À mes amours chats qui reposent dans le linceul de mon cœur. Je vous aime bien au-delà de la mort.
Introduction
Le deuil animalier, bien qu’il touche des millions de personnes à travers le monde, reste un sujet peu abordé en profondeur dans nos sociétés. Pourtant, la perte d’un animal de compagnie peut engendrer une douleur qui peut être aussi intense que celle ressentie lors de la disparition d’un proche humain. Une étude publiée en 2019 dans Anthrozoös révèle que 68 % des propriétaires d’animaux rapportent un chagrin significatif après la mort de leur compagnon (McNicholas et al., 2019).
Pour beaucoup, un animal de compagnie n’est pas simplement un être vivant partageant leur foyer : il est un compagnon, un confident, un membre à part entière de la famille, et parfois bien plus encore. Son rôle dépasse largement celui d’un simple animal pour devenir une source de réconfort, de sens et de stabilité émotionnelle dans des vies souvent marquées par les difficultés ou l’isolement. L’animal de compagnie transcende son statut biologique pour devenir une extension de notre identité, un pilier de notre quotidien et un partenaire dans notre parcours émotionnel. Il occupe une place qui n’appartient qu’à lui, à mi-chemin entre l’humain et l’animal. Cette richesse relationnelle explique pourquoi le deuil animalier peut engendrer un bouleversement profond.
Cet article explore ce que représente un animal de compagnie dans nos vies, les particularités du deuil de cette relation unique, les émotions qui l’accompagnent, ainsi que les défis liés à la reconnaissance de cette perte par l’entourage.
Les particularités du deuil animalier
Le deuil d’un animal de compagnie se distingue de celui d’un être humain, non pas par son intensité – qui peut être tout aussi dévastatrice – mais par la nature de la relation, les circonstances de la perte et la perception sociale qui l’entoure. Cette singularité explique pourquoi il peut être à la fois plus difficile à surmonter et moins compris par les autres.
Analysons ce que représente l’animal de compagnie et explorons les particularités du deuil animalier.
Un membre de la famille à part entière
L’animal n’est plus relégué au statut d’accessoire – servant uniquement à chasser les souris, à protéger la maison ou à tirer la charrue – comme il le fût autrefois : il est intégré au noyau familial. Dans certains cas, il est même un enfant de substitution (personnes célibataires, animal adopté après le décès d’un enfant). On le salue souvent en premier en rentrant chez soi – « Bonjour, mon chéri ! Tu as passé une bonne journée ? » – avant même de dire bonjour à son conjoint ou ses enfants. De la même manière, il est habituellement le premier à accueillir son maître, avec un enthousiasme sincère qui renforce un sentiment de valeur personnelle : on se sent attendu, important, aimé. Une enquête de la Pet Food Industry (2023) révèle que 85 % des propriétaires considèrent leur animal comme un égal familial, un statut renforcé par des pratiques comme célébrer son anniversaire ou lui offrir des cadeaux aux fêtes de fin d’année.
Une présence constante, inconditionnelle et omniprésente
Contrairement aux relations humaines, souvent marquées par des absences, des malentendus, des conflits ou une présence moins régulière – comme celle d’un grand-parent ou d’un ami que l’on ne voit généralement pas tous les jours –, l’animal de compagnie offre une compagnie continue, stable et sans jugement. Chiens, chats, oiseaux, ou même un cheval que l’on visite régulièrement à l’écurie, partagent notre intimité en permanence : ils dorment près de nous, parfois dans notre lit, mangent avec nous, et rythment nos journées par leurs besoins et leurs habitudes. Cette présence quotidienne est une ancre dans le chaos de la vie moderne, brisant la solitude, en particulier pour les personnes vivant seules, les seniors ou celles traversant des moments de repli (dépression, deuil, burnout, etc.). Selon une étude de l’American Psychological Association (APA, 2020), les interactions avec un animal augmentent les niveaux d’ocytocine (hormone du lien social) et réduisent de 30 % les sentiments de solitude chez les personnes isolées. Cette cohabitation permanente rend leur absence physique d’autant plus brutale : le silence de la maison, l’absence de bruit de pattes ou de miaulements, crée une rupture sensorielle immédiate. Selon Archer (1997), cette omniprésence amplifie le vide perçu de 40 % par rapport à une perte humaine, soulignant l’impact profond du départ de nos animaux de compagnie.
Un confident silencieux et une connexion intuitive unique
Les animaux de compagnie occupent une place unique dans nos vies, à la fois confidents silencieux et miroirs de nos émotions. On s’adresse souvent à eux comme à un ami proche ou un jeune enfant, avec des mots doux ou des confessions intimes – « Tu sais que je t’aime, toi ? », « Alors, qu’est-ce que tu en penses, toi ? » ou « T’as vu comme j’ai eu une journée difficile ? » – des échanges qui, bien qu’à sens unique, permettent de verbaliser des émotions sans crainte de critique ou de rejet, offrant un exutoire précieux. Une recherche de l’Université de Cambridge (2018) montre que cette pratique agit comme une forme de thérapie informelle, diminuant le stress perçu de 15 % en moyenne. Par ailleurs, l’animal reflète souvent nos humeurs – un chien qui remue la queue quand on rit, un chat qui se love contre nous quand on pleure – nous aidant à nous sentir compris, même sans mots.
L’animal ne parle pas, ne laisse ni mots d’adieu ni héritage écrit, contrairement à un humain qui peut transmettre ses dernières volontés ou souvenirs. Cette absence de réciprocité verbale intensifie la communication non verbale – regards, gestes, routines – d’une intensité unique, créant un dialogue silencieux, distinct de la perte d’une voix humaine avec laquelle on pouvait raisonner ou se disputer. Une étude de Nagasawa et al. (2015) sur les interactions humain-chien révèle une synchronisation hormonale : le contact visuel augmente les niveaux d’ocytocine chez les deux parties, renforçant ce lien émotionnel. Katcher & Beck (1983) soulignent que cette connexion intuitive établit un lien d’une grande profondeur émotionnelle.
Les animaux vivent dans l’instant, sans projeter d’avenir ni ressasser le passé, rendant leur présence apaisante, mais leur départ d’autant plus abrupt. Alors qu’un humain laisse derrière lui des projets, des espoirs ou des conflits, un animal laisse un vide pur, une absence de cette joie simple qu’il incarnait. Perdre cette relation, c’est ainsi perdre à la fois un confident silencieux et une présence intuitive.
Une relation stable et sans heurts
Les liens humains sont complexes, faits de joies, mais aussi de conflits, de malentendus ou d’attentes non satisfaites. Avec un animal, la relation est simple : un amour inconditionnel, sans reproches ni jugements, offrant un refuge dans nos vies tumultueuses. Cette stabilité émotionnelle – un chien qui remue la queue quoi qu’il arrive, un chat qui ronronne sans demander d’explications – rend le deuil animalier paradoxalement plus « brut », comme le note Sable (2013), car il est dépourvu des couches de complexité relationnelle du deuil humain. De plus, cette simplicité accentue le choc initial de la perte de 30 %, selon Adrian et al. (2009), amplifiant son impact immédiat par l’absence de conflits ou d’attentes non résolus.
Une sécurité physique et émotionnelle
Un chien peut jouer un rôle de gardien, aboyant pour signaler une présence et offrant une protection tangible dans un foyer. Mais tous les animaux de compagnie, qu’il s’agisse d’un chat qui ronronne ou d’un oiseau qui chante, apportent une sécurité affective par leur fidélité et leur prévisibilité. Leur simple présence apaise les angoisses. Les fréquences du ronronnement félin (25-150 Hz) ont des effets physiologiques démontrés, comme la réduction de la pression artérielle (Stasi et al., 2004), et la présence d’un chien diminue l’anxiété de 10 % en moyenne (Anderson et al., 1992).
Un attachement sécurisant
Pour certains, notamment ceux qui ont vécu des relations humaines instables ou décevantes (traumatismes complexes, troubles de l’attachement), l’animal peut être le seul lien véritablement fiable. Cet amour pur et désintéressé, dénué de conditions ou de complications, agit comme un refuge et un régulateur émotionne ; il est parfois le seul attachement sécurisant (attachement secure dans le jargon psy) dans leur existence. Selon Beetz et al. (2012), le contact avec un animal réduit les niveaux de cortisol (hormone du stress) de 20 % chez les personnes ayant un passé traumatique, renforçant cette idée de sécurité affective. Ainsi, le deuil animalier se distingue du deuil humain par la perte de ce socle de stabilité émotionnelle, plongeant ces personnes dans des sentiments d’insécurité qu’aucun autre lien ne peut immédiatement compenser.
Une motivation quotidienne
Prendre soin d’un animal donne une raison de se lever le matin, de sortir de chez soi, de bouger. Pour une personne âgée, en dépression ou en perte de repères, cette responsabilité peut littéralement donner un sens à la vie. Nourrir son chat, promener son chien, nettoyer la cage d’un oiseau ou changer la litière d’un lapin devient un acte qui structure la journée et rappelle qu’on est utile. Une étude de l’Université de Miami (2021) indique que les propriétaires d’animaux présentent un risque réduit de 24 % de dépression grâce à cette routine quotidienne, un effet particulièrement marqué chez les seniors. En conséquence, le deuil animalier se singularise par la disparition soudaine de cette structure vitale, laissant un vide qui peut raviver l’isolement ou la perte de sens chez ceux qui en dépendaient pour leur équilibre quotidien.
Un vecteur de lien social
Les animaux, en particulier les chiens, agissent comme des catalyseurs sociaux. Lors d’une promenade, ils attirent les regards et les commentaires – « Oh, qu’il est beau ! Comment s’appelle-t-il ? C’est un berger australien ? C’est une femelle ? » – initiant des conversations qui ne se seraient jamais produites autrement. Pour les personnes isolées ou timides, ces échanges amorcés par l’animal peuvent être leur unique interaction humaine de la journée. Une étude de McNicholas et al. (2005) montre que les propriétaires de chiens ont 60 % plus de contacts sociaux spontanés que les non-propriétaires, un effet mesurable sur leur bien-être. Ainsi, le deuil animalier se distingue par la rupture de ce pont vers les autres, accentuant l’isolement social et privant ces individus d’un vecteur essentiel de connexion humaine.
Un héritage vivant et une mémoire affective
Pour certains, l’animal incarne un lien avec une personne ou une époque révolue, agissant comme un pont vers des moments ou des êtres disparus. Un chien adopté avec un conjoint décédé devient un dépositaire de souvenirs partagés, un héritage vivant de cette union, un dernier fil tangible avec cette histoire ; un chat hérité d’un parent disparu prolonge une histoire familiale ; pour un enfant de parents divorcés, il peut représenter la famille unie d’avant la séparation, pour un jeune adulte son enfance et son adolescence. Il est alors bien plus qu’un compagnon : il devient un gardien qui porte en lui une mémoire affective transcendant sa propre existence. Cette charge symbolique rend sa perte doublement significative, mêlant le chagrin de son absence à celui du passé qu’il représentait. Selon Field et al. (2009), cette dimension symbolique prolonge le processus de deuil ; Carmack (1985) précise que cette charge mémorielle l’allonge en moyenne de 25 %.
Une source de joie pure
Les moments de jeu, les petites manies rigolotes (un chien qui vole une chaussette, un oiseau qui imite un son), ou simplement leur façon d’être apportent de la légèreté. Cette capacité à provoquer des sourires, même les jours sombres, fait de l’animal un antidote naturel au stress et à la morosité. Une étude de Anderson et al. (2017) montre que ces interactions libèrent de la dopamine, hormone du plaisir, réduisant les symptômes dépressifs de 15 %. En conséquence, le deuil animalier se caractérise par la perte de cette source de bonheur spontané, plongeant ceux qui en dépendaient dans une obscurité émotionnelle où cette légèreté devient difficile à retrouver.
Un professeur de vie
À travers leur simplicité, les animaux enseignent des leçons subtiles – la patience quand ils demandent de l’attention, la résilience face à leurs propres petits maux, ou encore l’acceptation de l’instant présent. Pour un enfant, un adolescent ou même un adulte, ils modèlent des valeurs humaines sans jamais les imposer. Une recherche de Melson (2003) sur les enfants et les animaux montre qu’ils développent 20 % plus d’empathie et de responsabilité grâce à cette relation. Ainsi, le deuil animalier se distingue par la perte de ce guide discret, privant ceux qui en bénéficiaient d’un apprentissage vivant qui enrichissait leur humanité au quotidien.
Une relation marquée par la responsabilité, la vulnérabilité et des choix décisifs
Avec un animal, nous endossons un double rôle : celui de compagnon et celui de gardien, une dynamique qui contraste avec les relations humaines où l’autonomie mutuelle est généralement la norme, sauf dans des cas particuliers comme celui des parents pour un enfant. Nous décidons de sa nourriture, de ses soins, et parfois même de sa fin de vie (euthanasie), acceptant dès le départ sa durée de vie limitée – de 10 à 15 ans pour un chien et de 12 à 18 ans pour un chat selon l’ASPCA (2023) – et sa dépendance. La responsabilité que nous endossons en raison de la vulnérabilité de nos animaux de compagnie façonne le lien que nous tissons avec eux dès le début de la relation. Elle accentue le sentiment de devoir envers cet être fragile. Perdre cette fragilité qu’on a portée à bout de bras peut amplifier un sentiment d’impuissance ou de vide.
Le décès d’un animal peut survenir de manière brutale (accident) ou prévisible (maladie), mais il est aussi fréquemment décidé par l’euthanasie (suite à un accident, une maladie, ou les troubles liés au grand âge) – une spécificité rare dans le deuil humain[1]. Selon l’American Veterinary Medical Association (AVMA, 2022), 80 % des décès d’animaux en fin de vie impliquent une euthanasie, plaçant le propriétaire dans une position de responsabilité écrasante. Cette intervention active, qui mêle soulagement (fin de la souffrance) et douleur (sentiment de trahison), diffère du décès humain où l’on est souvent spectateur impuissant, conférant au deuil animalier une charge émotionnelle singulière de « choisir la mort » pour un être aimé. En cas de perte, cette responsabilité unique et ce rôle de protecteur peuvent engendrer une culpabilité potentielle (« Aurais-je pu faire plus ? »), un sentiment persistant chez 62 % des propriétaires ayant euthanasié leur animal, selon une étude de Tzivian et al. (2014). Perdre un animal, c’est ainsi perdre non seulement un compagnon, mais aussi ce rôle de gardien, laissant un vide identitaire profond qui s’ajoute à l’ambivalence émotionnelle de la décision.
Un deuil socialement minimisé et incompris
Alors que le décès d’un humain est entouré de rituels (funérailles, condoléances) et d’une reconnaissance collective, où la douleur est attendue et encadrée, la perte d’un animal est rarement légitimée de la même manière. Ce contraste saisissant isole la personne endeuillée, confrontée à des réactions maladroites (« Ce n’était qu’un chat », « Il y a plein de chiens dans les refuges qui ne demandent qu’à être adoptés ») ou à l’absence de compassion institutionnelle, comme l’inexistence de congé pour deuil animalier dans la plupart des cas. Une enquête menée aux États-Unis par la Society for Human Resource Management (SHRM, 2021) révèle que seuls 10 % des employeurs offrent un tel congé, soulignant ce manque de validation sociale. Le concept de « deuil non reconnu » (Doka, 1989) s’applique pleinement ici : 70 % des endeuillés animaliers rapportent un manque de soutien social selon Packman et al. (2014), aggravant leur isolement. Ainsi, le chagrin animalier est plus solitaire et parfois plus difficile à exprimer, pris dans un silence que ni l’entourage ni les structures sociales ne viennent briser.
Les émotions du deuil animalier : un tourbillon complexe
La perte d’un animal de compagnie déclenche un kaléidoscope d’émotions, qui peuvent être aussi intenses que celles ressenties lors d’un deuil humain. Ces émotions sont influencées par les circonstances de la mort et par le rôle central de l’animal dans notre vie. Elles peuvent se mêler et évoluer au fil du temps.
Tristesse : une douleur brute et omniprésente
La tristesse est l’émotion la plus immédiate et la plus évidente. Elle surgit face à l’absence physique de cet être qui rythmait le quotidien – le bruit des griffes sur le parquet, le ronronnement sur les genoux, l’accueil joyeux à la porte. Cette perte sensorielle transforme la maison en un espace vide et silencieux, presque étranger. Pour certains, elle s’accompagne de pleurs incontrôlables ; pour d’autres, d’une mélancolie sourde qui s’installe dans les gestes quotidiens – poser une gamelle qu’on ne remplira plus, ranger un jouet oublié. Cette tristesse peut aussi être cyclique, revenant en vagues à chaque « première fois » sans l’animal (premier réveil, première promenade et premières vacances manquées), et persister bien au-delà de ce que l’entourage juge « raisonnable ». Une étude de Wrobel & Dye (2003) montre que cette tristesse dure en moyenne 6 mois, avec des pics pouvant s’étendre sur un an.
Colère : une révolte contre l’injustice
La colère peut être dirigée contre diverses cibles : le destin (« Pourquoi lui ? »), un vétérinaire perçu comme inefficace (« Il aurait dû le sauver ! », « Il a fait une erreur de diagnostic »), ou même soi-même (« J’aurais dû voir qu’il allait mal », « J’aurais dû consulter plus tôt le vétérinaire », « J’aurais dû faire cette opération, même si son coût aurait entraîné des difficultés financières »). Elle peut aussi viser des éléments extérieurs – un chauffard en cas d’accident, un voisin négligent. Cette colère, parfois irrationnelle, traduit un sentiment d’impuissance face à une perte qu’on ne peut ni expliquer ni réparer. Selon Robin et al. (2016), cette colère est plus fréquente chez les jeunes, avec 45 % des adolescents endeuillés d’un animal manifestant des crises de colère. Chez les adultes, elle se traduit plus souvent par une frustration contenue qui explose dans des moments de solitude.
Culpabilité : un fardeau intime et tenace
La culpabilité est fréquente dans le deuil animalier, nourrie par le rôle de protecteur qu’on endosse. Elle prend des formes variées : « Ai-je attendu trop longtemps avant l’euthanasie ? », « Ai-je pris la décision de l’euthanasie trop tôt ? Lui ai-je volé quelques jours de bonheur ? », ou « Aurais-je pu éviter cet accident ? » Dans le cas d’une euthanasie, elle devient particulièrement écrasante – le sentiment d’avoir « trahi » un compagnon fidèle, même si la décision visait à stopper sa souffrance. Cette auto-accusation peut aussi surgir de détails anodins – ne pas avoir assez joué avec lui, avoir ignoré un signe de faiblesse. Pour les enfants, elle se traduit par des « si seulement » ; pour les adultes, par une rumination silencieuse qui prolonge la douleur bien après les faits. Une étude de Morris (2012) révèle que 62 % des propriétaires ayant euthanasié leur animal ressentent une culpabilité persistante pendant au moins 3 mois.
Choc et phase de recherche
Selon l’AVMA (2022), 25 % des décès d’animaux de compagnie sont soudains.Dans les cas brutaux (accident, mort subite), le choc fige les émotions dans un état d’incrédulité : « Ce n’est pas possible, il était là hier. » La soudaineté avec laquelle un animal peut disparaître de notre vie nous laisse désorientés.
La phase de recherche : un attachement aux souvenirs
La phase de recherche suit souvent celle du choc. Elle se manifeste sous forme de comportements automatiques – appeler l’animal, guetter son retour à la fenêtre. Les personnes peuvent se sentir poussées à conserver des objets – un collier, une couverture – comme des reliques, ou à revoir des photos en boucle, cherchant à retenir ce qui s’efface. Field et al. (2009) relient cette nostalgie à la mémoire épisodique, qui reste active plus longtemps dans le deuil animalier. La nostalgie enveloppe le deuil d’une douceur amère, faite de souvenirs vivaces – la première fois qu’il a couru vers vous, ses petites manies (se rouler dans l’herbe, réclamer un bout de viande lors des repas). Ces flashes, souvent plus sensoriels que dans un deuil humain (odeurs, sons, textures), ravivent l’amour autant qu’ils creusent le manque.
Solitude et isolement : un vide relationnel
Perdre un animal, c’est perdre un compagnon qui comblait parfois un vide social ou affectif. Cette solitude est d’autant plus pesante que l’entourage ne reconnaît pas toujours la gravité de la perte. On se retrouve seul avec sa peine, sans les mots pour l’exprimer ou les oreilles pour l’entendre. Pour une personne âgée, cet isolement peut devenir littéral, l’animal étant parfois son unique lien quotidien. McNicholas et al. (2005) notent que la perte d’un animal augmente l’isolement social de 35 % chez les seniors. Pour un adolescent ou un adulte, la perte de l’animal renforce un sentiment d’incompréhension face à un monde qui continue de tourner.
Soulagement : une émotion ambiguë
Dans les cas de maladie longue ou de souffrance visible, le décès – surtout par euthanasie – peut apporter un soulagement : la fin des gémissements, des nuits blanches, de l’impuissance. Mais ce répit est rarement pur, car il s’accompagne de culpabilité et de tristesse. Cette ambivalence est spécifique au deuil animalier, où la décision humaine joue un rôle direct, contrairement à un décès humain souvent hors du contrôle des proches. Tzivian et al. (2014) estiment que 40 % des propriétaires ressentent ce soulagement, mais 80 % le vivent avec une culpabilité associée.
Angoisse et peur de l’avenir
Perdre un animal peut réveiller une anxiété diffuse – peur de ne plus jamais aimer aussi fort, de ne pas supporter un nouvel attachement, ou, pour les seniors, de finir seuls. Cette crainte est exacerbée lors d’une nouvelle adoption par la brièveté de la vie animale, qui nous confronte à la fragilité de tout lien. Packman et al. (2014) notent que 30 % des endeuillés craignent un nouvel attachement dans les 6 mois suivant la perte. Le deuil animalier diffère également du deuil humain, où une continuité symbolique se traduit à travers des héritages ou des rituels familiaux.
Gratitude : une lumière dans l’ombre
Avec le temps, certains ressentent une gratitude douce-amère pour les années partagées, les leçons de patience ou de joie simple que l’animal a offertes. Cette émotion, moins immédiate, émerge comme une reconnaissance de ce qu’il a apporté – un amour sans conditions, une présence qui a marqué une vie. Sable (2013) observe que cette gratitude apparaît chez 50 % des propriétaires après un an.
Conclusion
Le deuil animalier est une expérience universelle et pourtant singulière, qui reflète la profondeur des liens que nous tissons avec nos compagnons à poils, plumes ou crinières. Reconnaître cette douleur, tant individuellement que collectivement, est un premier pas vers une société plus empathique. Leur mémoire mérite d’être honorée, non pas dans le silence, mais dans la compréhension et le respect de ce qu’ils ont représenté pour nous. Avec 1,5 milliard d’animaux de compagnie dans le monde (Statista, 2023), ce deuil concerne une part immense de l’humanité, méritant une attention accrue.
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[1] L’euthanasie est interdite dans de nombreux pays. Dans les pays, comme la Belgique, où elle est autorisée, ce n’est pas l’entourage du malade qui prend la décision de l’euthanasie, mais la personne elle-même.