Les intervenants d’aide de deuxième ligne face aux victimes d’attentat

Article paru sur http://www.secunews.be le 16 avril 2016. Pour voir l’article sur le site de secunews, cliquez ICI.

Il existe deux niveaux d’intervention auprès des victimes d’attentat. La première ligne implique les aidants en contact direct avec les victimes en situation de crise et dans son décours immédiat. Des professionnels interviennent ensuite, à distance de la crise et dans un second temps, auprès des victimes directes et leurs proches en détresse : policiers, enquêteurs, avocats, magistrats, psychothérapeutes, psychologues, psychiatres exerçant en cabinet ou au sein d’institutions, etc.

Une souffrance spécifique : la traumatisation vicariante

Les intervenants de deuxième ligne n’ont pas vécu ni été témoins des actes terroristes mais ils sont concernés par eux et/ou par leurs conséquences du fait de leur proximité émotionnelle avec les victimes directes et avec leurs proches. En s’engageant auprès d’eux, ils sont confrontés à la souffrance mystérieuse des victimes, à leurs témoignages poignants ou à leur silence persistant. Les émotions ainsi éprouvées peuvent induire chez eux une souffrance psychologique, plus ou moins intense et plus ou moins tardive, appelée traumatisation vicariante. Lorsqu’ils souffrent de tels troubles, les intervenants sont considérés comme des victimes tertiaires.

Le terme «vicariant» signifie «qui prend la place d’un autre» et désigne un organe ou une fonction qui joue le rôle d’un autre organe ou d’une autre fonction déficients. Résumons : par traumatisme vicariant, on entend les changements profonds et cumulatifs présentés par un sujet en contact avec des personnes en détresse, au niveau privé ou professionnel, et résultant de la surcharge émotionnelle induite par empathie ou sympathie.

Les effets de la traumatisation vicariante se cumulent avec le temps. Dans sa forme ultime, elle conduit à la fatigue de compassion, également nommée usure de compassion. La compassion est un sentiment qui porte à percevoir ou à ressentir la souffrance d’autrui et pousse à y remédier.

La traumatisation vicariante et la fatigue de compassion ont pour effet majeur une modification de la vision de soi et du monde : perte du sentiment de sécurité et de confiance, de la capacité à être en connexion avec les autres, désespoir, cynisme, désillusion, perte de l’estime de soi, négativité au travail, tendance au blâme, identification à la victime, etc.

Les facteurs de traumatisation tertiaire

Les facteurs personnels

Les personnes dévouées par nature et spontanément très investies dans la relation sont plus à risque de développer une traumatisation vicariante. L’altruisme et l’abnégation les conduisent à s’effacer et à se dépasser au mépris de leur besoin de repos et de détente. Il en est de même pour les personnes mues par une conscience professionnelle extrême qui les pousse à dépasser le seuil physiquement acceptable. Le besoin de reconnaissance, de valorisation, de gratification ou d’être apprécié à hauteur de son dévouement peut également contribuer à les faire passer au-delà de leurs limites.

Devant la souffrance effroyable des victimes et de leur entourage, les aidants peuvent se sentir démunis et déficients à leur fournir un soutien efficace. Plus ils surestiment leur responsabilité à soulager les personnes en détresse, plus ils risquent de souffrir d’un sentiment d’impuissance et d’inefficacité. La solitude existentielle et le sentiment d’isolement psychoaffectif, les difficultés personnelles, la résonance particulière que certaines situations revêtent à un moment de leur histoire ainsi que la réactivation de traumatismes personnels antérieurs peuvent également fragiliser les aidants.

Les facteurs professionnels

Recueillir de façon répétée le témoignage des victimes exprimant la souffrance, la terreur, le chagrin, la détresse, l’horreur, l’injustice, constitue le facteur professionnel fondamental à l’origine de la traumatisation vicariante. Ils confrontent les intervenants avec le côté sombre de l’âme humaine tels la violence, la cruauté, la vengeance, l’injustice, etc.

Les facteurs liés aux victimes

En raison de la peur et de la souffrance, les victimes nourrissent souvent des attentes élevées, voire irréalistes, investissant les intervenants d’une toute-puissance. Dès lors, elles peuvent prendre une posture régressive, être en attente d’une relation «maternante», devenir «dépendantes» affectivement du thérapeute et se montrer envahissantes, par exemple, en le contactant fréquemment. Parfois aussi, elles sont exigeantes ou agressives et manifestent vivement leur insatisfaction. Toutes ces situations sont génératrices de stress pour les aidants. La plus éprouvante reste toutefois celles impliquant des personnes se mettant délibérément en danger, adoptant des conduites à risque, s’automutilant ou menaçant de se suicider.


Le processus vicariant

La traumatisation vicariante relève d’un double processus : d’une réaction aux personnes en détresse et d’une réaction aux événements.

Pour créer un lien de confiance, les intervenants doivent faire preuve d’empathie envers les victimes et leurs proches en détresse, c’est-à-dire adopter vis-à-vis d’eux une attitude qui les rend capables de saisir ce qu’ils vivent émotionnellement. Face aux émotions violentes, le risque existe de glisser de l’empathie à la sympathie, voire à la compassion et à la commisération. Ce faisant, les aidants entrent en résonance avec le vécu de ceux auxquels ils apportent leur soutien. Dès lors, ils ne sont plus seulement conscients des émotions de ces derniers mais ils en sont atteints. Ils reproduisent, pratiquement à l’identique, ces émotions sans mesure, qui ne sont pas les leurs mais celles d’autrui. Plus le degré d’exposition aux personnes en détresse est important, plus ils risquent de partager leur insécurité et leur tristesse.

Confrontés aux actes terroristes, les aidants réagissent à la souffrance des victimes mais également aux faits eux-mêmes. Le terrorisme frappe aveuglément et cruellement des innocents. Il remet en question l’État de droit, la démocratie, les droits fondamentaux de liberté d’expression, d’action et de déplacement, l’organisation sociale, institutionnelle et politique de la société, la sécurité, les fondements philosophiques, etc. Comme tout un chacun, devant de tels faits, les aidants sont profondément touchés, horrifiés, apeurés, en colère, etc. et amenés à se positionner en tant qu’être humain, citoyen et acteur social.

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Le personnel de secours et les aidants de première ligne face aux victimes d’attentat

Evelyne Josse
Psychologue, psychothérapeute
Auteur du site http://www.resilience-psy.com/

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