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Tunisie, Maroc, Algérie. Quid du droit des femmes ?

Evelyne Josse, décembre 2021

Chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz)
Psychologue, psychothérapeute (EMDR, hypnose, thérapie brève), psychotraumatologue
http://www.resilience-psy.com

Quelle image a-t-on en Occident de la Tunisie, du Maroc et de l’Algérie en termes des droits des femmes ? Et pourquoi ces différences entre pays ?

La Tunisie fait figure d’exemple parce que les avancées en termes de droits des femmes sont plus larges que dans les autres pays du Maghreb, mais j’ignore quelles en sont les raisons profondes. En Algérie et au Maroc, il n’existe peut-être pas la même volonté politique à faire bouger les lignes. La Révolution en Tunisie explique aussi probablement une partie de l’évolution positive du droit des femmes. Ceci dit, dans ces trois pays, la femme se trouve encore et toujours dans un état de dépendance, voire même de soumission, par rapport à l’homme.

Des pays du Maghreb, la Tunisie est incontestablement pionnière en ce qui concerne les droits en faveur des femmes. Ces dernières années, de nouvelles lois et des réformes ont été adoptées. Par exemple, la disposition du code pénal qui permettait à un violeur d’échapper aux sanctions pénales en épousant sa victime a été abolie ; le texte interdisant le mariage d’une femme tunisienne à un homme non-musulman a été abrogé. L’interruption volontaire de grossesse est autorisée, sans restriction. La polygamie est interdite depuis 1956, mais la loi est fréquemment détournée ; les hommes prennent une seconde épouse en se mariant religieusement. Les femmes ont été partie prenante de la Révolution et elles ont œuvré pour faire adopter des réformes en matière de genre. La Tunisie a ainsi voté des quotas de femme dans le cadre politique. Même si les droits des femmes se sont considérablement développés depuis la Révolution de 2010-2011, des lois attentatoires des droits des femmes et des résistances à l’égalité hommes-femmes persistent. Par exemple, l’égalité des genres en matière d’héritage n’est toujours pas acquise. La femme hérite de la moitié de ce qui revient aux hommes conformément à la loi islamique. Et force est de constater que le harcèlement en rue, la violence domestique et la violence politique à l’égard des femmes se sont aggravés depuis la révolution. Et la violence conjugale s’est aussi intensifiée depuis la crise sanitaire de la covid-19. Ceci dit, ce phénomène n’est pas spécifique à la Tunisie ni aux autres pays du Maghreb ; cette recrudescence s’observe également en France et en Belgique.

Le Maroc a lui aussi fait évoluer ses lois il y a une dizaine d’années. Les réformes du droit de la famille en 2004 ont donné aux femmes le droit à l’autogestion, au divorce et à la garde de leurs enfants. Un homme a toujours le droit de prendre une seconde épouse, mais à condition que sa première femme lui accorde sa permission. Comme en Tunisie, les mariages religieux permettent de contourner la loi. L’avortement est autorisé en cas de viol, d’inceste et de déficience mentale, de risque pour la mère ou de malformation du fœtus. En 2014, la loi qui permettait à un violeur d’échapper à la justice en épousant sa victime a été abrogée. Ces avancées sont importantes, mais il reste beaucoup à faire. Le code de la famille reste très empreint de la tradition et de la charia. Par exemple, l’adultère et les relations sexuelles hors mariage sont encore et toujours pénalisés et punis de prison ferme. Et le viol conjugal n’est toujours pas reconnu comme un crime. Et même si la loi de 2004 interdit le mariage avant 18 ans, les juges octroient régulièrement des autorisations pour des unions avec des filles plus jeunes. Et en ce qui concerne l’héritage, les femmes ne sont pas non plus les égales des hommes… Et en politique, les femmes sont très peu représentées.

L’Algérie a elle aussi fait avancer la condition de la femme. Depuis 2015, elle criminalise le vol entre époux et la dépossession des biens de la femme par son mari. Elle criminalise également la violence conjugale et le harcèlement. Mais il y a un hic, car cette loi possède une clause du pardon : si la victime pardonne à son agresseur, les poursuites judiciaires sont abandonnées. On peut imaginer les pressions exercées sur la victime de la part de son entourage et les menaces de son agresseur pour qu’elle retire sa plainte… L’avortement est encore et toujours criminalisé. Il est interdit, même en cas de viol ou d’inceste. Le seul cas où l’interruption de grossesse est autorisée, c’est lorsque le fœtus est malade ou malformé. Tout comme en Tunisie et au Maroc, les femmes sont discriminées par rapport à l’héritage. La participation des femmes en politique est plus importante qu’au Maroc, mais bien moindre qu’en Tunisie.

L’adoption de nouvelles lois et de réformes joue un rôle important dans l’évolution de la condition de la femme. L’inscription d’une définition juridique des violences faites aux femmes et de l’égalité de genre entre les hommes et les femmes dans les lois nationales dotent les pays d’instruments légaux indispensables pour poursuivre les contrevenants. Encore faut-il que les pays se donnent les moyens humains et financiers pour pouvoir appliquer les procédures définies par la loi.

Les lois sont nécessaires, mais malheureusement, insuffisantes à faire changer les mentalités. Le statut et le sort de la femme ne dépendent pas uniquement des lois. Les normes culturelles et sociales influent fortement sur la prévalence des violences sexospécifiques et sexuelles en dépit de la législation. Au Maghreb, des traditions et des règles culturelles informelles freinent l’évolution positive de la condition de la femme. Même si les lois traduisent une certaine modernité, elles s’opposent au conservatisme social, en particulier dans la sphère privée où les femmes sont soumises aux hommes et dépossédées de leur destin. La violence sexospécifique est maintenue et renouvelée par l’éducation (la femme est soumise, elle apprend à « être douce », à éviter la violence ; l’homme doit être violent pour être viril, son honneur est dans le contrôle des femmes). Depuis leur naissance, les petites filles apprennent qu’elles ne sont « que » des filles. Elles grandissent en étant écartées du pouvoir, ce qui les rend vulnérables aux violences. Auparavant, cette soumission était compensée par la protection que leur assurait un homme. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pour illustrer l’idéologie patriarcale à l’origine de la violence contre les femmes, rappelons qu’en Algérie, les femmes « éduquées » sont sur-représentées. Plus souvent que leurs consœurs moins scolarisées ou moins bien loties professionnellement, elles sont victimes de la violence de leur mari… Les pratiques telles que la polygamie et la répudiation prouvent que la femme est interchangeable. L’homme ne l’est pas. Voyez ce qui se passe dans certains pays en cas de divorce. La femme peut se remarier, mais elle ne peut pas garder ses enfants. Ses enfants ne peuvent être élevés par un autre homme que leur père. L’ex-mari, lui, peut se remarier et les enfants du premier lit peuvent être élevés par la nouvelle épouse.

La religion, ou plus exactement son instrumentalisation, prédomine sur la loi. La collusion entre pouvoirs politique et religieux n’est pas favorable aux femmes. Au contraire… J’ai rencontré des femmes algériennes, filles d’imam à Alger, outrées par l’obscurantisme religieux actuel. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter ce qui se dit à la prière du vendredi dans certaines mosquées. Les hommes sont exhortés à dominer leur épouse et à ne pas leur accorder leur confiance, et les femmes à se soumettre à leur conjoint… Lorsque l’imam hausse le ton, c’est souvent parce qu’il entame une diatribe « contre » les femmes. L’appel à la méfiance et à la domination, je ne peux pas appeler cela autrement que « diatribe contre ».

Quels sont les types de violences les plus répandus et pourquoi ?

Difficile de répondre. Les données sur la violence sont parcellaires et incomplètes. Vous n’obtiendrez pas les mêmes tendances si vous analyser les données fournies par la police, le système judiciaire, les services de médecine légale ou les centres d’écoute… Vous savez comme moi que nombreuses sont les femmes qui ne déclarent pas les violences qu’elles subissent. C’est d’autant plus vrai lorsque les violences sont perpétrées par une personne proche, a fortiori quand c’est le mari (crainte des représailles, pas de possibilités entrevues d’échapper à l’agresseur ou de vivre une autre vie, crainte du rejet familial, etc.). La famille est souvent un espace de non droit… En Algérie, selon les données de l’hôpital Mustapha, service de médecine légale, plus de 80% des femmes agressées l’ont été au sein de leur foyer !

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