Hypnose et thérapie des victimes d’attentats. Discussion avec une journaliste

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Comment hypnotisez-vous les gens ? Par vos paroles ? Comment, vous et le patient, êtes-vous installés ? Quel genre d’atmosphère règne-t-il de la pièce ? Mettez-vous de la musique ?

Aucun décorum n’est nécessaire pour la pratique de l’hypnose. Personnellement, je veille à offrir aux patients une ambiance calme et propice à la détente. Je travaille en consultation, en libéral, ce qui rend la chose possible. Mais l’hypnose se pratique également avec succès dans des conditions moins favorables. C’est le cas dans les hôpitaux. A l’hôpital, les bruits sont incessants. La manipulation du matériel médical, le monitoring, les bruits de pas, les discussions entre membres du personnel, les bruits de porte, etc., tous ces parasites n’empêchent pas les patients d’entrer en hypnose.

Dans mon bureau, le patient s’installe dans un fauteuil-relax confortable, assis ou couché selon sa préférence, et je suis assise face à lui. J’accompagne fréquemment les séances de musique mais ce n’est pas du tout indispensable. Historiquement, l’hypnose est souvent associée à la musique. Il suffit pour s’en convaincre de penser au rythme des tambours utilisés pour induire des transes chamaniques. Franz Anton Mesmer, celui que l’on considère comme le père de l’hypnose, accompagnait ses séances de musique, le plus souvent de Mozart. Mesmer avait fait la rencontre de Mozart dans la loge franc-maçonne qu’ils fréquentaient tous deux.

Pour entrer en hypnose, nul besoin d’être fasciné par le regard d’un magicien ou par un pendule. On aide le patient à entrer en hypnose grâce à des techniques qui lui permettent d’entrer dans un état de focalisation intérieure. C’est ce qu’on appelle l’induction. Les méthodes d’induction sont très nombreuses et ont pour point commun de fixer l’attention. On peut demander au patient de fixer son attention sur un objet, par exemple, un objet qu’il choisit librement dans la pièce ou un point que l’on dessine sur une de ses mains. On peut également lui demander de se concentrer sur des sensations physiques, par exemple, la lourdeur progressive du corps ou sur sa respiration. On peut encore l’amener à se concentrer sur des images mentales, par exemple, sur un bon souvenir. En ce qui me concerne, je pratique volontiers une induction par relaxation avec prise de conscience des sensations corporelles ou l’accompagnement dans un souvenir agréable. Ce sont des façons de faire simple et qui se révèlent souvent efficaces. On demande à la personne de se concentrer de façon maximale afin de rendre le souvenir de plus en plus vivace. Pour ce faire, on l’aide à voir, entendre et sentir les différents aspects de la situation. Le patient s’absorbe tellement dans son souvenir qu’il oublie ce qui l’entoure ou du moins qu’il s’en désintéresse. L’esprit conscient habituel « décroche » et l’inconscient émerge.
L’état hypnotique est essentiellement un état d’attention durant lequel notre esprit est tellement accaparé par une idée, des images internes, des sensations ou des émotions que nous sommes momentanément indifférents à la plupart des aspects de la réalité extérieure. Certaines fonctions psychiques sont mises en veilleuse au profit d’autres processus, notamment inconscients. En hypnose, nos perceptions ainsi que notre appréhension de la réalité sont modifiées, ce qui nous permet de fonctionner mentalement de façon différente.

L’hypnose est un état physiologique banal que nous connaissons tous. Lorsque nous sommes absorbés par un sujet qui nous préoccupe, nous pouvons conduire d’une manière automatique et ne pas remarquer le chemin parcouru. Les cinéphiles et les passionnés de littérature sont parfois « pris » par une histoire au point de ne pas entendre les propos d’une personne qui s’adresse à eux. Les férus d’informatique ou de jeux vidéo, savent comme il est facile d’oublier le temps qui passe. On a tous « décroché » de la réalité extérieure dans une salle d’attente ou dans un hall de gare pour nous absorber en nous-mêmes. Dans toutes ces situations, on expérimente une « transe quotidienne ordinaire ». Ces états ont en commun un déplacement spontané de notre attention vers des stimuli internes. Nous traversons ce type d’état hypnotique chaque jour toutes les 90 à 100 minutes. Ces transes communes sont liées au cycle ultradien qui rythme par ailleurs d’autres paramètres physiologiques. Durant ces phases, certaines parties de notre cerveau se mettent au repos tandis que d’autres sont activées permettant ainsi un fonctionnement différent nécessaire à l’organisation mentale des informations et des expériences vécues. En tant qu’hypnothérapeutes, nous utilisons cette capacité naturelle des patients et nous les aidons à l’approfondir.

Qu’est-ce que l’hypnose apporte à des victimes, comme celles des tueurs du Brabant ou de l’attentat du 22 mars ?

L’état de stress post-traumatique se caractérise par le fait que l’événement s’impose sans arrêt à l’esprit de façon involontaire et envahissante. La victime a l’impression que les attentats vont se reproduire, en particulier lorsque ses pensées ou un stimulus extérieur, par exemple un bruit inopiné, les images d’un film violent, etc., la ramènent au traumatisme originaire. Des flashbacks, brèves hallucinations lui donnant l’impression d’être ramenée au moment de l’événement, la plongent dans le désarroi ; des images intrusives font sans cesse irruption dans son esprit ; ses nuits sont agitées de cauchemars reproduisant la scène traumatique, etc. L’état de stress post-traumatique se marque également par l’évitement de tout ce qui rappelle l’événement comme, par exemple, se trouver dans le métro, l’aéroport ou un lieu fréquenté, se balader en rue, sortir en boîte de nuit, parler de l’attentat, regarder un film où sont exhibées des armes, côtoyer des personnes dont le physique ou l’habillement rappelle celui des agresseurs, etc. Les pensées négatives persistantes et exagérées que la victime entretient par rapport à elle-même, aux autres ou au monde sont une troisième particularité de l’état de stress post-traumatique. Ainsi, elle peut se convaincre : « On ne peut faire confiance à personne », « Le monde est complètement dangereux », « Je suis brisée à jamais », « Je ne suis plus la même » ou encore « J’aurais dû mourir moi aussi comme sont morts mes amis ». Ces croyances négatives s’accompagnent d’un état émotionnel négatif persistant : elle éprouve de la peur, des sentiments d’horreur, de la colère, de la culpabilité ou de la honte et ne parvient plus à ressentir d’émotions positives. Certaines personnes se sentent anesthésiées affectivement : elles ne sont plus capables d’empathie vis-à-vis de leur entourage, elles sont froides et se montrent indifférentes à ce qui les entoure. D’autres sollicitent, voire revendiquent, constamment l’amour, l’affection et l’attention de leurs proches mais se sentent souvent insuffisamment aimées, mal comprises ou trop peu soutenues. En réaction, elles deviennent susceptibles, se montrent irritables, font des crises de colère sans raison valable ou se tiennent en retrait. L’état de stress post-traumatique se manifeste encore par de l’hypervigilance. La victime ne parvient plus à discriminer ce qui est dangereux de ce qui est anodin. Tout lui paraît menaçant, elle est perpétuellement en alerte, elle surveille l’environnement avec suspicion, elle sursaute au moindre bruit et elle résiste à s’abandonner au sommeil. Enfin, l’état de stress post-traumatique se caractérise par le fait que la victime éprouve généralement une perte d’intérêt pour ses activités tant professionnelles que de loisirs qu’elle néglige ou délaisse fréquemment, elle manque d’énergie et d’initiative, elle est démotivée, le monde lui semble lointain et artificiel, l’avenir lui paraît dénué d’espoir et de promesse.

L’état de stress post-traumatique survient rarement seul. Concomitamment aux symptômes décrits ci-dessus, dans plus de 60% des cas, les victimes manifestent aussi des troubles anxieux sous forme d’angoisse, d’attaques de panique ou d’anxiété généralisée. Près de 60% présentent un trouble dépressif ; pour 40%, il s’agira d’un épisode dépressif ponctuel et pour 17,5% d’une dépression récurrente. D’autres vont manifester une perte de l’appétit ou au contraire, des comportements boulimiques ; d’autres encore auront une consommation excessive d’alcool.

Un recours précoce à des soins de santé mentale de qualité et la poursuite d’un traitement psychologique peut grandement contribuer à la restauration psychique après l’ébranlement provoqué par un attentat.

L’hypnose est une thérapie très efficace pour le traitement des traumatismes psychique. Elle apporte indéniablement une amélioration de l’état psychologique des victimes. Certaines personnes vont être totalement guéries, d’autres vont se sentir mieux mais vont toutefois garder une réactivité plus grande dans certaines circonstances. Par exemple, elles peuvent se sentir moins bien lorsque les événements sont rappelés dans les médias à l’occasion de dates anniversaires, de commémorations ou de nouvelles informations dans une enquête ou lorsque des événements similaires se produisent, par exemple, lorsqu’un nouvel attentat survient. Un de mes patients, grièvement blessés dans les tueries du Brabant Wallon pensaient aux tueurs chaque matin en ouvrant les volets et chaque soir en le fermant. Ils craignaient que les tueurs surgissent derrière la fenêtre. Il n’osait plus passer devant un Delhaize et encore moins y entrer. Chaque jour, plusieurs fois par jour, 20 ans après les faits, il pensait avec angoisse à cette tuerie. Aujourd’hui, il n’y pense plus. Il a même travaillé quelques temps dans un Delhaize ! Mais si l’on reparle de ces événements dans les médias, cela réactive son malaise. Une de mes patientes, victime des attentats à l’aéroport de Bruxelles, a réussi à reprendre son travail d’hôtesse au sol à Zaventem, alors que nombre de ses collègues ont cherché un autre emploi ou sont encore en arrêt pour maladie, même si elle reste plus stressée qu’auparavant et est sensible à la date du 22 mars.

Comment, vous, tenez-vous le coup par rapport à leur récit qui doit être terrible?

J’ai une vie équilibrée, j’ai des amis, une passion pour la nature et la photographie animalière, j’écris, tout cela me ressource.

L’hypnose a-t-elle des effets secondaires ?

L’action bénéfique de l’hypnose pourrait être mise en doute si elle ne comportait aucun danger. Le risque d’engendrer des troubles psychosomatiques ou psychiatriques ne peut être complètement écarté, bien que ceux-ci soient rares et transitoires.

On parle d’autohypnose négative pour décrire une perception négative de soi à l’origine du déclenchement de processus inconscients pathogènes. Des pensées négatives que le sujet aurait de lui-même situées hors de sa conscience habituelle et échappant à la critique, agiraient comme des suggestions puissantes. Ces autosuggestions seraient responsables de nombreux troubles. Par ailleurs, la psycho-neuro-immunologie nous apprend que l’esprit, par le biais d’émotions et d’attitudes mentales, peut jouer un rôle tout à fait significatif dans la genèse d’un dysfonctionnement corporel ou d’une maladie. C’est ce qu’on appelle les maladies psychosomatiques, ou, suivant un concept plus récent, les maladies psycho-biologiques.

On ne peut donc rejeter complètement l’hypothèse qu’une suggestion faite par un hypnotiseur à un sujet en état de conscience modifiée puisse agir négativement sur celui-ci, que ce soit sur un plan physique ou psychologique.

L’hypnose n’est en fait ni plus ni moins dangereuse que tout autre forme de relation psychothérapeutique. Après des entretiens préalables, pratiquée par un professionnel qualifié, qui reste dans son cadre thérapeutique habituel, elle est au contraire un outil extraordinaire. En effet, l’état hypnotique offre au patient une expérience pendant laquelle les limitations habituelles de ses pensées sont provisoirement suspendues. Des croyances, des habitudes, des idées toutes faites acceptées depuis l’enfance peuvent se débloquer grâce à l’hypnose.

Vous mettez-vous des limites dans l’usage de l’hypnose ?

Il est déconseillé de faire de l’hypnose avec les psychotiques. Pour le reste, les indications et contre-indications sont moins liées au problème du patient qu’au patient lui-même, à ses ressources et ses besoins.

Combien de séances sont nécessaires pour de telles victimes ?

Il y a de grandes différences entre individus dans la façon d’exprimer leurs sentiments et de faire face à la souffrance. Les réponses varient d’une personne à l’autre et dépendent de leur personnalité, de leurs antécédents et bien entendu, de leur degré d’implication dans les attentats. En effet, elles réagissent différemment selon qu’elles ont été ou non blessées, qu’elles ont été témoins indemnes présentes au moment des faits ou qu’elles sont arrivées sur les lieux après le massacre, etc. La durée du traitement est elle aussi très variable d’une personne à l’autre, en fonction de ces mêmes critères. Il est évident que la thérapie mettra souvent plus de temps pour une personne dont un parent est décédé dans les événements et qui a elle-même été grièvement blessée que pour une personne qui était sur les lieux et s’est enfouie en entendant les coups de feu ou l’explosion sans avoir été confrontée aux personnes tuées ou blessées. Certaines personnes ont des personnalités plus fragiles et peuvent nécessiter une prise en charge sur une plus longue durée. Généralement, une thérapie pour ce genre de trauma peut durer de quelques semaines à quelques mois.

Vous hypnotisez quel type de patients ?

Personnellement, je ne travaille qu’avec des personnes qui ont subi un traumatisme, qui souffrent d’un cancer ou d’un deuil douloureux. Ceci dit, nombreuses sont les problématiques qui peuvent être soignées par l’hypnose. Au niveau psychologique, citons les traumatismes psychiques, les deuils, les séparations, le burnout, les troubles identitaires (estime de soi, confiance en soi, affirmation de soi), le stress, les troubles anxieux, les troubles dépressifs, les dépendances au tabac, à l’alcool, aux drogues, à la pornographie ou aux jeux, les troubles alimentaires, les troubles sexuels, l’apprentissage des langues, la préparation mentale, etc. Au niveau somatique, citons les douleurs aiguës, la préparation à l’accouchement, l’analgésie au bloc opératoire, les soins et examens douloureux, les migraines, les syndromes douloureux chroniques, l’asthme, le côlon irritable, l’eczéma, le psoriasis, les allergies, les cancers, les acouphènes, les vertiges, le bruxisme, l’énurésie, etc.

Hypnotisez-vous aussi des enfants ?

Non, personnellement, je ne travaille pas avec les enfants. Ceci dit, la technique est remarquablement efficace. Les enfants entrent en hypnose avec une facilité déconcertante.

Par l’hypnose, parvenez-vous à faire remonter à la surface des images ou des détails d’un attentat, dont la victime n’avait pas encore parlé jusque-là ?

C’est tout à fait possible et cela arrive d’ailleurs spontanément, sans que le thérapeute ou le patient cherche à faire remonter ces détails.
Lorsqu’on se remémore un événement, on se concentre en général sur ce que l’on a vu. En hypnose, on revit l’événement bien plus qu’on se le remémore, ce qui permet de retrouver des détails qui semblaient ne pas avoir été enregistrés. Les éléments retenus sont ceux à quoi la personne a porté attention. Si l’on prend le cas des enquêtes judiciaires, ces éléments ne sont pas toujours les plus importants.

La personne qui s‘est confiée à vous sous hypnose se souvient-elle ensuite de ce qu’elle vous a dit ?

La plupart du temps, oui. Il est assez fréquent que les personnes puissent ne pas se rappeler d’une partie de la séance mais il est assez rare qu’elles ne se rappellent de rien.

Combien de temps après le traumatisme faut-il vous consulter ? Est-ce que ça marche si je viens 10, voire 20 ans après ?

Il n’y a pas de délai. On peut agir très rapidement après un événement traumatique mais également des années après, 20 ans, voire bien plus. Un grand nombre de personnes abusées sexuellement demandent de l’aide 10, 20 ou 30 ans après les faits. A l’heure actuelle, on parle de plus en plus de thérapie dans le cadre des traumatismes mais c’est assez récent. Les victimes sont mieux informées aujourd’hui des aides qui peuvent leur être proposées. Ce n’était pas le cas il y a 20 ans de cela. Il était donc fréquent que les victimes arrivent chez le thérapeute des années après l’événement traumatique, après un long parcours de souffrance.

Est-il possible d’interroger un inculpé sous hypnose ?

L’utilisation de l’hypnose dans le cadre judiciaire a débuté aux USA dans les années 1970. En 1975, la police de Los Angeles a mis sur pied une équipe d’hypnotiseurs. Elle a mené une étude : dans 77% des dossiers, l’hypnose judiciaire a apporté des éléments neufs à l’enquête. Fort de cette première année d’étude, ils en tirent les enseignements et refont une nouvelle étude sur 5 ans. Dans 80% des cas, l’hypnose apporte de nouvelles données pertinentes. D’autres corps de police aux USA et au Canada ont emboîté le pas et les résultats sont concluants. En Belgique, elle a été valorisée dans le contexte judiciaire par la gendarmerie à partir de 1994. Durant plusieurs années, la justice belge a fait appel à des experts en hypnose judiciaire afin de résoudre des affaires criminelles. J’ai fait partie de ces experts.

L’hypnose ne peut être pratiquée que sur un témoin et/ou une victime expressément consentant.e, et pas sur un suspect. Et ce, parce qu’il est possible de simuler l’état d’hypnose et de mentir sous hypnose, ce qu’un inculpé pourrait trouver intérêt à faire. Et aussi parce qu’on se doit de respecter le droit au silence d’une personne arrêtée par les policiers ou traduite devant un juge ainsi que le droit d’un prévenu de ne pas s’auto-incriminer, afin que soit éliminée toute forme de contrainte pouvant amener une personne à faire des déclarations. Si l’on ne tient pas compte de cela, le risque est qu’un jugement soit cassé par la cour de cassation parce qu’on pourrait invoquer une entrave aux droits de la défense.

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