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Reflets d’héritage

Je me tiens là, face au miroir, et c’est elle que je vois. Pas moi, pas tout à fait. Ma mère. Ses traits s’insinuent dans les miens… Une ombre qui gagne du terrain. Mes yeux, fatigués derrière les lunettes, c’est elle. La courbe de ma mâchoire, un peu plus lourde qu’avant, c’est encore elle. Même mes mains, posées sur le rebord du lavabo, trahissent sa peau affinée, fragile, ses veines saillantes.

Je ne sais pas quand c’est arrivé, quand mon visage a commencé à se fondre dans le sien. Maintenant, c’est là…

Je ne suis pas encore tout à fait vieille. Pas tout à fait. Mais la jeunesse s’est effritée, grain par grain. Je scrute ce reflet, cherchant la punkette qui écoutait The Clash en fumant des pétards, en sniffant du speed. Elle est là, quelque part, par éclairs, mais elle s’estompe, éclipsée par cette femme qui porte les marques du temps, les mêmes que celles de ma mère. Ses cheveux qui s’argentent discrètement, ses yeux qui s’éteignent derrière les verres progressifs, ses lèvres qui se pincent quand je réfléchis ou quand je stresse.

Je me demande si elle aussi, à mon âge, s’arrêtait devant son miroir, et voyait les traits de sa mère.

Vieillir, c’est étrange. Ce n’est pas juste un corps qui ralentit ou des cheveux qui blanchissent. C’est ce face-à-face avec l’héritage. Je me demande si je porte aussi ses silences, ses regrets, ces choses qu’elle n’a jamais dites.

Elle est en moi, dans mes os, dans mes gestes. Mais est-ce que je deviens elle, ou est-ce que je deviens moi, version usée ? Le miroir ne répond pas. Il se contente de me renvoyer ce visage, mi-mien, mi-sien, un écho de celle qui m’a faite. 

Vieillir, c’est peut-être ça : accepter qu’on est plus que soi-même, un pont entre ce qui était, ce qui est, et ce qui ne sera plus.

Evelyne Josse

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