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Temps circulaire et aide humanitaire en santé mentale

Cet article est paru dans le N° 74 de la revue « Actualités » de Médecins du Monde-France en janvier 2009.

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L’être humain est un être social. Il a besoin de ses semblables pour vivre et réunir les conditions de son bien-être. Or, les conflits armés et les catastrophes naturelles sont destructeurs et porteurs de malheur pour les individus mais également pour la communauté entière. En effet, ces événements provoquent des destructions matérielles substantielles et altèrent la géographie humaine . Ils ont des répercussions sur le fonctionnement et les activités de la population et perturbent la continuité de l’organisation sociale par destruction ou altération de ses réseaux fonctionnels . La préservation et la reconstruction de la santé mentale individuelle et communautaire nécessitent donc la reconstitution du tissu social. Des actions concrètes peuvent promouvoir, maintenir et consolider le rétablissement des liens entre les membres de la communauté par la restauration d’activateurs sociaux tels que le quotidien, les habitudes et les rituels.

Le temps cyclique : le quotidien et les rituels

Les événements de la vie des hommes et de leur société sont rythmés selon des cycles quotidiens, hebdomadaires, mensuels, annuels, etc. Les cycles correspondent donc à des périodes dont le terme marque le retour d’étapes semblables (temps circulaire) et le recommencement d’activités spécifiques (par exemple, cycle quotidien : on mange tous les soirs, cycle hebdomadaire : dans les pays de culture musulmane, tous les vendredis sont chômés, cycle annuel : dans certains pays d’Afrique sub-saharienne, on cultive le riz durant chaque hivernage, etc.).

Les fins de cycles sont souvent ponctuées de rituels collectifs, religieux ou profanes. Ceux-ci sont plus ou moins formalisés par des cérémonies qui marquent la transition (par exemple, la messe dominicale dans la religion catholique, la fête de la nouvelle lune dans la spiritualité bouddhiste, la célébration de la nouvelle année dans de nombreuses cultures, etc.).

Les habitudes et les rituels sont les constituants nécessaires de toute conduite socialement organisée. Les conceptions implicites et souvent inconscientes que nous avons de nous-mêmes, de notre communauté et du monde se construisent et se confirment par leur accomplissement. Ils véhiculent ainsi les croyances et les valeurs culturelles d’une société. Ils sont également le fondement de la vie sociale par le fait qu’ils favorisent en permanence des interactions entre individus (on mange, on travaille, on se divertit, on prie avec d’autres personnes). Ils sont donc un facteur essentiel de cohésion sociale. En participant à une activité collective, les personnes sont impliquées dans ce qui leur arrive mais aussi dans ce qui se passe autour d’elles. Elles sont socialisées de manière réflexive par l’interaction qu’elle génère elles-mêmes. La structure sociale se bâtit donc à travers les situations, les activités quotidiennes et les rituels. Elle n’existe pas indépendamment des individus qui la construisent. Société, individus, quotidien et rituels sont ainsi intimement liés. Ni l’un ni l’autre ne sont des « données de fait » mais bien des « résultats ».

L’importance du quotidien et des rituels après des événements traumatiques

Ce qui caractérise les événements violents (violence des hommes dans les conflits armés et violence de la nature dans les catastrophes naturelles), c’est qu’ils sont hors du commun et qu’ils précipitent les individus dans un tourbillon dramatique. Ils sont vécus à la fois comme une rupture et un enjeu : une rupture par rapport à la situation du passé, un enjeu car ils entraînent des changements importants. Les individus affectés ont vu soudainement disparaître un quotidien rassurant, basculer leur réalité ordinaire, chavirer leurs habitudes, surgir l’horreur et l’inexplicable. Dans les camps où ils trouvent refuge, ils ne sont pas pour autant quittes des difficultés. Les pratiques, les habitudes et les rituels propres aux individus, aux familles et aux groupes sociaux sont ébranlés, voire perdus. Dès lors, la place de chacun, le rapport des uns aux autres, la communication, les normes relationnelles, etc., se modifient. Ces moments de transition entre un passé révolu et un futur improbable supposent donc un réajustement complexe et profond tant pour les personnes que pour les communautés.

Parce qu’ils exercent une fonction essentielle, les activités quotidiennes et les rituels se présentent comme des opérateurs majeurs pour gérer les crises et les transitions. Au niveau social, ils permettent d’assurer la pérennité d’une communauté et donc, de garantir sa survie après qu’elle ait été fragilisée par un événement traumatique de grande ampleur. En réaffirmant l’identité du groupe et celle de chacun de ses membres, ils « colmatent le vide » et « rétablissent du continu » . Ils sont donc un atout précieux car ils assurent la continuité malgré les ruptures. Ils facilitent aussi la communication et favorisent les interactions sociales. Le système perdure au-delà des changements qui l’affectent et les relations peuvent ainsi se poursuivre. Au niveau intrapsychique, ils jouent un rôle de sécurisation face aux changements impliqués dans la transition en générant un monde constant, donc prévisible et par conséquent, rassurant.

L’aide en santé mentale dans les contextes humanitaires

Une des priorités des professionnels de la santé mentale intervenant dans les contextes humanitaires devraient être d’inciter les personnes et les communautés affectées à reprendre aussi vite que possible leurs activités quotidiennes et traditionnelles compatibles avec le contexte. Ces activités contribuent à réduire, voire à éliminer les conditions qui produisent et entretiennent les troubles psychosociaux, psychologiques et psychiatriques. Elles balisent un « trajet » pour aider individus et sociétés en détresse à retrouver une vie « normale ». Elles tiennent compte, incluent et consolident activement les « zones psychiques » restées intactes en dépit du souffle destructeur des événements dramatiques. Elles influencent donc positivement le processus de récupération mentale.

Voici quelques exemples d’actions concrètes favorisant et renforçant ce processus :

– Dans de nombreuses cultures, la cérémonie du café ou du thé réunit amis et voisins. En fournissant simplement des bouilloires, des cafetières, des théières, du café, du thé, du sucre, les organisations humanitaires concourent directement au bien-être psychologique de leurs bénéficiaires.

– Dans certaines sociétés, les hommes se retrouvent pour jouer aux cartes, aux dés, aux dominos ou à des jeux de semailles , activités aisées à recréer en fournissant des jeux.

– Dans de nombreux endroits du monde, les femmes se retrouvent pour cuisiner ou lessiver. Les enrôler dans la préparation des repas et prévoir des lavoirs collectifs créent des conditions favorables au dépassement des événements stressants et traumatiques.

– L’aménagement des camps peut grandement contribuer à sécuriser socialement les résidents. Ainsi, une structure facilitant la communication et les rencontres tout en humanisant les conditions de vie favorise la récupération psychosociale. Il est donc important que les organisateurs humanitaires élaborent préalablement un plan stratégique pour accueillir leurs bénéficiaires. L’espace doit être aménagé pour permettre le rassemblement de personnes ainsi que l’organisation d’activités éducatives et récréatives (construction d’une « place de village », d’espaces de jeux, d’une école, d’ateliers, de lieux de culte, attribution d’un nom aux allées et numérotation des abris pour que les résidents puissent se retrouver facilement, etc.). Un aménagement judicieux du site permet également de réduire le risque de violence. Les clôtures, l’éclairage et le site d’implantation des services tels que les installations sanitaires contribuent à la sécurité physique, notamment celle des femmes . S’il y a lieu, les groupes ethniques mutuellement hostiles et forcés de cohabiter doivent être séparés et isolés physiquement, au minimum par un brise-vue (haie).

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