« Je rêvais que le patient était décédé » : le risque de stress post-traumatique chez les soignants

Un article de Marianne Klaric pour le site web de la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone le samedi 16 mai 2020

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Il est 15 heures ce vendredi 8 mai. Dans l’unité des soins intensifs cardio-vasculaire des Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, c’est la relève. L’équipe du soir reprend du service. C’est plus calme depuis quelques jours. Il y a moins de patients Covid. Mais les visages sont fatigués, les gestes sont lents. Deux mois de travail intense, avec une charge émotionnelle forte, cela a laissé des traces.

« Ça a été très difficile, nous confie Alexia Ladia, infirmière dans ce service. Nous avons été confrontés à plusieurs stress. Le fait que ce soit une pathologie inconnue, qu’on devait se protéger soi-même. On ne savait pas si on faisait les bons gestes. On avait peur de contracter le virus, de le ramener chez soi, on soignait aussi des collègues, qu’on voyait dans un état grave, qu’on a mis sous oxygénation extracorporelle, sans quoi ils mourraient. C’était très difficile de les voir comme ça. »

« La peur d’être contaminé et de contaminer nos familles »

Ils l’ont souvent dit aux journalistes qui les rencontraient, les soignants ont eu très peur du Covid-19. Ils ont été parfois exposés sans protections suffisantes, et beaucoup ont été infectés. Certains ont vu mourir des collègues infirmier.ères ou médecins.

Dans ces conditions, pour les professionnels de la santé, le risque qu’ils développent des symptômes de stress post-traumatique est très élevé.

« Les soignants ont été sujets, témoins ou acteurs de situations très traumatisantes. Ils ont été sur le front, comme des soldats. Ils ont été exposés à la mort de façon inédite pour eux. Ils ont vu décéder des personnes jeunes, comme eux », analyse Evelyne Josse, psychologue et psycho traumatologue, Université de Metz et ULB.

« Parfois, il a fallu trier les patients, choisir entre celui ou celle qui avait le plus de chances de s’en sortir. Ils se disent qu’ils auraient pu les sauver. On peut comparer cela au traumatisme qu’ont connu les vétérans du Vietnam. »

Le sentiment d’impuissance face à ce virus inconnu jusqu’ici, la confrontation à un nombre très élevé de décès, dans des conditions inhumaines, puisque les familles n’étaient pas autorisées à venir voir leurs proches qui allaient mourir, tous les soignants que nous avons rencontrés nous en parlent.

« Tenir le téléphone pour que les proches puissent dire au revoir à leur parent »

« Le patient décédait seul, la famille n’était pas là. Il n’y avait que nous pour l’accompagner, nous raconte Julie Cardon, infirmière-chef aux soins intensifs aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Et quand les familles pouvaient venir, au dernier moment, et qu’ils voyaient dans quel état était leur proche, on voyait leur détresse. C’était très difficile à supporter. »

Même traumatisme pour Hélène Lecoq, infirmière dans une unité Covid de l’hôpital Ambroise Paré, à Mons : « On avait deux ou trois décès par jour. On était les dernières personnes que les mourants voyaient. Psychologiquement, c’était très dur. On devait tenir le téléphone pour que les parents puissent dire au revoir, quand souvent le patient ne pouvait même plus parler, c’était très difficile ».

Comment digérer tout ça et comment vont-ils se sentir dans les mois qui viennent, tous ceux qui, parmi le personnel soignant, ont vécu ces situations traumatisantes ? « C’est comme pour les soldats, au moment de l’action, ils font face. Mais les symptômes vont venir après, explique Evelyne Josse. Quand tout va se calmer, dès que le sentiment de sécurité va revenir, il va y avoir un effet de décongélation. Les gens vont davantage consulter. »

« On ne réfléchit pas trop, nous dit quant à elle Marie Sorel, infirmière dans le service de soins intensifs. On fait notre travail avec toute l’humanité possible pour que les patients ne souffrent pas, mais on ne réfléchit pas trop à la suite. Si on se projette, ça devient difficile. »

« Ça fatigue très fort et au niveau émotionnel, c’est lourd, même si on ne s’en rend pas compte, confie-t-elle encore. On travaille dans des conditions très difficiles. »

« Ça laissera des traces, nous dit Julie Cardon. Il y a des moments où émotionnellement on craque. On a tous des mécanismes différents pour se protéger. Beaucoup d’entre nous vivent au jour le jour. On donne tout ce qu’on donne et on ne se projette pas trop dans l’après. »

Cauchemars, flash-back…

Les symptômes de stress post-traumatiques vont se manifester plus tard chez ceux qui ont été en première ligne. Ce seront des difficultés de sommeil, des flash-back, des symptômes dépressifs, des cauchemars.

Dès le début, les nuits ont été aussi pénibles que les journées, comme l’explique Hélène Lecoq, infirmière à l’hôpital Ambroise Paré : « On fait pas mal de cauchemars. Moi, je rêve que j’ouvre les portes des chambres et à chaque fois, je vois un patient décédé ».

Michel Tremont, infirmer chef aux urgences de l’hôpital Ambroise Paré, vit une expérience similaire : « Les nuits sont très longues parce qu’on ressasse ce qu’on a pu voir dans la journée, tout ce qu’on a pu entendre dans les médias, tout ce qu’on a pu partager comme émotions négatives. Les heures passent et le sommeil ne vient pas ».

En parler, sous peine de développer un stress post-traumatique

Dans les hôpitaux, les professionnels de la santé mentale sont bien conscients du risque auquel sont exposés les soignants de première ligne. « On ne sait pas encore dans quelles proportions notre personnel pourrait développer des symptômes de stress post-traumatique », nous dit le professeur Philippe de Timary, psychiatre et chef du service de psychiatrie des Cliniques universitaires Saint-Luc.

« On est attentifs, on se rend bien compte que le personnel a été exposé à des situations de stress prolongées, avec des journées infernales et une dimension physique qui était très lourde. A cela s’ajoutait un poids moral important lié aux conditions de travail difficiles, au risque auquel ils s’exposaient et à la mortalité. »

Pour venir en aide aux soignants, la plupart des hôpitaux ont envoyé des psychologues dans les unités Covid ou instauré des permanences téléphoniques. Dans le service des soins intensifs cardio-vasculaire des Cliniques universitaires Saint-Luc, qui a été mis sous tension pendant deux mois, des groupes de parole ont été organisés.

« J’ai fait appel aux psychologues, témoigne Julie Cardon, infirmière-chef. On a aussi fait des réunions d’équipe avec la psy pour partager ce qu’on a vécu, pour se rendre compte qu’on était plusieurs à en avoir souffert. Cela nous aide à mieux avancer. »

« Au bout de 35 ans aux urgences, nous dit Michel Tremont, j’ai connu beaucoup de situations dramatiques et stressantes. C’est le métier. A chaque fois, on parvient à se ressourcer. Il y a aussi une profonde solidarité. Cette épidémie nous a rapprochés. »

Mais Michel Tremont confie aussi : « Je n’oublierai jamais ces deux patients : une dame qui est arrivée consciente mais fortement dyspnéique (qui éprouve des difficultés à respirer, ndlr). En une heure, elle était décédée. Quelques jours plus tard, j’ai vu un jeune homme arriver avec sa mère par ses propres moyens pour un dépistage classique. Il s’est retrouvé en réanimation et il est mort le lendemain. C’est quelque chose qui nous a profondément marqués ».

Et l’infirmier-chef d’ajouter que le jour où il a vu mourir un de ses collègues, il a craqué. C’était trop.

Tous sont bien conscients aujourd’hui qu’ils ont vécu avec l’épidémie de coronavirus, une situation inédite, hautement stressante. Jamais, ils n’ont imaginé ça. Ils ne l’oublieront pas de sitôt. Et tous croisent les doigts pour qu’il n’y ait pas de deuxième vague, parce que, disent-ils, ils n’auront plus la force de le supporter.

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