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Préface d’Evelyne Josse. « Accompagner la mort et le deuil : une approche pratique pour le milieu hospitalier » de Christiane Steffens-Dhaussy, Satas, 2021.

1988

Je suis psychologue, toute fraîche émoulue de l’université. Je débute ma carrière professionnelle au service des maladies infectieuses d’un hôpital universitaire situé à Bruxelles. Mon service est le centre de référence incontesté pour la prise en charge des personnes atteintes par le VIH. Les médecins affinent leurs savoirs face à cette pathologie inconnue, rapidement devenue pandémique. Les traitements antirétroviraux n’existent pas encore et ils soignent du mieux qu’ils peuvent les maladies opportunistes et les cancers dont souffrent les malades. Dès qu’ils entrent dans le stade SIDA, les patients se savent voués à une mort certaine. Combien de temps leur reste-t-il à vivre ? Quelques mois ? Quelques années ? Généralement, pas beaucoup plus de trois ans.

Ce jour-là, je suis attablée à la cafétaria. Une collègue s’approche de la table à longues enjambées, elle se penche vers moi et me chuchote à l’oreille qu’un de mes patients vient de passer à trépas. C’est mon premier décès. J’ai l’impression que tout s’arrête autour de moi. Il me faut quelques minutes pour sortir du brouillard épais qui subitement m’a enveloppée. Prévisible, cette mort me semble pourtant abrupte, inattendue. Elle sera la première d’une longue série.

Cinq ans plus tard, lorsque je quitterai le service, la liste de mes patients décédés sera beaucoup plus longue que celle des malades en vie dont j’ai la charge. Au fil du temps, j’apprendrai à « perdre » des patients avec lesquels j’ai établi des relations profondes durant leurs longs séjours hospitaliers.

Oui, le deuil des soignants existe. Le quotidien dans ce service me l’enseignera. Parce qu’ils sont atteints par le SIDA, une maladie effrayante jugée honteuse, certains malades sont abandonnés et rejetés par leur famille. La relation empathique qui se noue avec ces esseulés peut être intense. Les limites et la distance s’estompent parfois. Quelle est la juste proximité à tenir avec les patients qui ne sont ni des membres de la famille ni des amis ? Quelle distance conserver tout en restant professionnel ? Qu’aurais-je eu besoin à l’époque ? Une supervision ? Un groupe de parole ? Certainement.

Le présent ouvrage de Christiane Steffens-Dhaussy m’aurait également été d’une aide substantielle. Il répond à de nombreuses questions que se posent les soignants. Ce sont ces malades du SIDA, ces morts en sursis, qui les premiers m’inciteront à m’intéresser à ce deuil si particulier, celui que l’on fait de sa propre vie.

Je lis avec avidité les travaux d’Elisabeth Kulber Ross. Elle aussi œuvre auprès des malades du SIDA. Ses livres m’apporteront des réponses et m’offriront quelques précieuses clés pour cheminer dans cet univers si particulier. Christiane Steffens-Dhaussy en fait autant dans le sien.

1995.

J’exerce en qualité de psychologue dans le service d’oncologie pédiatrique d’un centre hospitalier universitaire. Il est 7h15. Je viens à peine d’enfiler ma blouse blanche lorsque la cheffe infirmière me demande de me rendre auprès de parents en détresse.

La nuit, un garçonnet a été admis dans le service. Il a été rapatrié d’urgence d’Espagne où il était en vacances avec ses parents. Il est en arrêt cardiaque. Le personnel médical tente l’impossible pour le réanimer. Les parents, tétanisés d’angoisse, sont devant la porte de la chambre où se joue le destin de leur progéniture. « Est-ce qu’il va vivre ? » demande le père aux infirmiers et aux médecins qui entrent et sortent prestement de la chambre. « Est-ce qu’il va s’en sortir ? » questionne la mère. Les réponses ne sont pas rassurantes : « Je ne sais pas, Monsieur. », « Je ne sais pas, Madame. » Le cœur « repart » enfin et l’enfant est transféré à l’unité de soins intensifs.

Pour l’heure, il est sauvé mais qu’en est-il de l’avenir ? Il est atteint d’une maladie cancéreuse qui nécessitera peut-être une greffe de moëlle osseuse par un donneur. Le pronostic est sombre. J’accompagne les parents aux soins intensifs. Nous sommes tous les trois assis au chevet de l’enfant qui repose inconscient sur sa couche d’hôpital, plus pâle que les draps qui le couvrent.

Que dire à des parents lorsque le processus vital de leur fils unique de cinq ans est engagé ? Que faire ?

Je suis stressée, je me sens gauche, j’ai l’impression que je devrais dire quelque chose, mais les mots s’effacent dans mon esprit avant même de se former. Nous restons tous les trois silencieux. Ensemble.

Quelques semaines plus tard, ils me remercieront chaleureusement. Ils m’exprimeront à quel point ma présence silencieuse les a soutenus. Ils étaient en proie à la peur et rien que le fait que je sois à leurs côtés les avait rassurés. « Je n’ai pas fait grand- chose. », leur avais-je répondu. « Vous avez fait exactement ce dont nous avions besoin. Il n’y avait rien à dire. C’est bien que vous n’ayez rien dit. Nous étions terrorisés et nous avions juste besoin de ne pas être seuls. »

Ces parents m’ont appris à savoir être, un savoir inestimable, aussi précieux que celui que nous enseignent les professeurs. Sans nul doute, un livre tel que celui-ci m’aurait apporté des conseils et m’aurait armé pour faire face aux situations dramatiques rencontrées dans l’exercice de ma profession. Le petit a survécu, non sans quelques séquelles malheureusement.

Vingt-cinq ans plus tard, la vie me remettra sur le chemin de sa maman. Elle me dira : « Vous étiez notre roc. Vous étiez tellement solide ! Nous nous reposions sur vous. Je me rends compte aujourd’hui que nous avons à peu près le même âge. Je ne réalisais pas cela à l’époque. En fait, vous étiez jeune. Comment avez-vous pu affronter tout cela ? »

Venir en aide à des patients en détresse et accueillir les angoisses et la douleur des familles représente sans conteste un poids émotionnel important. Les émotions fortes, telles que les angoisses et la tristesse, sont contagieuses. Elles se communiquent inévitablement aux soignants.

Cette confrontation à la souffrance et à la mort est certainement un des facteurs majeurs de l’épuisement professionnel du personnel hospitalier. Dans cet ouvrage, Christiane Steffens- Dhaussy délivre aux soignants quelques trucs et astuces pour qu’ils puissent alléger leur charge émotionnelle et prendre soin d’eux-mêmes.

Quelques mois plus tard… 21h30, un soir de Noël, en famille. Nous venons de terminer l’entrée. Un délice. La maîtresse de maison est un véritable cordon bleu. Nous nous apprêtons à faire honneur au plat principal lorsque la sonnerie du téléphone retentit. Au bout du fil, une collègue infirmière. Une enfant de six ans se meurt. Sa mère est affolée et réclame ma présence à ses côtés. J’attrape une veste et mon sac à main. Je quitte la chaleur du foyer. Le froid de l’hiver est piquant. Je m’engouffre dans la voiture et je file en direction de l’hôpital. Dans mon esprit, la fête est déjà loin. Le silence assourdissant qui règne dans la voiture contraste avec la conversation légère de la tablée. J’arrive dans le service, plongé dans une demi-pénombre et quasi désert à cette heure tardive.

La petite est allongée sur son lit dans sa chambre. Elle respire à peine. La mère, affolée par la mort, s’est réfugiée dans la salle de jeu, recroquevillée dans un fauteuil. A sa demande, je fais l’aller-retour d’une pièce à l’autre pour l’informer de l’évolution de l’agonie.

La fillette rend son dernier souffle. « C’est fini, Madame… » La maman s’effondre. Elle refuse de voir le corps sans vie de son enfant. Je suis intimement persuadée que c’est sa peur qui parle et non son cœur. Je crains qu’elle regrette, plus tard, de ne pas avoir fait ses adieux à sa fille. J’insiste donc pour qu’elle affronte la situation, avec mon soutien. Je m’installe sur un siège, dans la chambre de la défunte. Elle vient s’asseoir en s’emboîtant entre mes jambes. Je l’enveloppe de mes bras. Deux infirmières soulèvent délicatement le corps de la petite et le déposent sur les genoux de la maman. Nous resterons un long moment ainsi lovées, sans rien dire. L’angoisse de cette mère désenfantée s’apaise peu à peu. Reste son insondable tristesse.

Plus tard, elle me remerciera, confirmant l’importance de cet inestimable moment. « Sans vous, je n’y serais jamais arrivée et je l’aurais regretté toute ma vie. » me dira-t-elle.

La qualité de l’accompagnement et de la séparation ultime influence la manière dont l’entourage entame son deuil. S’ils ont été respectés et soutenus et si le malade a été soigné correctement et traité avec humanité, la charge émotionnelle s’en trouve adoucie et le risque de deuil compliqué ou pathologique, diminué.

Cet ouvrage donne des pistes sur les comportements, les paroles et les gestes à adopter pour aider les proches dans ces moments pénibles.

Dans ce service d’oncologie pédiatrique, des enfants souffrent, certains meurent. Les parents, les frères et les sœurs, les grands-parents, les tantes et les oncles sont éprouvés. Les soignants prennent en charge la souffrance des petits patients et de leur famille. Ils prennent sur eux-mêmes pour les soutenir. Le deuil de l’entourage du défunt est à l’avant plan. Mais qu’en est-il du deuil des soignants confrontés à la perte des enfants dont ils ont pris soin, souvent durant plusieurs mois, parfois pendant plusieurs années ? Certes, leur deuil ne peut être comparé à celui qui accable les parents, mais peut-il être nié pour autant ? Quelle place peut-on légitimement accorder à sa propre souffrance lorsqu’on a pour rôle de soutenir et d’épauler les proches ? Comment gérer ces deuils lorsqu’ils se succèdent sans répit ?

Ce livre est d’une valeur considérable, car il aborde toutes ces questions sans détours. C’est pourquoi, j’ai plaisir à le préfacer. Nul doute que vous aussi vous le trouverez d’une grande richesse par l’importance du sujet qu’il traite et par l’aide qu’il peut vous offrir.

Dans nos sociétés, au cours des dernières décennies, de plus en plus de personnes décèdent derrière les murs de l’hôpital. Que se passe-t-il derrière ces murs ? Christiane Steffens-Dhaussy nous ouvre les portes des services de néonatologie, de pédiatrie, d’oncologie, de soins palliatifs, des soins intensifs, des unités où sont traités les malades atteints de la COVID-19 et de la morgue. Elle nous ouvre le cœur des personnes en fin de vie et de leur famille, y compris celui des enfants afin que nous comprenions mieux leur vécu et leurs besoins. Tout au long de l’ouvrage, elle distille des conseils pratiques pour nous permettre d’actualiser tout notre potentiel de soignant et pour nous nous aider à prendre soin de nous.

Un ouvrage à mettre entre toutes les mains des infirmiers, sages-femmes, aides-soignants, médecins, psychologues, aumôniers, assistants sociaux, ergothérapeutes, agents techniques, réceptionnistes et tout autre membre du personnel hospitalier !

À propos du livre

C’est un petit guide de voyage qui, riche d’expériences, vous invite à visiter une multitude de situations et à en tirer des actions concrètes pour accompagner la fin de vie et le deuil.

Vous y trouverez des thèmes comme le vécu d’une mort abrupte par rapport à celui d’une mort annoncée, les différentes cultures de deuil, l’accueil des enfants en réanimation, des idées créatives face aux défis de la pandémie, la prévention du burn-out ainsi que des techniques pour garder votre équilibre personnel.

Préfaces d’Evelyne Josse, Association Française de Nouvelle Hypnose, et du Dr Marco Klop, Président de l’Institut Milton Erickson du Luxembourg.

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