Les réactions psychologiques des victimes directes d’un attentat

L’état de stress post-traumatique

Il y a de grandes différences entre individus dans la façon d’exprimer leurs sentiments et de faire face à la souffrance. Les réponses varient d’une personne à l’autre et dépendent de leur personnalité, de leurs antécédents et bien entendu, de leur degré d’implication dans les attentats. En effet, elles réagissent différemment selon qu’elles ont été ou non blessées, qu’elles ont été témoins indemnes présentes au moment des faits ou qu’elles sont arrivées sur les lieux après le massacre, etc.

Dans les premiers jours suivant l’attentat, les réactions des victimes sont souvent intenses. Certaines manifestent bruyamment leurs émotions par des pleurs, des cris ou de l’agitation tandis que d’autres les masquent ou les répriment et restent calmes. La manière dont une personne exprime sa souffrance ne permet pas de préjuger de ses sentiments profonds. L’absence de manifestation ne signifie pas qu’elle ne souffre pas, qu’elle n’a pas besoin d’aide ou qu’elle ne présentera pas des troubles ultérieurement.

Même si elles peuvent dérouter ou sembler inadaptées, ces premières réactions sont à considérer comme des réponses normales, du moins attendues, à un événement hors du commun, terrifiant ou horrifiant. Notons cependant qu’en dépit de leur caractère habituel, cela ne signifie pas qu’elles soient aisées à gérer par les victimes et leur entourage.

Ces réactions ne présagent pas de l’évolution mentale des victimes. En effet, dès les premières semaines, certaines voient leurs troubles s’estomper et disparaître spontanément. D’autres, par contre, voient leurs troubles persister et des personnes qui n’avaient pas présenté initialement de symptômes particuliers commencent à manifester des signes de détresse. Ces troubles peuvent s’avérer transitoires ou devenir chroniques et se perpétuer plusieurs années et parfois même tout au long de la vie sous forme de symptômes sporadiques ou récurrents et dans les cas les plus graves, sous forme de symptômes permanents. Seul l’avenir peut donc révéler rétrospectivement quels sont les sujets qui ont vécu l’événement comme maîtrisable et quels sont ceux qui l’ont vécu comme traumatisant.

Certaines victimes vont donc souffrir d’un trouble que l’on nomme état de stress post-traumatique. Pour donner une idée de l’importance de ce trouble, voici quelques chiffres. En France, parmi les victimes des attentats à l’explosif perpétrés entre 1982 et 1987, 30,7 % des blessés graves et 10,5 % des impliqués indemnes présentent des troubles manifestes. Les recherches menées suite à la deuxième vague d’attentats en 1995 et 1996 en France et après l’attaque à l’explosif à Oklahoma City en 1995 confirment ces résultats. Les recherches menées en Algérie suite aux actes terroristes perpétrés durant les années 1990 montrent que 47% présentent un traumatisme psychologique, dû dans 86% à la perte du conjoint. Dix ans après les faits, 83% souffrent toujours des séquelles de ces événements.

L’éclosion précoce de symptômes post-traumatiques s’observe fréquemment dans les suites d’expériences menaçant la vie, d’actes de barbarie, de scènes particulièrement horribles ainsi que dans les contextes où l’événement est continuellement rappelé (diffusion médiatique, fréquentation obligée du lieu de l’agression, etc.) ou lorsqu’il menace de se reproduire. Par exemple, une étude menée après l’explosion d’une bombe à Oklahoma montre que les symptômes sont apparus dès le premier jour pour 76% des victimes . La précocité des symptômes traumatiques est un indicateur et fait craindre le développement d’un syndrome chronique.

L’état de stress post-traumatique se caractérise par le fait que l’événement s’impose sans arrêt à l’esprit de façon involontaire et envahissante. La victime a l’impression que les attentats vont se reproduire : des flashbacks, brèves hallucinations lui donnant l’impression d’être ramenée au moment de l’événement, la plongent dans le désarroi ; des images intrusives font sans cesse irruption dans son esprit ; ses nuits sont agitées de cauchemars reproduisant la scène traumatique, etc. L’état de stress post-traumatique se marque également par l’évitement de tout ce qui rappelle l’événement comme, par exemple, se trouver dans le métro, l’aéroport ou un lieu fréquenté, se balader en rue, sortir en boîte de nuit, parler de l’attentat, regarder un film où sont exhibées des armes, côtoyer des personnes dont le physique ou l’habillement rappelle celui des agresseurs, etc. Les pensées négatives persistantes et exagérées que la victime entretient par rapport à elle-même, aux autres ou au monde est une troisième particularité de l’état de stress post-traumatique. Ainsi, elle peut se convaincre : « On ne peut faire confiance à personne », « Le monde est complètement dangereux », « Je suis brisée à jamais », « Je ne suis plus la même » ou encore « J’aurais dû mourir moi aussi comme sont morts mes amis ». Ces croyances négatives s’accompagnent d’un état émotionnel négatif persistant : elle éprouve de la peur, des sentiments d’horreur, de la colère, de la culpabilité ou de la honte et ne parvient plus à ressentir d’émotions positives. Certaines personnes se sentent anesthésiées affectivement : elles ne sont plus capables d’empathie vis-à-vis de leur entourage, elles sont froides et se montrent indifférentes à ce qui les entoure. D’autres sollicitent, voire revendiquent, constamment l’amour, l’affection et l’attention de leurs proches mais se sentent souvent insuffisamment aimées, mal comprises ou trop peu soutenues. En réaction, elles deviennent susceptibles, se montrent irritables, font des crises de colère sans raison valable ou se tiennent en retrait. L’état de stress post-traumatique se manifeste encore par de l’hypervigilance. La victime ne parvient plus à discriminer ce qui est dangereux de ce qui est anodin. Tout lui paraît menaçant, elle est perpétuellement en alerte, elle surveille l’environnement avec suspicion, elle sursaute au moindre bruit et elle résiste à s’abandonner au sommeil. Enfin, l’état de stress post-traumatique se caractérise par le fait que la victime éprouve généralement une perte d’intérêt pour ses activités tant professionnelles que de loisirs qu’elle néglige ou délaisse fréquemment, elle manque d’énergie et d’initiative, elle est démotivée, le monde lui semble lointain et artificiel, l’avenir lui paraît dénué d’espoir et de promesse.

L’état de stress post-traumatique survient rarement seul. Concomitamment aux symptômes décrits ci-dessus, dans plus de 60% des cas, les victimes manifestent aussi des troubles anxieux sous forme d’angoisse, d’attaques de panique ou d’anxiété généralisée. Près de 60% vont présenter un trouble dépressif ; pour 40%, il s’agira d’un épisode dépressif ponctuel et pour 17,5% d’une dépression récurrente. D’autres vont manifester une perte de l’appétit ou au contraire, des comportements boulimiques ; d’autres encore auront une consommation excessive d’alcool.

Une aide psychologique

Un recours précoce à des soins de santé mentale de qualité et la poursuite d’un traitement psychologique peut grandement contribuer à la restauration psychique après l’ébranlement provoqué par un attentat.

Après les soins psychologiques d’urgence octroyés aux victimes dans le décours de l’attentat, un certain nombre de victimes auront besoin d’une psychothérapie. La méthode qui semble donner les meilleurs résultats est l’EMDR. EMDR est l’acronyme de « Eye Movement desensitization and reprocessing », en français « désensibilisation et retraitement par le mouvement des yeux ». L’appellation « EMDR » a été conservée même si la méthode ne se limite plus désormais à l’utilisation des mouvements oculaires. Cette approche psychothérapeutique a été découverte fortuitement aux États-Unis en 1987 par Francine Shapiro. Son efficacité a été scientifiquement prouvée depuis 1989 par de nombreuses études contrôlées. Depuis 2013, l’Organisation Mondiale de la Santé la préconise pour le traitement des troubles psychotraumatiques chez l’enfant et l’adulte.

Les médicaments anxiolytiques tels les benzodiazépines ne devraient pas être prescrits pour réduire les symptômes aigus de stress post-traumatique ou les problèmes de sommeil au cours du premier mois suivant l’événement traumatisant, du moins pas plus de quelques jours. Ces médications pourraient même allonger le temps nécessaire pour se remettre psychologiquement. Sans compter que les personnes risquent de devenir dépendantes et de souffrir d’un syndrome de sevrage à l’interruption du traitement.

Bibliographie

– Josse E. (2014), Le traumatisme psychique chez l’adulte, De Boeck Université, coll. Ouvertures Psychologiques.
– Josse E. (2011), Le traumatisme psychique des nourrissons, des enfants et des adolescents, De Boeck Université, Coll. Le point sur, Bruxelles
– Josse E., Dubois V. (2009), Interventions humanitaires en santé mentale dans les violences de masse, De Boeck Université, Bruxelles.
– Josse E. (2007), Le pouvoir des histoires thérapeutiques. L’hypnose éricksonienne dans la guérison dutraumatisme psychique, La Méridienne-Desclée De Brouwer Editeurs, Paris

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