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Guerre en Ukraine, peut-elle provoquer un stress traumatique même si nous ne sommes pas directement exposés ?

Une grande majorité de Français, de Belges, d’Européens et d’habitants d’autres nations sont bouleversés, horrifiés et choqués par la guerre qui a débuté en Ukraine. Cette réaction intense n’est pas pour autant la preuve d’un traumatisme. Pour la majorité d’entre nous, l’émotion va s’apaiser dans les semaines qui viennent. À moins, bien entendu, que le conflit ne s’étende à l’Europe. Certaines personnes vont néanmoins développer une anxiété exacerbée, souffrir d’images intrusives vues aux informations, et manifester d’autres symptômes rappelant les troubles psychotraumatiques.

On parle de traumatisme lorsqu’un événement a menacé directement notre sécurité ou celle de nos proches. Pour nous, citoyens de France et de Belgique, qui ne connaissons pas de victimes directes de la guerre, les puristes de la psychologie diront que ce que nous éprouvons face à la guerre en Ukraine ne peut être qualifié de traumatisme au sens strict. Nous sommes bouleversés par cette offensive aveugle et meurtrière, nous sommes sous le choc d’avoir vu la vie d’un peuple basculer dans l’horreur de façon si inattendue, mais notre vie n’est pas actuellement directement menacée. Toutefois, selon moi, le risque de débordement du conflit hors des frontières de l’Ukraine et la menace nucléaire ne pouvant être écartés – même nos dirigeants envisagent le scénario du pire -, nous nous sentons légitimement en danger, et en ce sens, nous pouvons parler d’une situation potentiellement traumatique. Les personnes les plus sensibles pourraient développer un trouble apparenté au traumatisme.

Nous débordons d’empathie pour les enfants et les jeunes effrayés sous les bombardements, pour les réfugiés arrivant démunis dans nos pays, pour les blessés, pour les personnes dont la vie a été fauchée brusquement, pour les familles endeuillées, etc. Nous souffrons de ce que l’on nomme la souffrance empathique. Mais cette souffrance empathique active des circuits cérébraux similaires à ceux déclenchés par la douleur physique ou psychologique que nous vivons directement nous-mêmes. Voir à la télévision ou imaginer la souffrance des autres peut donc, de mon point de vue, déclencher dans notre cerveau une souffrance similaire à un stress traumatique, du moins chez certaines personnes

1Voir l’article Josse E. (2022). Guerre en Ukraine, quel impact sur la santé mentale des Européens ?
http://www.resilience-psy.com/spip.php?article531%5B/efn_note%5D

. Les images de la guerre transmises à la télévision sont propices à l’éclosion de l’angoisse et à force d’être regardées, elles renforcent ce risque de traumatisme par procuration. En effet, elles laissent des engrammes particuliers dans le cerveau. Ce ne sont pas seulement des images qui s’impriment, mais également la charge émotionnelle qui leur est associée : l’horreur, l’effroi, la colère, l’impuissance, etc. Ce film intérieur est « actif » et « agissant », car il possède un potentiel traumatogène. Il constitue une sorte de souvenirs pour le spectateur qui finit par partager l’insécurité des victimes directes.

Dans cette guerre, la mort, les blessures, la souffrance et les dégâts sont occasionnés délibérément par un tiers malveillant à des civils innocents. Parmi ces exactions, certaines frappent davantage les esprits. Je pense, par exemple, à la destruction de l’hôpital pour enfants à Marioupol. Les règles de base régissant l’humanité sont transgressées et les valeurs essentielles de l’existence telles que la sécurité, le bien, la bonté, le respect de la vie, la protection des enfants et des malades, la solidarité, la morale, et le sens des choses sont remises en question. Dans cette guerre menée contre l’Ukraine, la société humaine à laquelle nous appartenons est agressée, nous sommes touchés en tant que citoyen du monde, notre Moi communautaire est blessé, et ce, même si nous ne connaissons pas directement de victimes. Nous nous identifions au peuple Ukrainien qui partage le même mode de vie et les mêmes valeurs démocratiques que nous, et nous souffrons avec lui. Si, individuellement, nous ne vivons pas un trauma au sens strict du terme, nous vivons toutefois quelque chose de l’ordre du trauma en tant que citoyen du monde.

Bien entendu, pour les personnes qui résident en France et dont des proches sont en Ukraine ou sur les chemins de l’exil, tous les experts de la psychologie s’accorderont pour dire qu’on peut parler pour elles de véritable stress traumatique.

Articles de la série

Josse E. (2022). Guerre en Ukraine, peut-elle provoquer un stress traumatique même si nous ne sommes pas directement exposés ? http://www.resilience-psy.com/spip.php?article536

Josse E. (2022). Guerre en Ukraine, comment gérer notre anxiété ? http://www.resilience-psy.com/spip.php?article533

Josse E. (2022). Guerre en Ukraine, quel impact sur la santé mentale des Européens ?
http://www.resilience-psy.com/spip.php?article531

Josse E. (2022). La guerre en Ukraine et la loi mort-kilométrique. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article529

Josse E. (2022), Face aux médias en ces temps de guerre en Ukraine. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article527

Josse E. (2022), Comment bien consommer les médias d’information en ces temps de guerre en Ukraine ?. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article528

Josse E. (2022), Catastrophe et crise humanitaires, définition. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article526

Références bibliographiques

Josse E. (2019), Le traumatisme psychique chez l’adulte, De Boeck Université, coll. Ouvertures Psychologiques.

Josse E. (2019), Le traumatisme psychique des nourrissons, des enfants et des adolescents, De Boeck Université, Coll. Le point sur, Bruxelles

Josse E., Dubois V. (2009), Interventions humanitaires en santé mentale dans les violences de masse, De Boeck Université, Bruxelles.

Notes et références