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L’hypnose judiciaire en Belgique. L’état de la question. Discussion avec Johanne Tinck, journaliste

Comment en êtes-vous à travailler dans le domaine de l’hypnose judiciaire ?

Très simplement, à la demande d’un expert en hypnose judiciaire débordé par les demandes émanant des magistrats.

Qu’apporte selon vous l’hypnose judiciaire?

Je voudrais préciser qu’en Belgique, la jurisprudence n’autorise l’utilisation de l’hypnose dans les enquêtes judiciaires qu’avec les témoins et les victimes volontaires. Jamais avec les suspects. Je voudrais également préciser que cette méthode n’est pas une technique d’enquête à proprement parler ; elle est davantage à considérer comme un complément aux méthodes d’audition classiques. Elle a toujours été une pratique mineure réservée exclusivement aux faits graves tels que meurtres, attaques de banque, viols, traite des êtres humains, etc. Et je pense qu’il est important de souligner que l’hypnose n’a été utilisée que lorsque les indices à disposition des enquêteurs étaient insuffisants à faire émerger la vérité.

Il est aussi important de préciser que les éléments recueillis par hypnose ne sont pas considérés comme des moyens légaux de preuve, pas plus d’ailleurs que les témoignages livrés hors hypnose. Les enquêteurs ne prennent pas pour argent comptant tout ce que leur livre un témoin ou une victime, que ce témoignage ait été recueilli en hypnose ou au cours d’une audition classique. L’hypnose n’apporte pas de preuves formelles mais elle offre souvent des indices utiles au travail des enquêteurs, elle ouvre des pistes. Les informations obtenues par cette technique ne servent qu’à orienter l’enquête et elles doivent être corroborées par des éléments objectifs. Les enquêteurs vérifient les informations recueillies en hypnose par d’autres procédures d’enquête tout comme ils le font pour les dépositions ordinaires.

Comparé à un rappel en état de conscience habituel, l’hypnose permet de récupérer un plus grand nombre d’informations. Je vais vous donner un exemple. J’ai vu un témoin dans le cadre d’un homicide. Lors de sa déposition, il a déclaré que l’agresseur avait tiré trois coups de feu et que la jeune victime, surprise, était restée assise sans avoir eu le réflexe de se protéger. Ses déclarations ne correspondaient pas au constat du médecin légiste. C’était très stressant pour lui parce que cela posait question quant à son rôle au moment de l’homicide. Il avait donc tout intérêt à se souvenir mais malgré la force de sa volonté à se rappeler, ses efforts sont restés vains. En hypnose, il a retrouvé le déroulement exact des faits : il a revu la victime se jeter au sol dans un geste désespéré, il a entendu les deux coups de feu tirés par l’assassin et a visualisé la victime gisant sur le dos, le T-shirt relevé en accordéon sur le ventre laissant apparaître, dépassant du pantalon, la marque commerciale du boxer inscrite sur l’élastique de la ceinture du sous-vêtement.

En hypnose judiciaire, pour les témoins, l’investigation porte souvent sur des informations qu’ils n’ont pas conscience d’avoir mémorisées, généralement parce que la situation était banale au moment où ils l’ont expérimentée et ne s’est révélée criminelle qu’ultérieurement. En ce qui concerne les situations vécues par les victimes, les policiers souhaitent fréquemment faire resurgir des éléments qui semblent avoir échappé à leur mémoire, les informations concernant le danger les ayant supplantés mais il arrive aussi qu’un choc traumatique provoque une amnésie partielle des événements investigués.

Que pensez-vous de la décision du service des sciences comportementales d’avoir arrêté l’hypnose judiciaire en 2019 ?

La méthode a toujours été controversée et pourtant, elle a prouvé son efficacité dans de nombreux dossiers. Au sein du service de la Police technique et scientifique, la question du recours à l’hypnose judiciaire faisait débat et elle opposait partisans et détracteurs de l’hypnose depuis un bout de temps déjà. Vous savez, l’hypnose a un côté mystérieux qui a toujours fait un peu peur. A mon avis, le rapport de force est devenu favorable aux détracteurs avec le départ du service des deux éléments-clé défenseurs de l’hypnose judiciaire.

Si mes informations sont exactes, un des arguments principaux qui a poussé la direction à prendre la décision de ne plus mener d’entretien en hypnose est le fait qu’à l’étranger, cette méthode est peu utilisée dans le cadre judiciaire. Un autre argument serait que la littérature scientifique est plus favorable à la technique de l’entretien cognitif. La direction a donc décidé de privilégier l’utilisation de cette technique. L’entretien cognitif est une procédure non-directive utilisée pour recueillir les témoignages des victimes et des témoins. Il consiste à restaurer mentalement le contexte de l’événement, à s’en remémorer les détails, même s’ils apparaissent sans importance, à se souvenir de la scène selon différentes directions temporelles, par exemple, changer l’ordre de remémoration ou raconter l’histoire en partant de la fin, et à décrire l’événement en adoptant divers points de vue.

Personnellement, je pense que la décision de la direction de la Police technique et scientifique de ne plus recourir à l’hypnose dans le cadre judiciaire est regrettable. L’hypnose offre des possibilités que l’entretien cognitif n’offre pas. Il m’est, par exemple, souvent arrivé de devoir utiliser des techniques hypnotiques très complexes pour retrouver des éléments d’une situation. Je vais vous raconter un cas. Un jeune homme a été victime d’une tentative d’homicide. Alors qu’il était face à la devanture d’un magasin, des individus ont tiré des coups de feu dans sa direction. Il s’est retourné et a vu une voiture s’enfuir à vive allure. Sous le choc, il n’a pas eu la présence d’esprit de regarder, et encore moins de mémoriser, la plaque minéralogique. En hypnose, je l’ai ramené dans la scène, j’ai tenté de lui faire revoir la voiture et la plaque, mais en vain. J’ai alors utilisé une technique particulière que seule l’hypnose permet. J’ai emmené une partie de son esprit dans la situation critique et l’autre partie, en vacances. Il a retrouvé trois lettres de la plaque d’immatriculation, ce qui est suffisant à identifier un véhicule lorsqu’on en connait le modèle et la couleur. A la sortie de l’état hypnotique, il n’avait gardé que le plaisir d’être parti en vacances où mon induction l’avait mené ; il n’avait aucun souvenir d’avoir livré des informations sur la fusillade et consciemment, il ne se rappelait pas des trois lettres retrouvées en hypnose !

Pourriez-vous me parler de cas concrets ?

Oui, bien sûr. Dans la cadre d’une disparition suspecte, un jeune homme recherché avait été vu pour la dernière fois dans un restaurant en compagnie d’une dame. Les enquêteurs étaient à la recherche de cette dernière parce qu’ils souhaitaient l’interroger au sujet du disparu. Une étudiante, travaillant occasionnellement en salle dans l’établissement, avait servi le jeune homme disparu et sa compagne, comme de nombreux autres clients ce jour-là. Elle n’avait vu la dame que le temps de ce repas et lorsqu’elle s’est présentée au bureau de la police fédérale pour la séance d’hypnose judiciaire, les faits remontaient à trois mois. Grâce à l’hypnose, elle a réussi à retrouver de nombreux détails de la physionomie de la dame, ce qui a permis de dresser un portrait-robot d’une précision exceptionnelle, fidèle jusqu’à la couleur du maquillage et des bijoux. Quelques semaines plus tard, la dame recherchée s’est présentée spontanément à la police. Elle a vu son portrait-robot et elle a été très impressionnée par la ressemblance au point de s’écrier : « C’est presque une photo de moi ! ».

Un deuxième cas. Suite à un tiger-kidnapping, les policiers ont enquêté sur des individus soupçonnés d’être les agresseurs en repérage. Ces derniers ont été aperçus dans le quartier du gérant quelques jours avant l’attaque de la banque. Lors de sa déclaration, un témoin a affirmé avoir vu trois hommes de type magrébin, aux yeux foncés et aux cheveux bouclés. En hypnose, il a été stupéfait de constater que les hommes avaient les yeux verts et les cheveux châtains, ce qui lui a fait penser qu’ils étaient originaires d’Europe de l’est. L’enquête a confirmé l’authenticité des éléments du souvenir ravivé en hypnose. Les détracteurs de l’hypnose judiciaire invoquent souvent le risque de retrouver de faux-souvenirs mais ce biais, inhérents au fonctionnement de notre mémoire, existe pour tout recueil des témoignages. Ce cas nous montre bien que si le phénomène des faux souvenirs existe en hypnose, il se produit également hors hypnose et l’état de conscience modifié peut, dans certains cas, permettre de retrouver les informations correctes !
Un autre cas, celui d’un de mes collègues. Une jeune femme a été arrêtée par un policier sur le bord d’une autoroute, il l’a emmenée à l’écart et l’a agressée sexuellement. Focalisée sur l’homme, elle s’est montrée incapable de livrer des détails sur le contexte, notamment de préciser l’heure de l’agression. Or, cette information était capitale parce que l’agresseur avait reçu un coup de téléphone. Sans un créneau horaire précis, il était impossible d’identifier un appel parmi les milliers d’échanges téléphoniques relayés par le réseau GSM. En hypnose, elle s’est souvenue de la chanson passant à la radio au moment de l’interpellation, ce qui a permit de déterminer l’heure exacte et d’arrêter le coupable.
Des anecdotes, souvenirs particuliers?
Un cas qui m’a beaucoup touchée, c’est celui d’une enfant de 12 ans qui a été sauvagement violée, sévèrement blessée et vous pouvez vous en douter, très traumatisée psychologiquement. Elle était incapable de décrire son agresseur. Elle était tellement traumatisée qu’il lui était impossible d’évoquer l’agression. Grâce à l’hypnose, elle a retrouvé la mémoire de la physionomie de l’agresseur et a pu sans difficulté aider le portraitiste à dresser un portrait-robot.

Un autre cas qui m’a beaucoup touchée, c’est celui d’une femme qui a été victime de la traite des êtres humains. Son histoire était absolument tragique. Ses agresseurs étaient de gros trafiquants d’êtres humains en provenance de tout le continent africain. En hypnose, elle s’est rappelée de multiples éléments, en apparence banals. Elle a notamment retrouvé une marque de bière et cela s’est révélé déterminant pour l’enquête. Cela a permis aux enquêteurs d’orienter leur recherche vers le pays des malfrats et a contribué à démanteler le réseau criminel. La perspicacité des enquêteurs m’avait aussi beaucoup impressionnée.

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