L’épidémie de peur du coronavirus

Evelyne Josse1, 2020
Chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz)
Psychologue, psychothérapeute (EMDR, hypnose, thérapie brève), psychotraumatologue
http://www.resilience-psy.com

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Les peurs collectives ont toujours existé

De tout temps, les hommes ont manifesté des angoisses par rapport au devenir de l’humanité. Depuis l’Antiquité, le mythe de l’Apocalypse prédit la fin du monde avant l’émergence d’une ère nouvelle. Selon le Nouveau Testament, la chevauchée des Cavaliers de l’Apocalypse sèmera la guerre, la mort et la famine tandis que les trompettes des Anges déchaîneront des irruptions volcaniques, des massacres et des invasions d’insectes. Si pour certains, ce texte est interprété de manière métaphorique, pour d’autres, il est une prophétie de calamités à venir.

Du Moyen Âge à la Renaissance, la peste noire 2 et les guerres de religion ont alimenté les angoisses collectives et la peur de l’avenir.

Plus récemment, l’épidémie de grippe espagnole 3, l’an 2000 et les attaques terroristes ont suscité d’importantes peurs sociales.

Devant l’irruption du coronavirus covid-19, de sa propagation rapide à travers le monde et de son risque létal4, nos sociétés retrouvent les peurs ancestrales qu’elles ont connu au cours des différentes crises de l’histoire.

Peurs et angoisses

La peur est une crainte ressentie face à une situation, présente ou à venir, perçue comme dangereuse. L’émotion actuelle éprouvée par la population mondiale face au coronavirus relève sans nul doute de la peur. Le danger est réel et la survie de l’espèce potentiellement menacée. Toutefois, cette peur est majorée par l’angoisse. L’angoisse se définit par un sentiment d’insécurité et de menace et se présente sous forme d’états diffus de crainte et d’inquiétude ou sous forme de crises paroxystiques. Contrairement à la peur, elle peut se déclencher sans qu’un péril ne menace directement le sujet et/ou sans que la source de l’appréhension soit précisée.

Si l’angoisse est contreproductive, la peur est un moteur essentiel pour l’action, notamment pour adapter nos comportements à la situation actuelle : ne pas se serrer la main ni s’embrasser, se laver les mains régulièrement, garder une distance d’au moins un mètre cinquante avec les personnes malades, éviter de se rendre dans les zones à risques, etc. Nier le danger augmenterait le risque épidémique en entravant la mise en place de mesures préventives efficaces.

Si nous pouvons réduire la peur en fournissant des informations rationnelles et en délivrant des conseils pertinents, l’angoisse s’avère quant à elle nettement plus difficile à juguler. Ainsi, les mesures de prévention adéquates à endiguer l’épidémie, telles que la fermeture d’écoles, la mise en quarantaine des malades ou le bouclage de certains quartiers, accentuent les frayeurs de la population au lieu de les diminuer. Plutôt que d’être perçues comme des moyens de lutte efficaces, elles sont interprétées comme des signes de gravité de l’épidémie.

Risques connus et inconnus

Pourquoi sommes-nous si effrayés par le coronavirus alors que nous sommes soumis quotidiennement à des risques statistiquement plus significatifs ?

Certes, il n’est pas irrationnel d’être inquiet face à une épidémie potentiellement mortelle mais surconsommer des aliments sucrés et gras, fumer ou conduire en ayant bu de l’alcool nous expose tout autant sinon davantage aux blessures, à la maladie et à la mort.

Ce qui différencie la perception et la gestion de ces risques quotidiens, c’est leur répétition. Leur fréquence nous les rend familiers. Nous avons appris à les maîtriser en les minimisant (« Il faut bien mourir de quelque chose », « Je roule encore plus prudemment lorsque j’ai bu », « Je n’habite pas loin, il ne peut rien m’arriver sur un trajet si court, etc.) ou en les déniant (« Je préfère ne pas y penser », « Je sais que je devrais arrêter de fumer mais je vis une période difficile, ce n’est pas le moment », « Je suis jeune, je veux en profiter avant qu’il soit trop tard », « A mon âge, c’est le seul plaisir qu’il me reste », « Je sais qu’on peut avoir un accident sur la route mais je n’y pense pas », etc.). A contrario, l’épidémie de coronavirus, par sa nouveauté, nous confronte à l’inconnu, à la perte de contrôle et au sentiment d’impuissance.

Ce qui fonde les peurs sociales, ce n’est donc pas le risque réel mais la représentation que nous en avons.

Une caisse de résonance du mal-être social et des difficultés personnelles

L’épidémie de coronavirus révèle et exacerbe nos craintes latentes, individuelles et collectives, concernant notre avenir, celui de notre société et celui de notre planète.

Les angoisses générées par l’instabilité des relations conjugales, l’insécurité d’emploi, la crise économique, le réchauffement climatique et la menace terroriste trouvent avec l’épidémie un exutoire à même de les focaliser et de les exprimer. Ce mal-être social larvé transparaît également dans d’autres crises comme celle des gilets jaunes par exemple.

Au niveau individuel, la menace du virus peut venir réactiver ou majorer des difficultés propres à notre histoire de vie.

Les boucs-émissaires

Dans les crises, quelles qu’elles soient, on constate la désignation de boucs-émissaires. Les citoyens éprouvent un sentiment d’insécurité et en conséquence, le besoin de se protéger. Pour se garder du péril, il est indispensable d’identifier les sources de danger. Bien que cette attitude soit vaine, les Asiatiques, les Italiens et les vacanciers de retour de zones à risque sont de plus en plus fréquemment désignés responsables du péril et inspirent une méfiance grandissante.

Déficit de confiance dans les autorités

En 2016, le baromètre Edelman 5 asignalé que plus de la moitié de la population mondiale n’accorde pas sa pleine confiance à ses institutions . L’effondrement de l’économie, l’injustice sociale, la montée des inégalités, les crises financières, les abus de biens sociaux et la corruption, la crise migratoire, les crises écologiques et environnementales contribuent à altérer la confiance des citoyens.

Dans la crise actuelle du coronavirus, certains suspectent les institutions sanitaires et les pouvoirs publics d’alarmisme. Ils leur reprochent d’instrumentaliser l’épidémie aux fins de détourner l’attention de la crise économique. D’autres, au contraire, estimant que les autorités ne prennent pas les mesures radicales qui, de leur point de vue, s’imposent, les soupçonnent d’avoir des intérêts à ce que la crise s’étende. Auparavant attribuées à la volonté divine, puis perçues comme des catastrophes naturelles, les épidémies sont devenues politiques.

La suspicion à l’égard des autorités créée les conditions favorables au complotisme et lui permettent de gagner des adeptes en cas de troubles ou de tragédies.

Les fake news

Les rumeurs naissent inévitablement au sein des populations inquiètes, ce qui renforce encore le climat de peur collective. Il n’aura pas fallu plus de quelques semaines d’épidémie du covid-19 pour voir les fake news commencer à fleurir. Selon les rumeurs infondées circulant sur Facebook, le coronavirus serait une arme biologique.

Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle important dans la création et la diffusion de rumeurs alarmistes. Les situations de crise déclenchent de nombreux échanges d’informations. Plus le volume d’information échangé est important, plus le risque de nouvelles erronées et de rumeurs s’accroit. Le passage du stade de l’épidémie à celui de pandémie risque de provoquer un renforcement des théories complotistes.

Les médias

Le rôle des médias dans la situation de crise épidémique est un exercice difficile. Par définition, la crise est une situation incontrôlée ou du moins, gérée avec difficulté. Les événements se bousculent, les dépêches se succèdent, des décisions politiques et sanitaires sont prises dans l’urgence, des réactions fusent de toutes parts, etc. Autant de sujets à communiquer dans les journaux audiovisuels et la presse écrite.

Pour les médias, les pièges sont nombreux : tension générée par l’urgence, difficulté à valider des informations en évolution constante, danger de relayer des rumeurs, pression du direct, dramatisation excessive, risque de verser dans le sensationnalisme, surenchère d’images-choc, course à l’audience, etc.

Le besoin d’information des populations
Dans cette situation d’urgence, des activités communicationnelles spécifiques entrent en jeu : la communication de crise et la communication des risques.

La communication de crise a pour objectif principal d’informer de la situation présente et de l’avenir immédiat. La population est en attente d’information sur les événements (le nombre approximatif de victimes, en quel lieu, la prévision des événements futurs possibles, etc.), le mesures prises pour endiguer l’épidémie et les efforts entrepris pour assurer au mieux la santé de tous.

La communication des risques est indissociable de la communication de crise. Elle a pour but d’informer la population des risques éventuels qu’elle encoure (morbidité du virus, populations vulnérables telles que les personnes âgées, diabétiques, souffrant de voies respiratoires, etc.) ainsi que des mesures à prendre et de la conduite à tenir dans des circonstances déterminées (par exemple, mesures préventives telles que rester chez soi en cas de maladie, éternuer dans le pli du coude, ne pas se serrer la main, se laver les mains, les zones géographiques à éviter, etc.).

Si la population a le sentiment que les politiques ou les médias cachent des informations importantes, son anxiété s’accroit et devient, nous l’avons vu, source de rumeurs alarmistes et de théories conspirationnistes farfelues. L’angoisse et les rumeurs risquent de provoquer à tout moment des états de panique difficiles à contenir. Afin de prévenir de tels phénomènes, une information complète, variée et correcte est essentielle. Elle freine les imaginaires galopants et contribue sinon à éviter, du moins à réduire, les conséquences néfastes d’un événement.

L’information en continu
Le caractère exceptionnel de l’épidémie conduit à une diffusion d’information en continu. A la radio et à la télévision, les éditions spéciales s’enchaînent ; la presse écrite égrène les dossiers spéciaux.

Certaines personnes, plus que d’autres, perçoivent l’épidémie comme un péril personnel. Angoissés par leur propre amplification du risque, elles cherchent de l’information et sont en quête de la dernière nouvelle. Leur peur engendre ainsi une véritable attraction pour les moyens de communication. Connectés aussi souvent que possible aux actualités, elles en deviennent dépendantes, prisonnières d’une relation passive et angoissante à l’information. L’hyperconsommation de l’information n’accroît pas la connaissance qu’elles ont des faits. Mais à force d’être répétée, cette information forge la manière dont elles perçoivent la réalité. Elle les entraîne dans un monde où l’insécurité réelle et imaginaire sourd de toute part. Leur besoin de sécurité les pousse à chercher de l’information mais paradoxalement, celle-ci entretient leur angoisse.

Certes, il est important que les médias réfléchissent à la manière de traiter des sujets aussi sensibles et complexes que celui d’une épidémie. Toutefois, dans la façon de consommer l’information aujourd’hui, on ne peut ignorer les nouveaux moyens de communication : internet, réseaux sociaux, sms, etc. Le consommateur ne peut être exonéré de sa responsabilité dans la manière dont il s’informe. C’est à lui qu’il revient d’être vigilant, d’éviter la dépendance aux actualités et de préférer, par exemple, la radio et la presse écrite à la télévision en direct vu la puissance émotionnelle des images.

La saturation
Après une période d’une semaine à dix jours, la cadence rapide et la multiplication des informations effrayantes et des annonces sécuritaires entraînent un effet de saturation. Dans les premières semaines suivant l’éclosion d’une épidémie, les personnes éprouvent le besoin d’en parler et recherchent activement de l’information. Petit à petit, ce besoin décline et elles souhaitent, sinon oublier, du moins se distraire et retrouver un mode de vie aussi normal que possible. Toutefois aux périodes de « dénis » duquel le danger est évincé alternent des moments d’anxiété. Le rappel de la menace par les médias, messager chargé de porter la mauvaise nouvelle, est alors reçu avec de plus en plus d’acrimonie.

Les médias tenus pour responsables
« C’est la faute aux médias », « Halte à la psychose ! »

À chaque grande crise, quelle qu’elle soit, après quelques semaines, les critiques fusent quant à la gestion médiatique de la situation. Les médias se retrouvent irrémédiablement en position d’accusés. On les tient pour responsables de l’amplification du climat de terreur, on leur reproche d’avoir paniqué l’opinion publique par la multiplication de nouvelles alarmantes, on met en doute la réalité du danger, on les soupçonne d’être de mèche avec les politiques et d’utiliser la menace pour étouffer les affaires qui empoisonnent le pouvoir, etc. A contrario, s’ils font preuve de modération dans leurs propos ou si plusieurs jours passent sans véritable nouvelle, on les suspecte de retenir des informations pour ne pas inquiéter la population.

L’exercice n’est pas simple pour les médias plongés dans le maelstrom d’une crise. Trouver le bon positionnement entre trop et trop peu d’information semble relever de la gageure.

Conclusion

La nouveauté du virus, son expansion rapide et sa morbidité ne suffisent pas à expliquer la peur collective qu’il suscite. L’appréhension ancestrale de l’avenir, le mal-être social, les difficultés personnelles, le manque de confiance dans les autorités publiques et les institutions sanitaires, la surinformation médiatique et l’émergence de fake news jouent un rôle important dans la majoration de l’inquiétude du covid-19.

Plus les foyers épidémiques se multiplient, plus l’épidémie devient difficile à contrôler. Plus difficile encore sera de juguler l’angoisse collective qu’elle génère.

Articles de la série

Josse E. (2020). Le deuil chez la personne âgée au temps du coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article424

E. (2020). Ces adolescents qui bravent le confinement. Pistes de réflexion. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article423

Josse E. (2020). Sur le front d’une guerre biologique. La santé mentale du personnel hospitalier face au coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article422

Josse E. (2020). Enfants et adolescents confinés, mode d’emploi. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article417

Josse E. (2020). Le coronavirus pour les nuls. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article415

Josse E. (2020). Les enfants face au coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article411

Josse E. (2020). Infodémie : le coronavirus à l’épreuve des fake news et des théories complotistes. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article414

Josse E. (2020). L’épidémie de peur du coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article408

Documents joints

Notes et références

  1. Evelyne Josse a travaillé pour Médecins Sans Frontières au Vietnam dans la lutte contre l’épidémie de SRAS (un coronavirus) ainsi qu’en République Démocratique du Congo et en Guinée pour des épidémies Ebola.
  2. La peste noire a tué 25 millions de personnes entre 1347-1352. L’origine de la formule « A vos souhaits » lorsqu’une personne éternue reste controversée à ce jour. Une hypothèse couramment admise la fait remonter à cette terrible épidémie de peste. Eternuer était le premier symptôme de la maladie. « À vos souhaits » était une manière de souhaiter la santé et de conjurer le sort funeste.
  3. En 1918-1919, la grippe espagnole a fait 50 millions de morts selon l’Institut Pasteur et jusqu’à 100 millions selon de nouvelles estimations récentes.
  4. Le taux de létalité du coronavirus est actuellement estimé à 3% chez les personnes symptomatiques. Ce chiffre pourrait être revu à la baisse dans la mesure où des personnes semblent être porteuses saines.
  5. Edelman Trust Barometer (2016) En ligne : http://www.edelman.com/2016-edelman- trust-barometer

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