Troubles liés au déconfinement : quelles sont les personnes vulnérables ?

Evelyne Josse1
Juin 2020
Chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz)
Psychologue, psychothérapeute (EMDR, hypnose, thérapie brève), psychotraumatologue
http://www.resilience-psy.com

Alors que de nombreuses personnes se réjouissent de la levée progressive du confinement et d’une liberté retrouvée, d’autres s’affolent ou dépriment à l’idée de sortir de chez elles et de côtoyer leurs proches et leurs concitoyens. Elles souffrent du syndrome du déconfinement.

Quelles sont les personnes susceptibles de développer un tel syndrome ?

Tout un chacun

Lorsqu’on acquiert des poules et qu’on les isole quelques jours en volière, on remarque qu’elles ne sortent pas immédiatement quand la porte s’ouvre sur la prairie verdoyante. La volière est devenue leur refuge et la quitter les stresse. Elles ont besoin d’observer leur environnement et d’apprivoiser leurs craintes avant de se lancer hors de leur périmètre de sécurité et de s’engager dans l’inconnu.

Tout comme les poules, même si nous avons attendu le déconfinement avec impatience, nombre d’entre nous éprouvent une ambivalence entre l’envie et la peur de sortir. Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir. Le confinement a eu du bon et le déconfinement n’a pas que des aspects négatifs.

Dans la population tout-venant ne présentant aucune vulnérabilité physique et/ou psychologique, les plus susceptibles d’éprouver des réactions négatives au confinement sont :
Les personnes qui ont tiré de grands avantages à la situation de confinement (par exemple, découverte ou développement d’une activité, vivre à son propre rythme, etc.) que le déconfinement fait perdre partiellement ou totalement.
– Les personnes dont le confinement s’est vécu dans de bonnes conditions. Les personnes en bonne santé, ayant été confinées dans un lieu agréable, spacieux et lumineux tel qu’une maison avec jardin, en compagnie d’un partenaire ou d’enfants avec lesquelles elles entretiennent des relations de qualité. Le confort physique et psychologique a contribué pour elles à rendre le confinement agréable.
Les personnes que le confinement a protégées des désavantages de leur vie habituelle (pression professionnelle, relations conflictuelles au travail, inintérêt des tâches accomplies, longues heures perdues dans les transports, tentations de la société de consommation inaccessibles financièrement, etc.).

Les personnes vulnérables au syndrome du déconfinement

Si tout un chacun peut rencontrer des difficultés à reprendre le fil de sa vie après le huis-clos forcé du confinement, certaines personnes sont plus susceptibles que d’autres de développer des troubles prononcés et/ou durables.

Il existe une multitude de variables personnelles, antérieures, concomitantes et/ou postérieures au confinement, inhérentes ou indépendantes de l’épidémie, susceptibles d’affecter le destin psychique des déconfinés.

Le syndrome du confinement touche davantage :
Les personnes à risque de formes graves du COVID-19, d’admission en réanimation ou de décès. Les personnes âgées et celles souffrant d’une comorbidité (diabétiques, obèses, immunodéprimées, cardiaques, atteintes d’une pathologie respiratoire, atteintes d’une maladie cancéreuse, etc.) se savent vulnérables. Les précautions sanitaires et la distance sociale n’apaisent pas leur sentiment de courir un danger mortel.
Les femmes. Elles sont plus sensibles au stress que les hommes. Par exemple, après avoir vécu un même événement potentiellement traumatisant, elles risquent deux fois plus de souffrir d’un état de stress post-traumatique
2 et après avoir été soumises à un stress important, elles sont deux fois plus sujettes à développer un trouble de l’adaptation. D’après une revue de littérature publiée dans le journal scientifique britannique The Lancet sur l’impact psychologique du confinement3, les femmes ont été deux fois plus nombreuse à présenter des troubles que les hommes. Différentes hypothèses sont émises pour expliquer la vulnérabilité au stress liée au sexe féminin. Des caractéristiques sociales et culturelles, des spécificités biologiques et hormonales4 ainsi que des facteurs émotionnels, cognitifs et comportementaux comptent probablement au nombre des explications.
Les personnes souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques. Une personnalité prémorbide et une psychopathologie avérée peuvent infléchir les réactions d’une personne et contribuer à la sévérité de la détresse et des symptômes manifestés. Les personnes les plus à risque sont celles souffrant d’un trouble anxieux (en particulier de nosophobie5, mysophobie6, hypocondrie7 ou d’un trouble d’anxiété généralisée8), d’un trouble obsessionnel compulsif (principalement caractérisé par l’obsession de propreté, la préoccupation par les sécrétions corporelles, les contaminants environnementaux et les microbes, entrainant rituels de nettoyage et de lavage excessifs), d’un trouble dépressif ou d’un désordre psychotique (notamment paranoïaque).
Les personnes introverties, évitantes, émotives, peu sociables. Elles sont prédisposées à développer des troubles psychologiques en situation difficile. Ainsi, l’inhibition comportementale, manifestée par une timidité, une réserve et des réactions de retrait face aux personnes, aux situations ou aux lieux non familiers serait prédictive de la survenue de désordres anxieux. Une « émotionnalité » élevée et un niveau bas de sociabilité favoriseraient l’émergence de désordres anxieux et dépressifs. Cette vulnérabilité pourrait toutefois être modulée par des variables telles que l’estime de soi, le support social et le contexte environnemental. A contrario, les personnes qui se caractérisent par leur engagement (implication active), leur optimisme, leur attrait pour la nouveauté et le changement, leur faible propension à l’évitement, leur besoin de maîtrise et leur sentiment de contrôle personnel seraient plus résistantes au stress et aux événements délétères (« personality hardiness »).
Les personnes qui ont vécu des situations délétères avant ou pendant le confinement. Les traumatismes psychiques (agressions, accidents, etc.) et les événements douloureux (deuil, séparation, maladie grave, déménagement, expatriation, exil, perte d’emploi, difficultés financières, etc.), en particulier s’ils sont récents, conditionnent partiellement les forces et la vulnérabilité psychique des individus face aux situations difficiles.
Les personnes vulnérabilisées par un état de faiblesse ou un affaiblissement physique et/ou mental consécutif à une maladie, une perturbation neurologique, un handicap, une fatigue, un stress, un épuisement professionnel (burnout), une déficience mentale ou intellectuelle, un abus d’alcool, une consommation de drogue, etc. En raison d’une vulnérabilité résultant d’un amoindrissement énergétique, elles ne possèdent pas les ressources suffisantes pour faire face à une situation difficile.

Articles et vidéos de la série

Articles

Josse E. (2020). Troubles liés au déconfinement : quelles sont les personnes vulnérables ? http://www.resilience-psy.com/spip.php?article437

E. (2020). Troubles liés au déconfinement : syndrome de la cabane ou de l’escargot ?. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article435

Josse E. (2020). Enfants et adolescents confinés, mode d’emploi. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article417.

Josse E. (2020). Les enfants face au coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article411

Josse E. (2020). Niños y adolescentes confinados, instrucciones de uso. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article420

Josse E. (2020). Aider les enfants en deuil. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article430.

Josse E. (2020). Ces adolescents qui bravent le confinement. Pistes de réflexion. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article423

Josse E. (2020). Le deuil chez les personnes âgées au temps du coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article424

Josse E. (2020). Sur le front d’une guerre biologique. La santé mentale du personnel hospitalier face au coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article422.

Josse E. (2020). Le coronavirus pour les nuls. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article415

Josse E. (2020). Infodémie : le coronavirus à l’épreuve des fake news et des théories complotistes. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article414.

Josse E. (2020). L’épidémie de peur du coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article408.

Boîte à outils

Josse E. (2020). La relaxation http://www.resilience-psy.com/spip.php?article155
http://www.resilience-psy.com/spip.php?article155

Josse E. (2020). Quelques techniques d’autohypnose centrée sur les phénomènes extérieurs (pour les adultes). http://www.resilience-psy.com/spip.php?article428

Josse E. (2020). Le syndrome d’hyperventilation lié au stress et à l’anxiété. Causes, symptômes, dépistage et solutions http://www.resilience-psy.com/spip.php?article3

Josse E. (2020). Techniques d’autohypnose centrée sur les phénomènes extérieurs (pour les enfants). http://www.resilience-psy.com/spip.php?article431

Vidéos

3 capsules vidéo réalisées pour PsyForMed sur la souffrance des soignants confrontés au COVID-19.
http://www.youtube.com/watch?v=aF2m5IJ1e4I.
https://www.youtube.com/watch?v=-WKFbjNy7q4
https://www.youtube.com/watch?v=xxqosVJC3NM

Documents joints

Notes et références

  1. Evelyne Josse a travaillé pour Médecins Sans Frontières au Vietnam dans la lutte contre l’épidémie de SRAS (un coronavirus) ainsi qu’en République Démocratique du Congo et en Guinée pour des épidémies Ebola
  2. Pour des informations détaillés, voir le livre de l’auteur. Josse E. (2019). Le traumatisme psychique chez l’adulte. Deboeck.
  3. Brooks S.K. Webster R. K., Smith L. E., Woodland L., Wessely S., Greenberg N., Rubin G. J. (2020). The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence. Lancet 2020; 395: 912–20, February 26, 2020
  4. Certains chercheurs soutiennent que les œstrogènes pourraient jouer un rôle.
  5. Peur irrationnelle de contracter une maladie grave entraînant le décès.
  6. Peur irrationnelle d’être en contact avec la saleté ou d’être contaminé par des microbes et des parasites.
  7. Peur irrationnelle concernant la santé et le fonctionnement corporel.
  8. Etat d’anxiété permanente ou de soucis excessifs.

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