnalité normale, il fonctionne normalement, de façon tout à fait adéquate, et quand il bascule dans sa personnalité émotionnelle, il fonctionne comme s’il était bloqué dans l’expérience traumatique, comme s’il était en train de la revivre. Aujourd’hui, on ne parle plus de personnalité, mais de parties émotionnelles et de parties apparemment normales. Je vous donne un exemple. Une de mes patientes a été violée de façon répétée par son père lorsqu’elle était enfant, un véritable tyran domestique. Adulte, c’est une femme forte, entreprenante, proactive, sportive, engagée, bref une battante. Tout se passait bien au travail jusqu’à ce que ce que son chef parte à la retraite et soit remplacé par une femme au tempérament soupe au lait. Devant cette femme, ma patiente perdait tous ses moyens. Lorsque sa chef s’emportait, ce qui était fréquent, ma patiente redevenait la petite fille qu’elle était devant son père tyrannique. Elle se figeait et perdait tous ses moyens d’adulte. Elle était ramenée dans sa partie émotionnelle et fonctionnait comme si elle était enfant. Pour aider les patients aux prises avec ce type de traumatisme ancien, je fais ce que j’appelle un scénario réparateur et ce que d’autres appellent « travailler avec son enfant intérieur ».

Pierre Janet et les scénarios réparateurs

C’est Pierre Janet, un psychologue contemporain de Sigmund Freud, qui est le pionnier de ce genre de thérapie. Le premier cas de l’histoire de ce type de thérapie avec l’enfant intérieur est probablement celui de Marie, une jeune fille de 19 ans. Au moment de ses règles, Marie présentait pendant plusieurs jours, des crises délirantes. Les règles commençaient normalement, mais après quelques heures, Marie se plaignait d’avoir froid et frissonnait : à ce moment, les règles s’arrêtaient et le délire commençait. Elle avait des accès de terreur et des hallucinations où elle voyait du sang répandu devant elle, elle présentait aussi une anesthésie du côté gauche du visage et ne voyait plus de l’œil gauche. Marie a été réglée pour la première fois à l’âge de 13 ans. Pour une raison inconnue, elle en a éprouvé de la honte et a cherché le moyen de les arrêter. Elle s’est plongée dans un baquet d’eau froide, ce qui avait arrêté les règles pendant plusieurs mois. À l’âge de 16 ans, elle avait été terrifiée en voyant une vieille femme tomber dans les escaliers et inonder les marches de son sang et à 9 ans, elle avait été forcée de dormir avec un enfant dont le visage du côté gauche était couvert d’impétigo et elle avait éprouvé pendant toute la nuit un grand dégoût et une grande frayeur. Janet a l’idée de transformer le scénario des événements de manière à leur ôter leur charge traumatique. Il a fait revivre à Marie les trois événements perturbants tout en substituant la fin tragique par un dénouement heureux. Par exemple, il l’a convaincue en hypnose que la vieille dame avait trébuché et ne s’était pas tuée, et que l’enfant qui lui avait fait horreur était très gentil et avait le visage lisse. Ces scénarios réparateurs ont libéré Marie de ses symptômes. Cette méthode de transformation des souvenirs traumatiques s’avère aujourd’hui encore d’une remarquable efficacité.

Les dérives

Mais il existe actuellement une dérive, c’est le versant mercantile de l’enfant intérieur. Aujourd’hui, des personnes sans formation en psychologie se croient aptes à mener des thérapies, elles pensent en avoir les compétences. L’enfant intérieur est devenu un concept très porteur pour celles et ceux qui souhaitent se reconvertir professionnellement. C’est aussi un concept très porteur pour nos concitoyens. De plus en plus d’ouvrages grand public sont publiés sur le sujet. Ce n’est pas très étonnant dans un monde très branché sur le développement personnel. Notre société est très nombriliste, et personnellement, je pense qu’être trop branché sur soi rend malheureux et anxieux. On rêve d’être toujours mieux, de se sentir toujours mieux… La situation est difficile : le climat, les guerres, la crise économique, les épidémies, les attentats, etc. Et ce n’est donc pas surprenant que les de nombreuses personnes n’aillent pas très bien, mais la solution n’est peut-être pas dans une introspection permanente. Si je reprends la métaphore de l’enfant, je dirais qu’à moins d’être blessé ou malade, un enfant est plus heureux en allant jouer avec ses copains qu’en méditant sur lui-même.