Interview : Avant le burnout : le burn-in, 1re phase de l’épuisement professionnel

Une interview d’Evelyne Josse pour ere-libre.com

Publié 02 décembre 2019

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Chargée de cours en psychologie à l’université de Lorraine, Evelyne Josse est également hypnothérapeute et cofondatrice de L’Ecole belge d’hypnose et de thérapies brèves, où elle enseigne. Spécialiste de l’hypnose, Evelyne Josse dispense par ailleurs des formations à Paris, Toulouse et Marseille, avec Olivier Perrot pour l’Association Française de Nouvelle Hypnose. Après nous avoir éclairé sur la gestion des traumatismes par hypnose, sur la gestion des deuils avec l’hypnose, Evelyne Josse nous nous ici sensibilise au Burn-in.

On parle souvent du burnout, moins du burn-in. Pouvez-vous rappelez de quoi il s’agit ?

En langue anglaise, dans le domaine de l’art, « burn-in » signifie surexposer des parties de clichés photographiques. En informatique, ce terme désigne le processus visant à tester la résistance des éléments informatiques sous une tension et une température supérieures à la normale avant leur mise en service.

Le burn-in constitue la première phase de l’épuisement professionnel et précède le burnout. Il se manifeste principalement par un « présentéisme » Burn-in et présentéisme sont d’ailleurs souvent utilisés comme synonymes. En anglais, « presenteeism » signifie « être présent ». Dans le monde professionnel, ce terme s’oppose à « absentéisme ». Le « présentéisme » a d’abord été connoté positivement, les employeurs appréciant la présence assidue des travailleurs sur leur lieu de travail. Depuis les années 1990, le terme a acquis l’acceptation américaine. Il désigne désormais une présence abusive menant à un état pathologique de surmenage. Le travailleur en burn-in est présent sur son lieu de travail malgré des problèmes de santé physique ou mentale qui devrait l’en tenir à l’écart comme par exemple, une grippe, une dépression, des difficultés majeures dans la vie privée, etc. Il est physiquement à son poste mais démotivé, fatigué, peu productif et souffrant de somatisations diverses et mineures telles que dorsalgies, céphalées, rhume, etc.

On évoque de plus en plus souvent la souffrance des jeunes au travail. Sont-ils plus susceptibles d’être concernés par le burn in que les travailleurs plus âgés?
Oui et non. Chaque âge a ses facteurs de risque par rapport au burn-in.

Disons d’emblée que nous ne sommes pas égaux face au stress. Les réactions au stress peuvent être comparées à ce qui se passe à bord d’un bateau lors d’une traversée sur une mer houleuse. Tous les passagers ne présentent pas les mêmes réactions. Certains souffrent du mal de mer et sont très malades, d’autres le sont moins, d’autres encore pas du tout. Par ailleurs, certaines vagues, quoique moins hautes que d’autres, peuvent provoquer davantage de nausées.

En ce qui concerne les jeunes, surtout s’ils sont encore inexpérimentés, ils sont plus à risque que leurs ainés de développer des réponses inadaptées au stress. Pour reprendre la métaphore du bateau, le jeune moussaillon est plus à risque de souffrir du mal de mer que le vieux loup de mer au pied marin.

Lorsqu’on débute sa vie professionnelle, on est confronté à un stress qu’on appelle le stress de base. Ce stress de base, c’est le prix de l’effort consenti pour intégrer et s’adapter à une nouvelle situation. Il est provoqué par tout changement survenant dans l’environnement quotidien, le mode de vie et/ou les habitudes. Un nouvel emploi, surtout si c’est le premier, est une situation pour laquelle les jeunes doivent fournir un effort d’adaptation important. Après une possible période d’euphorie et d’enthousiasme comparable à une « lune de miel », ils peuvent éprouver des difficultés parce que leur mode de vie est modifié, parce qu’ils doivent assimiler de nombreuses informations, etc. Durant cette période d’adaptation, ils peuvent éprouver alternativement des moments d’enthousiasme et de désarroi, éprouver des inquiétudes, des contrariétés et des frustrations diverses. Mais malgré leur expérience, les aînés ne sont pas épargnés par ce type de stress. Une promotion, le turn-over du personnel, l’informatisation ou l’apprentissage d’un nouveau logiciel, de nouveaux champs d’intervention ou tout autre changement sont autant de situations auxquelles ils doivent faire face et s’adapter relativement rapidement.

Certes, ce stress de base n’est pas le burn-in mais le stress est comme une calculatrice : il additionne tous les facteurs. Plus les facteurs de stress sont nombreux, plus le jeune travailleur risque de manifester une souffrance au travail.

Tout comme le burn-out, le burn-in est le résultat d’interactions complexes multifactorielles, additionnelles et interactives entre un individu et son environnement, l’un et l’autre s’influençant mutuellement et continuellement. Les facteurs personnels et organisationnels s’enchevêtrent et contribuent au burn-in.

En ce qui concerne les facteurs personnels, les jeunes ont généralement plus de difficultés que leurs aînés à maintenir un bon équilibre de vie. L’équilibre physique est important : faire du sport, manger sainement, se reposer, etc. Si certains ont une vie équilibrée, force est de reconnaître qu’un grand nombre d’entre eux ont s’alimentent de façon peu équilibrée et ne dorment pas un nombre d’heures suffisant. L’équilibre financier fait également partie de l’équilibre global de vie. Or, les sources d’inquiétude au niveau financier sont fréquentes chez les jeunes. Ils doivent rembourser des emprunts, honorer un loyer élevé, subvenir aux besoins de leurs enfants, etc. Tout cela alourdit les charges qui pèsent sur leur budget. L’équilibre familial et amical est lui aussi essentiel au bien-être. Des jeunes quittent leur région pour trouver un travail. Ils se retrouvent alors privés de leur source de réconfort et doivent reconstruire tout un réseau social. Face aux situations stressantes, il est important de restaurer ses forces physiques, mentales et émotionnelles. Nous avons des capacités d’auto-ressourcement mais cela nécessite de se ménager.

Toujours du côté des facteurs personnels, on trouve les traits de personnalité. Les personnes les plus susceptibles de tomber dans le burn-in sont optimistes, ont un attrait pour la nouveauté et ont besoin d’avoir la maîtrise sur les choses. Elles ont souvent un idéal professionnel élevé et sont généralement perfectionnistes. Pour certaines d’entre elles, un piège réside dans l’excitation induite par les challenges professionnels. Drogués par leur propre adrénaline, elles ont tendance à vouloir la prolonger et passent à la phase de stress dépassé sans en avoir perçu les signaux avertisseurs.

Quant aux facteurs organisationnels, on peut citer les difficultés de communication avec les collègues et/ou les supérieurs hiérarchiques. Les relations conflictuelles entraînent presqu’inévitablement une souffrance professionnelle. Entre jeunes et aînés, les problèmes sont divers. Les jeunes peuvent souffrir d’être peu considérés en raison de leur manque d’expérience. Certains, parce qu’ils se sentent peu crédibles, sont sur la défensive et se montrent arrogants, ce qui entraîne inévitablement des tensions avec leurs collègues. A contrario, les plus âgés peuvent saboter leurs cadets parce qu’ils se sentent menacés par ces jeunes aux dents longues et pleins d’énergie qui décuplent leur force pour prouver leurs compétences. Les jeunes sont parfois plus diplômés que leurs supérieurs hiérarchiques qui peuvent vouloir prouver leur autorité par une attitude écrasante. Ces mêmes conditions mènent au burn-in des aînés, ceux-ci redoublant parfois d’effort pour montrer qu’ils sont encore dans la course. Entre les jeune portés par le feu sacré de leur enthousiasme et voulant prouver leurs compétences, en avance au niveau technologique et les aînés, fort de leur expérience et de leur pouvoir qui craignent de paraître « has been », les risques de conflit et de souffrance sont grands !

Parmi les autres facteurs organisationnels, on retrouve les mêmes facteurs que ceux menant au burn-out tels que le déséquilibre entre tâches professionnelles et moyens à disposition pour les réaliser -surcharge de travail, latitude décisionnelle insuffisante, absence d’encadrement, formation insuffisante, budget insuffisant, deadline irréalistes, etc.-, le décalage entre aspirations et réalisations, un travail accompli perçu comme incohérent, inefficace ou inutile, une rémunération insuffisante, l’ambiguïté entre son rôle et celui d’un collègue, etc.

Est-ce un phénomène générationnel ?

Le problème a toujours existé mais il est probablement renforcé par le contexte général d’insécurité au niveau de l’emploi. Certes, certains départements de France sont quasi en plein emploi, comme le département de la Manche, par exemple, mais c’est loin d’être le cas partout. Dans les grandes villes, la conjoncture économique n’est pas favorable à l’épanouissement au travail. Les jeunes craignent de perdre leur emploi. L’humain n’est pas au centre du travail ; l’accent est mis sur la performance. Il faut reconnaître qu’il y a de plus en plus d’initiatives pour humaniser le travail mais cela reste somme toute anecdotique au regard du nombre d’entreprises.

Il y a 20 ou 30 ans d’ici, les travailleurs avaient davantage d’espoir d’avancement qu’aujourd’hui. Lorsqu’ils étaient méritants, ils pouvaient espérer grandir au sein de l’entreprise et y faire carrière. C’est moins le cas de nos jours. Le manque de perspective érode la motivation des travailleurs et attise leur frustration.

Un des aspects que l’on pourrait qualifier de générationnel, c’est le rapport des jeunes à l’autorité. Auparavant, l’autorité était considérée comme légitime et n’était pas remise en question, ce qui n’est plus le cas maintenant. Aujourd’hui, les rapports hiérarchiques sont devenus contraignants et sont donc davantage source de conflit et de souffrance. Un autre point générationnel, c’est le fait que l’accomplissement personnel était moins important hier qu’aujourd’hui. Avant, on travaillait davantage pour gagner sa croûte. C’est toujours le cas aujourd’hui, bien entendu, mais on attend sans doute davantage du travail qu’il soit source d’accomplissement personnel.

Quels conseils donneriez-vous pour éviter le burn-in ?

Prévenir le burn-in, c’est prévenir le stress. Mais le stress est inévitable. Néanmoins, certaines sources de stress peuvent être évitées, réduites ou éliminées. Chaque cause supprimée contribue à réduire la charge globale qui pèse sur le professionnel. D’autres facteurs ne peuvent être écartés mais peuvent être gérés. En effet, la manière dont on comprend le stress et dont on y répond joue un rôle majeur dans les effets à long terme qu’aura ce dernier.

Les mesures pour prévenir et gérer le stress doivent viser tant la réduction des sources externes de stress, c’est ce que l’on nomme la prévention primaire, que le renforcement des compétences individuelles propres à maîtriser le sens subjectif des situations difficiles, c’est ce que l’on appelle la prévention secondaire. Elles doivent également inclure la prise en charge des personnes souffrant de stress dépassé, c’est ce que l’on désigne par prévention tertiaire.

Chacun possède en lui la capacité de lutter contre le stress. Le marin ne peut empêcher le déchaînement des vagues qui ébranlent le bateau. En revanche, il peut apprendre à contrôler ses réactions physiques et psychologiques pour naviguer sans chavirer. Les travailleurs sont donc à priori responsables de leur stress et de son contrôle. Ils doivent pouvoir en reconnaître les signes, le gérer et lorsque cela s’avère nécessaire, demander de l’aide.

A un niveau personnel, la première étape, c’est reconnaître son stress. C’est 90% de la solution ! On ne peut pas lutter contre le stress si l’on n’en a pas pris conscience! Si on ne reconnait pas son stress, on ne cherche pas de solution ! Il faut apprendre à reconnaître les signes d’alarme physiques et psychologiques comme un changement d’humeur, d’attitude ou de comportement, une hyperactivité, l’irritabilité, les troubles du sommeil, des oublis répétés, des accidents divers, des petits tracas de santé répétitifs tels que maux de tête, troubles gastro-intestinaux, douleurs dorsales, problèmes dermatologiques, etc., une tendance à consommer davantage d’alcool ou de stupéfiant, etc.

Mais il est parfois difficile de reconnaître son stress. Souvent, on sous-estime ses symptômes, on les dénie ou on rationalise, par exemple, on se dit qu’on est un peu irritable parce qu’on est fatigué et que ça ira mieux après les vacances. L’identité professionnelle est parfois corrélée au sentiment de résistance. Reconnaître ses difficultés peut être ressenti comme un aveu de faiblesse ou comme une inadéquation professionnelle en regard des attentes de l’organisation ou de l’institution, avec la crainte d’être écarté du personnel.

Premièrement, reconnaître son stress et deuxièmement, retrouver un équilibre de vie. On peut conseiller toutes les techniques efficaces pour faire face au stress : sport, loisirs, support social, relations affectives, relaxation, méditation, activité spirituelle, sophrologie, yoga, autohypnose, etc. Et enfin, demander de l’aide que ce soit un coaching professionnel ou une psychothérapie. Utile encore, les formations professionnelles qui rendent la personne plus apte à remplir les tâches attendues.

Au niveau des organisations, il est important de remettre l’humain au centre. Le responsable joue un rôle important par le type d’esprit d’équipe qu’il inspire, par son style de communication et de management. La médecine du travail et le service de protection et de prévention au travail ont eux aussi un rôle à jouer en détectant les personnes en souffrance et en réfléchissant à des solutions adaptées à l’entreprise

Ce phénomène mériterait-il de rentrer dans le débat public selon vous ?

Oui, ne serait-ce qu’en raison du coup pour les entreprises. Une personne en burn-in est présente physiquement mais peu efficace. Elle est plus susceptible de faire des erreurs qui peuvent s’avérer coûteuses pour son employeur. De plus, comme la personne en burn-in se rend compte de son manque d’inefficacité, la souffrance s’accroît et mène bien souvent au burn-out et à des arrêts de travail, fréquents ou prolongés.

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