« Ça m’angoisse énormément de sortir » : le syndrome de la cabane ou la peur de se déconfiner

Un article de Marianne Klaric pour le site web de la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone le mercredi 20 mai 2020

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Deux mois de confinement et puis, enfin, un déconfinement progressif. Pour beaucoup, c’est la liberté retrouvée. Mais d’autres vont avoir du mal à sortir de chez eux. L’idée de retourner sur le lieu de travail, d’aller faire des courses ou simplement de croiser des gens les angoisse. Ils n’arrivent pas à sortir du confinement. C’est ce qu’on appelle le syndrome de la cabane, en référence aux chercheurs d’or dans l’Amérique de la fin du 19e siècle. A l’origine, la « cabin fever » désigne le stress lié à l’enfermement. Après le confinement dû au Covid-19, les Chinois et surtout les Espagnols ont remis le terme au goût du jour.

Quels symptômes ?

Que se passe-t-il quand on souffre de ce fameux syndrome de la cabane ? « On éprouve des angoisses, du stress, de la nervosité, de la fatigue, avec la difficulté de se lever le matin, avec le besoin de faire des siestes », décrit Evelyne Josse, psychologue et psycho traumatologue, Université de Metz et ULB.

« Ce qui prédomine, c’est la peur de sortir, peur qui n’est pas toujours exprimée en tant que telle. Les gens vont parfois dire : ‘Je vais bien, j’ai tout ce qu’il faut, je n’ai pas envie de sortir’, mais, souvent, il y a quand même cette peur de sortir de chez soi. »

Mais de quoi ont-ils peur ? « De la contamination, pour eux-mêmes ou pour les autres, peur aussi parce que le monde a changé, ce ne sera plus comme avant, ce sera comme après, avec la distanciation, les masques, les queues dans les magasins… »

Pour ceux d’entre nous qui n’auront pas envie de reprendre la vie d’avant, il y a le constat que le virus n’a pas disparu. « La situation n’a pas changé, c’est la même chose, estime Julie, employée dans une petite structure. Donc, moi, ça m’angoisse beaucoup de reprendre une vie normale, de recommencer à voir des gens qui ne portent pas de masque, à les frôler. J’ai peur de faire mes courses, ça m’angoisse, j’ai la boule au ventre « .

Pas envie de retourner sur le lieu de travail

A la maison médicale Le Noyer, à Schaerbeek, les patients ne sont pas encore revenus. Ils continuent à consulter par téléphone, avec souvent les mêmes interrogations. « Depuis le début du déconfinement, on a des appels de gens qui hésitent à renvoyer leurs enfants à l’école, à retourner au travail ou à prendre les transports en commun, observe Benjamin Fauquert, médecin généraliste. Ils ont peur de passer à une autre étape, ils veulent voir comment ça va se passer. »

Dans le cabinet médical, on donne des masques pour dépanner ceux qui n’en ont pas. Burak, la quarantaine, est inquiet lui aussi : « Je me dis que c’est peut-être un peu tôt pour se déconfiner. Il y a encore pas mal de cas, de personnes infectées. Je ne sors que quand c’est vraiment nécessaire, quand je dois faire des courses. Au travail, on m’a proposé de rester en télétravail et j’ai préféré rester à la maison, parce que j’ai encore des craintes ».

« Beaucoup de gens hésitent à retourner au travail, ajoute Benjamin Fauquert. Ils sont dans l’ambivalence, comme quelqu’un qui arrête de fumer ou de prendre des somnifères. Ils se disent : comment je vais faire pour changer de comportement ? J’ai envie de retourner au travail, mais en même temps, j’ai peur, parce que je serai exposé. »

Parfois, le télétravail a été une bonne expérience, que certains voudraient prolonger, pour se protéger : « Je ne vois pas à quoi cela servirait que je retourne au travail, nous dit Julie. Ça m’angoisse. Je suis très sociable, donc ça va me stresser. On a l’habitude de manger tous ensemble. Comment on va faire ? Et pour la propreté des toilettes ? Elles ne sont pas nettoyées tous les jours, donc comment on fait ? ».

Ce n’est pas un trouble mental, sauf si cela dure

Pour absorber un changement important, il faut habituellement deux à trois semaines. Les gens ont dû se faire au confinement, un style de vie tout à fait inédit pour la plupart d’entre nous. A présent, il faut faire le chemin inverse et accepter de vivre presque comme avant. « Si on demande trop d’efforts, c’est comme la remontée de plongée, explique Evelyne Josse, psychologue. Si on va trop vite, on va à la casse. Il faut reprendre un rythme progressivement, une routine. On a été se coucher plus tard, on s’est levé plus tard, il s’agit de restructurer son temps. »

Ne pas avoir envie de sortir après le confinement, ce n’est pas grave. Ce n’est pas une maladie psychiatrique, c’est un stress de base qui découle d’une modification des habitudes ou de mode de vie. Si les symptômes persistent, et que cela engendre une souffrance psychologique, alors il faudra consulter. La peur de sortir pourrait durer chez les personnes les plus fragiles, les hyperangoissés, les agoraphobes, les hypocondriaques.

« Je suis quelqu’un d’anxieux, confie Julie, j’y ai beaucoup pensé pendant ce confinement. J’ai peur que beaucoup de gens accusent le coup par la suite. En tout cas, moi, je ne me sens en sécurité que chez moi. Chez moi, je contrôle tout. Dès que je sors, je perds le contrôle, c’est anxiogène, c’est quelque chose qui me rend malade et qui me donne la boule au ventre. »

Mais pour ceux qui ont aimé cet isolement forcé, ceux qui se sont mis à la cuisine, au tricot ou à la méditation, cela pourrait déboucher sur une remise en question globale du mode de vie. « Je vais prendre la métaphore de la grenouille, commente Evelyne Josse. Quand on la plonge dans l’eau bouillante, elle cherche à en sortir prestement, mais si on la met dans l’eau et que l’on monte progressivement la température, elle ne se rend pas compte du danger, et elle meurt. Les gens ne veulent plus être plongés dans l’eau bouillante. Ils ne veulent plus reprendre la vie d’avant, avec toutes ses contraintes et le stress qui en découle. »

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