Troubles liés au déconfinement : syndrome de la cabane ou de l’escargot ?

Evelyne Josse1
Révision 07.05.2020
Chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz)
Psychologue, psychothérapeute (EMDR, hypnose, thérapie brève), psychotraumatologue
http://www.resilience-psy.com

Le 2 mai 2020, l’Espagne levait progressivement le confinement. Dans le quotidien espagnol El Pais, on pouvait lire que le terme « syndrome de la cabane » (« síndrome de la cabaña » en espagnol) « est apparu dans les régions des États-Unis où l’hiver rigoureux force à l’hibernation »2. Depuis, le « syndrome de la cabane » fait flores dans les médias ibériques. Une semaine après leur voisin espagnol, la France et la Belgique débutaient leur déconfinement et relayaient la locution.

Origine du terme

Depuis longtemps, des troubles psychologiques liés aux longues saisons hivernales sont connus chez les Inuits du Groenland (piblokto, pibloktoq ou hystérie arctique) et chez les peuplades de Sibérie (menerik ou meryachenie). Les premiers colons isolés jusqu’au dégel printanier dans des huttes couvertes de neige auraient également souffert de ce type de désordre émotionnel. Des symptômes similaires auraient aussi été signalés chez des marins européens échoués dans les régions arctiques dans les années 1800.

Le mot « cabane » apparait dans la littérature anglosaxonne dans la locution « fièvre de la cabane » (« cabin fever » en anglais). La fièvre de la cabane désigne la souffrance psychologique des personnes contraintes au confinement ou isolées dans une zone reculée durant un séjour prolongé. Les manifestations les plus fréquentes sont l’état d’agitation, la dépression, l’irritabilité, les difficultés de concentration, les sentiments d’improductivité et d’inutilité, l’insatisfaction et la frustration. L’absence de divertissement, le manque de contacts sociaux et le déficit de stimulations environnementales en sont les causes principales.

Avec la parution de l’article dans El Pais, par des détours étranges, le syndrome de la cabane lié au confinement est devenu le syndrome du déconfinement. Dès le lendemain, on pouvait lire dans la presse qu’il a été décrit pour la première fois en 1900, aux Etats-Unis, et désignait l’angoisse des chercheurs d’or au moment de retrouver la civilisation après avoir été confinés de longs mois dans des cabanes3Miguel Ummnosep M. (2020). Síndrome de la cabaña: cómo superar mi miedo a salir tras el confinamiento . Estiloy vida, 3 mayo 2020. https://estiloyvida.es/sindrome-cabana-como-superar-mi-miedo-salir-confinamiento/%5B/efn_note%5D. Cette origine me paraît peu vraisemblable. Les orpailleurs travaillaient à l’air libre et n’étaient pas claustrés dans leur cabane. De plus, rares étaient les indépendants qui restaient isolés. L’annonce de la découverte d’un filon d’or entraînait une arrivée massive d’aventuriers en mal de fortune. Certes, ils basaient des camps de baraques ou de tentes sur le site d’exploitation mais dans la foulée se développaient rapidement commerces, hôtellerie, banques, services de communication, églises, écoles, activités récréatives, etc. La plupart des hommes tentaient seuls l’aventure mais leur famille les rejoignait souvent après qu’ils s’étaient installés. La croissance des hameaux et leur expansion rapide débouchaient fréquemment sur la création de véritables villes. Ces ruées vers l’or ont peuplé des régions désertiques et ont contribué à leur essor industriel. Certes, des aventuriers choisissaient délibérément de se tenir à l’écart des grands sites aurifères et de vivre en ermite. Généralement, les faibles quantités de précieuses paillettes extraites des rivières les obligeaient à se déplacer après quelques semaines à peine. Lorsqu’un site se révélait riche en pépites, le secret se gardait difficilement et l’affluence ne se faisait pas attendre. On peut penser raisonnablement que ces hommes qui optaient intentionnellement pour l’isolement étaient de nature solitaire et devaient s’accommoder sans trop de mal de leur retraite. De plus, lorsqu’ils regagnaient leur foyer, c’est souvent le calme de la campagne, et non l’agitation de la ville, qui les attendait.

Malgré le peu de crédibilité que l’on peut accorder à cette origine historique, les journalistes tant hispaniques que francophones et anglophones l’ont largement reprise et diffusée.

Nous n’allons pas spéculer plus longuement sur l’origine du terme « syndrome de la cabane ». Psychologues et psychiatres savent que les personnes longtemps confinées, telles qu’adeptes de sectes, prisonniers, otages, etc., peuvent éprouver des difficultés à renouer avec le quotidien et présenter des troubles spécifiques liés à leur relaxe. Toutefois, nos recherches dans les revues scientifiques en vue d’identifier un syndrome de déconfinement nommé « syndrome de la cabane » sont restées vaines. Les nomenclatures psychiatriques l’ignorent tout autant. Le point de départ le plus plausible de l’émergence de la locution dans nos journaux est la confusion initiée par El Pais entre la fièvre de la cabine liée au confinement et les troubles manifestés au déconfinement. Hormis la peur de quitter son foyer, les symptômes du syndrome de la cabane listés par les médias sont d’ailleurs similaires à ceux répertoriés pour la fièvre de la cabane.

Syndrome de la cabane ou syndrome de l’escargot ?

Des psychologues proposent de nommer « syndrome de l’escargot » cette réticence à renoncer au confinement. Selon la psychologue française Hélène Romano, le terme serait plus judicieux que celui de syndrome de la cabane parce qu’il reflète l’envie de rentrer dans une coquille rassurante et de se recroqueviller . Nous approuvons complétement. Le terme « syndrome de la cabane » devrait être strictement réservé au syndrome du confinent.
Dans le prochain article, nous aborderons les réactions au déconfinement manifestées par certains d’entre nous.

Articles et vidéos de la série

Articles
Josse E. (2020). Enfants et adolescents confinés, mode d’emploi. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article417.

Josse E. (2020). Les enfants face au coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article411

Josse E. (2020). Niños y adolescentes confinados, instrucciones de uso. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article420

Josse E. (2020). Aider les enfants en deuil. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article430.

Josse E. (2020). Ces adolescents qui bravent le confinement. Pistes de réflexion. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article423

Josse E. (2020). Le deuil chez les personnes âgées au temps du coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article424

Josse E. (2020). Sur le front d’une guerre biologique. La santé mentale du personnel hospitalier face au coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article422.

Josse E. (2020). Le coronavirus pour les nuls. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article415

Josse E. (2020). Infodémie : le coronavirus à l’épreuve des fake news et des théories complotistes. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article414.

Josse E. (2020). L’épidémie de peur du coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article408.

Boîte à outils

Josse E. (2020). La relaxation http://www.resilience-psy.com/spip.php?article155
http://www.resilience-psy.com/spip.php?article155

Josse E. (2020). Quelques techniques d’autohypnose centrée sur les phénomènes extérieurs (pour les adultes). http://www.resilience-psy.com/spip.php?article428

Josse E. (2020). Le syndrome d’hyperventilation lié au stress et à l’anxiété. Causes, symptômes, dépistage et solutions http://www.resilience-psy.com/spip.php?article3

Josse E. (2020). Techniques d’autohypnose centrée sur les phénomènes extérieurs (pour les enfants). http://www.resilience-psy.com/spip.php?article431

Vidéos

3 capsules vidéo réalisées pour PsyForMed sur la souffrance des soignants confrontés au COVID-19.
http://www.youtube.com/watch?v=aF2m5IJ1e4I.
https://www.youtube.com/watch?v=-WKFbjNy7q4
https://www.youtube.com/watch?v=xxqosVJC3NM

Notes et références

  1. Evelyne Josse a travaillé pour Médecins Sans Frontières au Vietnam dans la lutte contre l’épidémie de SRAS (un coronavirus) ainsi qu’en République Démocratique du Congo et en Guinée pour des épidémies Ebola
  2. Traduction de l’auteur. Fanjul S. (2020). ¿Volver a salir? Preferiría no hacerlo. El Pais, 2 mayo 2020

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