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Face aux médias en ces temps de guerre en Ukraine

Les média en temps de crise

Le besoin d’être informé

Le rôle des médias dans la situation de crise telle que la guerre qui sévit actuellement en Ukraine – et qui nous menace potentiellement plus directement dans l’avenir- est un exercice difficile. Par définition, la crise est une situation incontrôlée ou du moins, gérée avec difficulté. Les événements se bousculent de manière inattendue et dramatique, les dépêches se succèdent à un rythme effréné, des mesures sont prises dans l’urgence, des déclarations politiques et des réactions fusent de toutes parts, etc. Autant de sujets à communiquer dans les journaux audiovisuels et la presse écrite.

Pour les médias, les pièges sont nombreux : tension générée par l’urgence, difficulté à valider des informations en évolution constante, danger de relayer des rumeurs, pression du direct, dramatisation excessive, risque de verser dans le sensationnalisme, surenchère d’images-choc, course à l’audience, etc.

Viendra ensuite le besoin d’un retour à la vie « normale »

Dans les premières semaines après le début d’une situation telle que le déclenchement d’une guerre, les personnes éprouvent le besoin d’en parler et recherchent activement de l’information. Petit à petit, ce besoin décline, leur angoisse et leur sentiment de détresse diminuent et elles souhaitent, sinon oublier, du moins se distraire et retrouver un mode de vie aussi normal que possible. Toutefois aux périodes de « dénis » duquel le danger est évincé alternent des moments d’anxiété. Le rappel de la menace par les médias, messager chargé de porter la mauvaise nouvelle, est alors reçu avec de plus en plus d’acrimonie.

Les médias tenus pour responsables

À chaque grande crise, quelle qu’elle soit, après quelques semaines ou quelques mois à distance de l’événement, les critiques fusent quant à la gestion médiatique de la situation. Les médias se retrouvent irrémédiablement en position d’accusés. On les tient pour responsables de l’amplification du climat de peur, on leur reproche d’avoir paniqué l’opinion publique par la multiplication de nouvelles alarmantes, on les soupçonne d’être de mèche avec les politiques et d’utiliser l’actualité pour étouffer les affaires qui empoisonnent le pouvoir, etc. A contrario, s’ils font preuve de modération dans leurs propos ou si plusieurs jours ou semaines passent sans véritable nouvelle, on les suspecte de retenir des informations pour ne pas inquiéter la population.

L’exercice n’est pas simple pour les médias plongés dans le maelstrom d’une crise. Trouver le bon positionnement entre trop et trop peu d’information semble relever de la gageure.

Le besoin d’information de la population

Actuellement, la population éprouve le besoin d’être informée de la situation en Ukraine. Elle est en attente d’information sur les événements (ce qui s’est passé, en quel lieu, le nombre approximatif de victimes, la prévision des événements futurs possibles, l’état des négociations en cours, etc.) ainsi que sur les risques éventuels qu’elle encoure à moyen et long terme (risque d’emballement de la situation et étendue possible du conflit). L’information pertinente, complète, variée et correcte procure un sentiment de maîtrise mentale de la situation, elle freine les imaginaires galopants et permet ainsi de réduire sensiblement l’état de stress et la détresse de la population.

Les dérives

Les effets de l’information en continu et en temps réel

Le caractère exceptionnel et dramatique de la guerre en Ukraine conduit à une diffusion d’information en continu. Les grilles de programmes sont bouleversées et revues pour informer en temps réel des événements et de leurs conséquences. Les actualités se succèdent rapidement. À la radio et à la télévision, les éditions spéciales s’enchaînent ; la presse écrite égrène les dossiers spéciaux.

Dans le chaos de la situation continument changeante, le journaliste découvre parfois les images en même temps que les téléspectateurs et n’en sait pas plus qu’eux sur la situation. La médiatisation, synchrone aux événements, n’offre pas de recul ni de grille de lecture. Rendre compte des faits prime sur l’explication, la réflexion, l’analyse et la mise en perspective. Si l’information rassure la population en la tenant au courant des dernières actualités, les images transmises sans le moindre différé ont des effets désastreux. Diffusées en direct, non narrativisées, elles sont propices à l’éclosion de l’angoisse. Une information anxiogène perturbe la conscience critique plutôt qu’elle ne l’avive. L’émotion intense qu’elle suscite court-circuite les processus cognitifs et suspend le raisonnement.

Des consommateurs dépendants de l’information

La grande majorité d’entre nous nous intéressons à la guerre en Ukraine. Elle frappe aveuglément et cruellement des innocents. Elle remet en question la paix, la sécurité des civils, l’inviolabilité des territoires nationaux, etc. Devant de tels faits, les personnes sont amenées à se positionner en tant qu’être humain, citoyen et acteur social. Mais si les gens s’intéressent à ce conflit, c’est aussi parce qu’ils s’identifient aux victimes et qu’ils craignent pour leur propre sécurité et celle de leur entourage dans l’avenir : « Cela aurait pu être moi ou un de mes proches ; demain, cela pourrait être moi ou mes proches ». Certains, plus que d’autres, perçoivent la situation comme un péril personnel. Angoissés par ce risque, ils cherchent de l’information et sont en quête de la dernière nouvelle. Leur peur engendre ainsi une véritable attraction pour les moyens de communication. Connectés aussi souvent que possible aux actualités, ils en deviennent dépendants, prisonniers d’une relation passive et angoissante à l’information. Disposant d’un nombre élevé de chaînes, ils passent de l’une à l’autre. Toutes diffusent les mêmes images, les mêmes commentaires ; les médias ânonnent. L’hyperconsommation d’une information quasi unidimensionnelle n’accroit pas la connaissance qu’ils ont des faits. Mais à force d’être répétée, cette information forge la manière dont ils perçoivent la réalité. Elle les entraîne dans un monde où l’insécurité réelle ou imaginaire sourd de toute part. Leur besoin de sécurité les pousse à chercher de l’information, mais paradoxalement, celle-ci, lorsqu’elle est brute et sans analyse, entretient leur angoisse.

D’autres cèdent à la fascination de l’horreur et perdent eux aussi toute modération. Le mythe de Méduse illustre parfaitement l’emprise hypnotique de l’épouvante. Quiconque la regardait droit dans les yeux était transformé en pierre. Il en va de même pour la guerre. Elle glace d’effroi, figeant le spectateur dans la peur et l’immobilisant devant son petit écran.

D’autres encore sont collés à leur récepteur moins parce qu’il est un moyen d’information que parce qu’il est un moyen de communion. En regardant les actualités, ils ont le sentiment de communier avec les victimes et avec la communauté ukrainienne affectée. L’être humain est un être social. Il a besoin de ses semblables pour vivre. Aussi, les personnes éprouvent-elles le besoin de conforter leur sentiment d’appartenance au groupe humain dont elles partagent les valeurs, les sentiments et les émotions. Suivre les actualités, c’est se sentir appartenir par son humanité à ce peuple ukrainien en souffrance ; c’est souffrir avec lui, c’est adhérer à des normes et à des valeurs communes.

Certes, il est important que les médias réfléchissent à la manière de traiter des sujets aussi sensibles et complexes que celui de la guerre : authentification des informations, choix des images diffusées, plate-forme d’analyse et de mise en perspective des événements, recours à des journalistes-experts, réflexion menée au sein de la profession, etc. Toutefois, dans la façon de consommer l’information aujourd’hui, on ne peut ignorer les nouveaux moyens de communication : internet, réseaux sociaux, sms, etc. Quelques minutes après le début de la guerre, vidéos, témoignages de rescapés et messages ont commencé à circuler sur la toile et sur les smarphones. Le consommateur ne peut être exonéré de sa responsabilité dans la manière dont il s’informe. C’est à lui qu’il revient d’être vigilant, d’éviter la dépendance aux actualités, par exemple, en se limitant à consulter les informations à une ou deux fois par jour, et à préférer, par exemple, la radio et la presse écrite à la télévision en direct vu la puissance émotionnelle des images.

Quelques conseils pour les enfants et adolescents

Dans la mesure du possible, les enfants de moins de six ans devraient être tenus éloignés des écrans de télévision à l’heure des informations. Les jeunes enfants peuvent être choqués par des informations sans avoir le niveau de langage requis pour en comprendre le contenu ni les mots pour exprimer ce qu’ils éprouvent. Toutefois, il est difficile de les protéger complètement du flux de l’information. Même lorsque le petit écran reste éteint, la radio écoutée le matin au petit-déjeuner ou dans la voiture diffuse des informations potentiellement anxiogènes.

Pour les enfants de six à douze ans, la prudence s’impose également. Il est important d’éviter de les laisser s’abreuver d’information hors de la présence d’un adulte. Il vaut mieux regarder les informations avec eux et prendre ensuite le temps d’en parler simplement. Toutefois, il est inutile de proscrire les actualités au motif qu’ils sont trop jeunes, l’interdit risquant d’exercer un pouvoir d’attraction et de les pousser à consulter les informations en catimini. Il est utile de leur demander leur ce qu’ils ont vu et entendu, ce qu’ils ressentent et de s’ouvrir à leurs questions.

Lorsqu’une menace sourd, un des premiers besoins des adultes est celui d’être informé. Ceci est valable pour les adultes comme pour les adolescents. Si l’information rationnelle rassure, les informations mal comprises et les informations alarmistes sans recul transmises par les blogs et les réseaux sociaux ont des effets délétères. Les adolescents qui suivent les événements sur leur téléphone portable sont particulièrement exposés aux informations
inexactes ou tronquées sans nécessairement posséder les outils pour les décrypter et les déconstruire. Il est important de leur demander ce qu’ils ont vu et entendu, de s’intéresser à ce qu’ils ressentent et d’être ouverts à leurs questions.

Références bibliographiques

– Josse E. (2019), Le traumatisme psychique chez l’adulte, De Boeck Université, coll. Ouvertures Psychologiques.
– Josse E. (2019), Le traumatisme psychique des nourrissons, des enfants et des adolescents, De Boeck Université, Coll. Le point sur, Bruxelles
– Josse E., Dubois V. (2009), Interventions humanitaires en santé mentale dans les violences de masse, De Boeck Université, Bruxelles.

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