Torture et violences sexuelles dans les conflits armés, des liens étroits

Cet article a été publié le 2 février 2013 sur le site de Grotius International. Pour accéder à l’article, cliquez ICI
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Evelyne Josse, 2013

Les conflits armés sont le théâtre de la cruauté ; s’y exacerbent à la fois violences sexuelles et actes de torture. Pour fréquente qu’elle soit, cette association ne laisse pas d’interroger sur les liens entre les violences sexuelles et les actes de torture perpétrés en temps de guerre. Les agressions d’ordre sexuel répondent-elles à des stratégies politiques planifiées ? Quelles formes et quelles significations particulières revêtent ces violences ? Constituent-elles toujours des actes de torture ? Pour les victimes, les effets destructeurs de la torture stricto sensu et ceux des violences sexuelles sont-ils comparables ?

Avant de dresser un état des lieux des violences sexuelles en contexte guerrier et d’en repérer les confluences avec la torture, il est utile d’évoquer les valeurs que véhicule la sexualité et les interdits qui la gouvernent.

La sexualité, valeurs et tabous

La sexualité ne se réduit pas à la seule satisfaction physiologique des pulsions sexuelles. En effet, elle cristallise de nombreuses valeurs et de multiples tabous, tant personnels que sociaux, et se teinte de significations spécifiques en fonction de l’usage social qui en est fait : pacification, réconciliation, régulation sociale, punition, échange, transaction, provocation, domination, humiliation, contrôle, etc.

Au niveau individuel

La majorité des individus répugnent à envisager la sexualité hors d’un contexte précis. Par exemple, selon les cultures et les individus, les rapports pratiqués hors d’une relation amoureuse ou maritale, non consentis par l’une des parties ou avec un partenaire du même sexe provoquent détresse et humiliation.

Au niveau sociétal

Du côté des filles et des femmes. La capacité sexuelle et reproductive confère aux femmes un rôle prépondérant dans la construction et la préservation de l’identité clanique, ethnique et culturelle d’une population. Par leur mariage, les groupes s’allient et ces alliances sont renforcées par la progéniture qui naît des unions. Aussi n’est-il pas étonnant que la sexualité fasse l’objet d’un contrat social [1] et que toutes les sociétés en régulent, codifient, fixent, voire légifèrent, l’accès. Ainsi, par exemple, dans la plupart des cultures traditionnelles, les relations sexuelles ne sont permises qu’au sein d’une union consentie par les familles et légitimée par les liens du mariage. Quant aux noces, elles ne sont le plus souvent concevables qu’avec un individu d’une ethnie, d’une tribu, d’une caste ou d’une religion déterminées. Envisager des relations intimes ou des épousailles dans tout autre cadre est prohibé.

Les agressions sexuelles contreviennent à toutes les règles présidant aux conditions sociales de la sexualité. Elles exposent généralement les victimes à la stigmatisation, voire à la discrimination et compromettent considérablement leur bien-être social. Dans de nombreuses sociétés, les croyances et les préjugés les désignent comme responsables des sévices qu’elles ont subis et justifient leur disgrâce communautaire. En effet, le viol et autres actes sexuels forcés sont assimilés à l’adultère ; ils sont attribués à un sortilège maléfique châtiant un comportement inconvenant (par exemple, à l’égard d’un membre de la famille) ou à la punition divine de péchés qu’auraient commis les infortunées ou bien encore, considérés comme la conséquence méritée d’une pulsion qu’elles auraient provoquée par leur tenue vestimentaire ou leur attitude.

Du côté des hommes. La virilité distingue non seulement les hommes des femmes mais elle classe également les individus masculins selon un axe vertical au sommet duquel se hissent les hommes « dignes de ce nom » et au bas duquel sont relégués les « sous-hommes ». Dans les contextes de guerre, les hommes doivent être valeureux, ce qui concoure au renforcement des critères et des valeurs propres à l’identité masculine. Les individus doivent être capables d’affirmer leur virilité et de passer pour des « durs » sous peine d’être considérés comme des « tapettes », des « femmelettes » ou des « chochottes » et de perdre leur honneur. Les agressions sexuelles commises à l’égard des hommes constituent un moyen de conquérir le pouvoir ainsi qu’un instrument de contrôle et d’humiliation. Elles servent aux belligérants à affirmer leur force et à marquer leur dominance ; elles visent à déshonorer les vaincus, à montrer qu’ils sont incapables de défendre leur honneur et de prouver qu’ils sont de vrais hommes.

Les agressions sexuelles corrompent l’identité sexuée des hommes et leur dérobent leur virilité. Elles produisent une mutation radicale dans la manière dont ils se perçoivent et induisent une modification des rapports sociaux au sein de la communauté. En effet, dans la plupart des sociétés, les hommes violés sont déconsidérés ; ils risquent d’être affligés d’une réputation d’homosexuel et en conséquence, d’être rejetés par leur épouse et d’être mis au ban de leur communauté.

Au vu de l’importance que revêt la sexualité pour les individus et pour les communautés, il n’est pas étonnant que les violences d’ordre sexuel se rencontrent dans les conflits armés et que les tortures s’accompagnent fréquemment de sévices sexuels.

Les formes de violence sexuelle dans les contextes de conflit armé

Les formes de violences sexuelles perpétrées dans les contextes de conflit armé sont multiples et diverses.

Le viol comme méthode de guerre. On parle de viol comme arme de guerre ou comme méthode de guerre lorsqu’il est planifié par une autorité politico-militaire et utilisé de manière stratégique par une des parties d’un conflit pour humilier, affaiblir, assujettir, chasser ou détruire l’autre. Il s’agit généralement des viols de masse (perpétrés sur de nombreuses victimes), multiples (une victime est agressée à plusieurs reprises) et collectifs (la victime est agressée par plusieurs assaillants), fréquemment commis en public, accompagnés le plus souvent de brutalités et de coups.

Le viol comme arme de guerre constitue une forme d’attaque contre l’ennemi. Il caractérise la conquête et l’avilissement des femmes incarnant l’identité culturelle adverse, l’humiliation des hommes en charge de leur protection mais impuissants à les défendre ainsi que le déshonneur des combattants capturés. Perpétré avec la volonté délibérée de semer la terreur, l’infamie et les germes du rejet social, il est une arme de destruction psychique et communautaire. Outre la volonté de semer la peur et la honte, le viol peut être utilisé dans le but de contaminer les rivales et de propager le virus du VIH/SIDA.

La terminologie du Comité International de la Croix-Rouge désignant le viol comme « méthode de guerre » est plus judicieuse, car plus large, que celle de viol comme « arme de guerre ». Une arme est utilisée dans l’intention d’infliger une blessure ou de tuer. Dans les conflits armés, le viol peut servir ces fins mais également être exploité pour des raisons plus perfides comme polluer l’ethnicité d’une communauté. Par exemple, durant le conflit en ex-Yougoslavie, les combattants serbes recouraient au viol et aux grossesses forcées pour pervertir la « race » de leur ennemi et anéantir le futur de la communauté bosniaque. Dans l’Est du Congo, les combattants Hutus originaires du Rwanda [2] utilisent cette stratégie pour forcer les femmes congolaises à donner naissance à des enfants porteurs de leur identité culturelle et ce, dans le but délibéré de s’implanter civilement dans la région qu’ils occupent militairement.

Autres formes de viol commis par les belligérants. De tous temps, les agressions sexuelles ont fait partie des traditions guerrières. Elles le restent malgré la ratification de lois internationales et de codes militaires les interdisant et les sanctionnant. Toutes les exactions commises durant un conflit armé ne servent toutefois pas d’armes de guerre. En effet, les agresseurs ne poursuivent pas nécessairement un plan stratégique et tactique édicté par leurs supérieurs ; ils agissent fréquemment de leur propre initiative.

Le viol comme hymne à la virilité du combattant. Certains viols sont une récompense octroyée aux combattants par les autorités militaires. Les supérieurs hiérarchiques autorisent parfois, voire encouragent leurs troupes à commettre des viols sur les populations civiles pour les récompenser des services rendus, exalter leur bravoure et doper leur moral. De même, après une victoire, il n’est pas rare que les vainqueurs violent les filles et les femmes des vaincus considérées comme un butin de guerre et parfois, qu’ils agressent sexuellement les hommes dans l’intention de les humilier.

Le sexe de confort. Les combattants sont généralement jeunes et sexuellement actifs, célibataires ou séparés de leur famille (manque affectif et sexuel), sommairement instruits (ignorance des lois) et soustraits au contrôle social de leur communauté d’origine (absence d’agent régulateur des conduites considérées comme inadmissibles), parfois intégrés dans des unités de combat peu structurées et peu encadrées. De plus, ils jouissent d’une impunité quasi assurée (silence des victimes, tolérance des autorités quant aux agressions sexuelles, désorganisation des systèmes policiers et judiciaires, etc.) et consomment fréquemment de substances psychoactives (alcool, drogues) aux effets désinhibiteurs. Tous ces facteurs contribuent eux aussi à l’explosion des viols des filles et des femmes dans les situations de conflits armés. De même, pour humilier leurs victimes mais également pour assouvir leurs propres pulsions sexuelles, des agents pénitenciers peuvent faire subir des agressions sexuelles aux détenus, femmes et hommes, prisonniers de guerre.

Le sexe de confort « organisé ». Des filles et des femmes sont enlevées par des combattants et séquestrées dans leur campement. Dans certains cas, elles sont considérées comme l’épouse d’un seul homme ; dans d’autres, elles sont les esclaves sexuelles de la troupe. Outre les services sexuels, elles sont chargées des tâches domestiques, agricoles et militaires. L’esclavage sexuel est parfois organisé et planifié par les autorités militaires. Ainsi, des fillettes et des femmes sont kidnappées pour assouvir les besoins sexuels des forces armées. Elles sont prostituées de force dans des casernes ou dans des bordels sous contrôle militaire. Pendant la seconde guerre mondiale, les femmes contraintes de se prostituer pour l’armée et la marine impériale japonaise ont été appelées « femmes de confort » ou de « réconfort ». Plus récemment, durant la guerre en ex-Yougoslavie, des filles et des femmes ont été victimes de la traite des êtres humains pour rencontrer la demande en prostituées émanant des membres des forces internationales de maintien de la paix stationnées dans la région.

L’inceste et le viol forcé d’un proche. Dans certains contextes, des femmes et des hommes sont contraints par les agresseurs à se livrer à des relations sexuelles avec des membres de leur famille (entre mère et fils, père et fille, frère et sœur, tante et neveu).

Les actes sexuels forcés avec un codétenu ou un homme de la communauté. Des soldats, des gardiens de prison ou des policiers forcent les hommes à avoir des rapports sexuels entre eux comme forme de « divertissement ».

Les rapports sexuels contre-nature. Les individus, femmes et hommes, sont parfois contraints par leurs bourreaux à se livrer à des relations sexuelles avec un animal.

Le spectacle du viol des membres de sa famille perpétré par les belligérants ou par des membres de la communauté de la victime forcés par les agresseurs de commettre ces agressions. Des familles sont contraintes à assister au viol de leurs proches, le plus souvent de l’épouse, de la mère, des sœurs ou des enfants. Il leur est parfois imposé de danser, d’applaudir ou de chanter pendant la durée du viol. On les force aussi à faciliter l’agression, par exemple, en immobilisant la victime pour l’empêcher de se débattre, en fournissant de l’huile pour lubrifier le sexe d’un enfant et permettre ainsi la pénétration, etc. Outre les dommages causés à la victime, ce type de viol vise à blesser l’amour propre et l’honneur des hommes de son entourage qui n’ont pas pu la défendre.

Les brutalités exercées sur les zones génitales et la destruction des fonctions reproductives. Des tortures et des mutilations sexuelles sont souvent infligées aux filles et aux femmes de la communauté adverse (éventration des femmes enceintes, mutilation des organes génitaux, intromission d’objets dans les parties génitales, etc.), avant, pendant ou après un viol. Les organes sexuels des hommes, notamment lorsque ces derniers sont incarcérés, sont fréquemment le siège des tortures (décharges électriques, coups, torsions, introduction d’objets dans l’anus, mutilations et amputation des organes génitaux, etc.).

Les grossesses imposées par la force. Des jeunes filles et des femmes sont violées de façon répétée jusqu’à ce qu’elles soient enceintes. Elles sont maintenues en captivité jusqu’à un terme avancé de la gestation et sont relâchées lorsqu’un avortement ne peut plus être pratiqué. Dans certains cas, il s’agit d’une stratégie visant délibérément à corrompre les liens communautaires en forçant les femmes à donner naissance à un enfant porteur de l’identité culturelle des bourreaux (comme ce fût le cas en ex-Yougoslavie). Dans d’autres cas, il s’agit d’une manœuvre de l’adversaire pour s’implanter dans une région en créant un métissage entre population locale et groupe d’occupation (par exemple, en République Démocratique du Congo).

Les violences sexuelles opportunistes. L’impunité dont jouissent les agresseurs (impunité des agents gouvernementaux, désorganisation des systèmes policiers et judiciaires, etc.) pousse des combattants et des civils à considérer le sexe comme un service facile à obtenir, moyennant pression.

Le viol opportuniste. Pour satisfaire leurs pulsions sexuelles, des hommes armés, tant combattants que civils, profitent de l’avantage que leur procurent leurs armes pour exiger les faveurs sexuelles des femmes de la communauté adverse, voire de la leur.

L’exploitation sexuelle ou les violences sexuelles comme monnaie d’échange. Dans les situations de conflit, des filles et des femmes sont contraintes de pactiser avec l’ennemi et d’entretenir des relations sexuelles avec des hommes occupant des postes de décision et de pouvoir (militaires, forces du maintien de la paix, passeurs, gardes-frontières, responsables de la distribution de l’aide humanitaire, etc.) pour avoir la vie sauve, assurer leurs moyens de survie (abri, nourriture, protection, etc.), obtenir le passage d’une frontière ou d’un check-point, acquérir des documents légaux importants, etc.

Les dévalorisations sexuelles. Les hommes, notamment lorsqu’ils sont retenus prisonniers, subissent des humiliations multiples par rapport à leurs organes sexuels et à leur masculinité : railleries, moqueries, insultes, féminisation du prénom, contrainte à porter des sous-vêtements féminins, etc. Les femmes sont parfois forcées de s’exposer nues au regard d’autrui et sont elles-aussi la cible d’affronts portant sur leur physique et leurs attributs sexuels.

Les pratiques traditionnelles dommageables. Les guerres peuvent favoriser la reprise et/ou le renforcement de pratiques traditionnelles. C’est le cas, notamment, des mutilations sexuelles féminines. Les communautés en conflit qui les pratiquent traditionnellement y recourent davantage comme moyen de renforcer leur identité culturelle. Les mariages précoces sont aussi plus fréquents en raison du risque de viol (incapacité à garantir le maintien de la pureté sexuelle des filles) et de l’appauvrissement dû à la guerre (mariage permettant d’obtenir la dot ou d’avoir une bouche en moins à nourrir).

Les violences sexuelles comme acte de torture, de génocide ou comme crime contre l’humanité

En droit international, le viol et les violences sexuelles peuvent être des éléments constitutifs d’autres crimes. Le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie a jugé, dans les affaires Delalić [3], Kunarac [4] et Furundzija [5], que le viol peut constituer une torture lorsque l’acte répond aux critères spécifiques constitutifs de la torture (par exemple, lorsqu’il est commis par un agent de la fonction publique ou à son instigation ou avec son consentement, avec la volonté de punir, de contraindre, de discriminer ou d’intimider ou dans le but d’obtenir des informations ou des aveux). Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda a estimé, dans les affaires Akayesu [6] et Musema [7], que le viol et les violences sexuelles (mutilations sexuelle, stérilisation, contrôle forcé des naissances, fécondation délibérée) peuvent être constitutifs de génocide s’ils ont été commis dans l’intention de détruire, en tout ou partie un groupe spécifique, ciblé en tant que tel. Dans l’affaire Akayesu, le même tribunal a qualifié de crime contre l’humanité les agressions sexuelles commises « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, sur une population civile, pour des motifs discriminatoires, en raison notamment de l’appartenance nationale, ethnique, politique, raciale ou religieuse de la victime ».

Torture et violences sexuelles, des effets similaires sur les victimes

Tout comme la torture, les violences sexuelles attaquent l’intégrité physique, psychologique et sociale des victimes ainsi que leur dignité et ont des effets durables de destruction identitaire.

Au niveau individuel, torture et violences sexuelles génèrent un traumatisme psychique et son cortège de symptômes (syndrome post-traumatique, troubles anxieux, dépressifs, comportementaux, etc.). Elles provoquent une altération des capacités cognitives (troubles de la mémoire et de la concentration, incapacité à penser, etc.), émotionnelles (baisse de l’estime de soi, auto-dévalorisation, honte, culpabilité, etc.) et comportementales (auto et hétéro-agressivité, conduites addictives, etc.) ainsi qu’un changement de personnalité (modification du caractère, de la relation à soi et à autrui). La capacité à désirer et à se projeter dans l’avenir sont également altérées.

Au niveau familial, torture et violences sexuelles engendrent fréquemment des dysfonctionnements familiaux. En effet, le retrait affectif des victimes ou, à contrario, une attitude de dépendance vis-à-vis des proches, leur irritabilité et leur agressivité, leur désintérêt des activités professionnelles et des loisirs, une démotivation généralisée et leur apathie perturbent le bon déroulement de la vie de famille. Par ailleurs, nombre d’entre elles sont écartées de leur foyer, soit qu’elles sont amenées à s’exiler loin des leurs dans les cas de torture, soit qu’elles sont chassées et mises au ban de la société dans le cas des violences sexuelles.

Au niveau social, torture et violences sexuelles entraînent une baisse globale du fonctionnement psychosocial. Les sentiments de valeur personnelle et de dignité humaine sont bafoués par les dévalorisations et les humiliations, la soumission à l’agresseur, la transgression forcée de valeurs et de tabous personnels (par exemple, devoir torturer un compagnon ou violer un membre de la famille pour ne pas être soi-même maltraité ou tué) et par la transgression forcée de valeurs et de tabous culturels (par exemple, être forcé à avoir des rapports sexuels considérés comme impies [8]). Le rabaissement des individus en deçà du rang de l’espèce humaine et les diverses transgressions provoquent une fracture avec l’univers de référence et une désaffiliation des groupes d’appartenance familiaux, communautaires, sociaux, politiques, religieux, ethniques, etc. Les victimes sont ainsi dépouillées du sens qu’elles ont d’elles-mêmes, dans leur culture et dans le groupe humain. Du fait que les sévices sont intentionnels et perpétrés par des humains, ces violences sapent les fondements même des rapports interpersonnels que sont la confiance et le respect.

Torture et violences sexuelles, des liens étroits

Torture et agressions sexuelles sont associées par des liens étroits. Ces deux formes de violences comptent parmi les plus graves qui soient et les plus rarement dénoncées. Leurs conséquences sur la santé physique, l’équilibre mental et le bien-être social des victimes sont particulièrement sévères, délétères et pérennes.

Le terme « torture » englobe une diversité de procédés dont les abus sexuels et le viol. Les femmes et les fillettes victimes de torture sont violées presque systématiquement par leurs bourreaux. Leurs pairs masculins sont souvent contraints à se livrer à des relations sexuelles avec leurs compagnons d’infortune et leurs organes sexuels sont fréquemment la cible des brutalités qui leurs sont infligées. Inversement, dans les contextes de conflits armés, les violences sexuelles sont souvent assorties de tortures (coups, chocs électriques, mutilations, suffocation, positions non physiologiques par suspension, isolement prolongé, travaux pénibles etc.).

Tout comme la torture, les agressions sexuelles sont infligées intentionnellement par un autrui malveillant. Elles causent des douleurs physiques et/ou des souffrances mentales aiguës. Elles peuvent être elles aussi perpétrées aux fins de discriminer, de punir, de contraindre, d’intimider ou d’obtenir des informations et être commises par un agent de la fonction publique, à son instigation ou avec son consentement. Lorsque l’acte répond à ces critères spécifiques, le droit international assimile le viol à la torture.

Conclusion

Tant pour les violences sexuelles que pour les tortures perpétrées en contexte guerrier, le constat d’une pratique massive peut être dressé. Qu’il s’agisse des rapports entre les unes et les autres en termes de qualification juridique, de méthode de domination hégémonique ou de séquelles pour les victimes, des convergences se dégagent. Le viol et les abus sexuels font partie de l’arsenal habituel des tortionnaires. Machines et méthodes de guerre, les agressions sexuelles et les tortures sont souvent associées à la mise en œuvre de dispositifs de domination ethnique et politique. Armes d’humiliation, d’assujettissement et de terreur, elles visent à annihiler l’identité des individus et à détruire les liens communautaires. Elles lèguent aux survivants des conflits armés un triple traumatisme, personnel, familial et social, souvent indélébile. Si diversement dévastatrices que soient les formes qu’elles empruntent, violences sexuelles et tortures ont bien en commun d’obscurcir les ombres monstrueuses des théâtres de la guerre.

[1] On entend par contrat social le pacte établi par la communauté des humains dans le but d’établir une société organisée et hiérarchisée. Il est un ensemble de conventions et de lois garantissant la perpétuation du corps social.

[2] De nombreux Hutus, qu’ils aient ou non participé au génocide des Tutsis, ont fui le Rwanda en 1994 par peur des représailles et se sont réfugiés au Congo. Parmi eux, les Interhamwés (miliciens rwandais responsables du génocide, dont le nom en Kinyarwanda signifie « ceux qui combattent ensemble ») ont grandement contribué à déstabiliser la région. Aujourd’hui encore, ils sont tenus pour responsables de nombreux pillages et viols.

[3] Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Chambre de première instance, affaire Le Procureur c/ Zejnil Delalić et consorts (jugement Celebici), décision Affaire n° IT-96-21-A.

[4] Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Chambre de première instance, affaire Le Procureur c. Kunarac et al., dossier n° IT-96-23/2), jugement, 22 février 2001.

[5] Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Chambre de première instance, affaire Le Procureur c/ Furunzija, décision Affaire n° IT-95-17/1.

[6] Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), Chambre de première instance, affaire Le Procureur c/ Jean-PaulAkayesu, Affaire n° ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998.

[7] Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), Chambre de première instance, Procureur c/ Alfred Musema, Affaire noICTR-96-13-A, Jugement du 27 février 2000.

[8] Par exemple, dans la culture musulmane, la sodomie est considérée constitue donc un outrage aux valeurs religieuses.

A propos de l’auteur

Evelyne Josse est psychologue, hypnothérapeute, praticienne EMDR et consultante en psychologie humanitaire http://www.resilience-psy.com/. Bibliographie : Le pouvoir des histoires thérapeutiques. L’hypnose éricksonienne dans la guérison des traumatismes psychiques, 2007, Desclée De Brouwer ; Le traumatisme psychique chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent, 2011, De Boeck ; Interventions en santé mentale dans les violences de masse, en collaboration avec V. Dubois, 2009, De Boeck.

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