Discussion avec Anne-Laure Mignon, journaliste
L’avion est le moyen de transport le plus sûr. Pourtant, le stress aéronautique cloue au sol une personne sur dix et indispose un passager sur trois. Comment l’expliquer ? À quoi est due cette peur irrationnelle de l’avion ?
En psychologie, on parle de distorsions cognitives. Ces distorsions cognitives sont des pensées dysfonctionnelles. Elles amènent les individus à percevoir la réalité de manière erronée. Évidemment, ce n’est pas la situation objective qui déclenche l’angoisse de l’avion -vous le rappelez, l’avion est le moyen de transport le plus sûr -, mais bien l’évaluation subjective que le voyageur anxieux se fait du risque. La représentation qu’il a du danger encouru en avion est en total décalage avec la réalité. Il est centré sur le risque de crash, certes réel mais infinitésimal, et il est incapable de prendre en compte les nombreuses informations rassurantes. Son raisonnement rationnel est inopérant ; il est pris au piège de son anxiété dont il ne parvient pas à s’extraire. Les personnes anxieuses en avion sont victimes de leur imagination. Elles s’inventent des films catastrophe.
Le stress aérien est un trouble relativement complexe dans lequel peuvent se manifester des peurs très différentes telles que la peur des hauteurs, la peur de tomber, la peur du vide, des espaces clos, de manquer d’air, de la foule, de ne pas pouvoir fuir, la peur de s’éloigner de chez soi, de l’inconnu, la peur de perdre le contrôle, mais aussi la peur d’avoir une attaque de panique en plein vol.
Un incident vécu à bord, quel traumatisme est-ce que cela peut engendrer ?
Une personne peut souffrir de traumatisme lorsque sa vie ou la vie d’autrui a été mise en danger, comme par exemple, dans le cas d’un incident aéronautique ou d’un crash aérien. Mais elle peut également présenter un trauma après un événement sans danger au cours duquel elle a cru sa dernière heure venue, par exemple, après un vol perturbé par des turbulences. Par méconnaissance, elle a pu interpréter ces phénomènes banals comme un péril mortel.
Une histoire, un film marquant peuvent également être à l’origine de cette phobie ?
En effet, un film marquant peut aussi être à l’origine d’un stress aéronautique. Les images que le spectateur va garder du film peuvent être « actives » et posséder un potentiel traumatique. Un film ne montre pas que des images ; il suscite également des émotions. Les recherches sur les neurones miroirs donnent des clés de compréhension au phénomène de contagion émotionnelle. Nos neurones miroir s’activent lorsque nous voyons des personnes manifester des émotions, comme la peur, ou des sensations, comme la douleur. Si les passagers en scène dans le film sont terrorisés et impuissants, nous pouvons, par effet miroir, éprouver à notre tour ces émotions. Les images sont mémorisées avec leur charge émotionnelle sous forme de films intérieurs qui constituent des pseudo-souvenirs. Et ces pseudo-souvenirs sont actifs, tout comme le sont les vrais souvenirs, parce que certaines parties de notre cerveau ne discriminent pas ce que nous avons vraiment vécu de ce que nous avons seulement imaginé.
Un crash aérien rapporté aux informations par les médias peut également avoir un impact traumatique. Le choc des images occulte la vérité des chiffres !
Entendre le témoignage poignant des rescapés ou des familles des victimes active également notre système miroir.
Comment le stress aéronautique va-t-il se manifester ? Qu’est-ce qu’il déclenche ? Quels sont les symptômes ?
Le stress aéronautique peut aller de l’anxiété légère, relativement facile à surmonter, jusqu’au véritable calvaire que vivent les phobiques ou les grands anxieux. Ces derniers peuvent avoir l’impression de vivre leurs derniers moments et cela durant toute la durée du vol. Lorsque le stress est massif, la personne refuse tout simplement de monter dans un avion. Elle ne cherche une solution que si le prix de la phobie devient trop élevé. Par exemple, si elle rate des opportunités professionnelles, si elle risque de perdre son emploi ou bien encore si le problème devient une source de conflit au sein de la famille, privée de voyages ou de visites familiales à l’étranger.
Pour les phobiques et les grands anxieux, les difficultés commencent bien avant le départ, parfois même dès la réservation du vol. La journée, ils peuvent souffrir de pensées intrusives concernant le futur voyage, surgissant de façon involontaire, et provoquant des bouffées d’angoisse, qui peuvent s’accompagner de palpitations cardiaques et d’oppressions respiratoires. Ils peuvent encore se plaindre de difficultés de concentration et manifester de l’hypervigilance, des états d’alerte, des réactions excessives de sursaut, etc. L’anxiété se manifeste également la nuit par des troubles du sommeil, tels qu’insomnie, réveils nocturnes et cauchemars. Plus la date du vol se rapproche et plus ces signes d’anxiété deviennent fréquents et intenses. Durant le vol, l’anxiété peut atteindre son paroxysme et se manifester sous forme d’attaque de panique. La personne peut se replier sur elle-même ou au contraire, devenir très agitée. Elle être tellement déconnectée de la réalité qu’elle ne comprend plus ce qu’on lui dit. On pourrait dire que le cerveau émotionnel fait une sorte de coup d’état et muselle complètement le cerveau rationnel.
Si la personne a subi un traumatisme aérien, les symptômes sont évidemment amplifiés.
Quand c’est le cas, qu’est-ce qu’il faut faire pour répondre à cette phobie ?
Si le stress est léger, on peut donner des conseils simples comme réserver un siège à l’avant de l’appareil, parce que c’est l’endroit où l’on ressent le moins les turbulences ou éviter les excitants comme l’alcool. L’alcool peut aider à se détendre, mais attention au revers de la médaille ! Ses effets sont multipliés par trois en altitude. L’alcool déshydrate et la bouche devient sèche. Or, la bouche sèche étant un signal d’angoisse pour le cerveau, il y répond en conséquence. La sensation de bouche sèche peut donc déclencher l’angoisse !
Pour remédier à l’angoisse, on pense d’abord à la solution la plus facile, les anxiolytiques. 70% des voyageurs souffrant de stress aéronautique ont recours à un anxiolytique, mais 75% d’entre eux n’en ressentent aucun effet positif. Un traitement anxiolytique léger peut être utile pour les phobiques, comme les claustrophobes qui ont peur des endroits clos. Mais les personnes qui ont besoin de tout contrôler doivent, par contre, être prudentes. Généralement, elles luttent contre l’effet du médicament et arrivent complètement épuisées à destination. Avec de l’alcool, le cocktail peut être explosif.
Si la phobie est invalidante et transforme les voyages en enfer ou les rend impossibles, on ne peut que recommander de consulter un psychologue. L’hypnose, l’EMDR et la thérapie comportementale et cognitive sont des méthodes efficaces pour combattre les troubles anxieux. Les anxieux sont dans une forme d’autohypnose négative. Leurs pensées négatives concernant la situation et les risques constituent des croyances négatives, des autosuggestions négatives, à l’origine d’émotions pénibles. Les thérapies leur permettent de renverser la vapeur, de modifier ces croyances négatives et de transformer leur autohypnose négative en autohypnose positive.
Si l’origine du stress aérien est un traumatisme, il est indispensable de le traiter. La personne qui a vécu un incident possiblement mortel, réel ou vécu comme tel, souffre d’un excès de mémoire. Son corps et son esprit n’en finissent pas de se souvenir. Elle vit dans un état d’alerte permanent. La cause du stress aéronautique peut être un incident technique ou un vol mouvementé, mais aussi un accident de moto, de voiture, un hold-up, un viol, etc. Le sujet a l’impression d’être un miraculé, ce qui peut le rendre inquiet dans de nombreuses situations. L’origine peut encore être un événement douloureux lié à l’avion, par exemple, avoir dû prendre l’avion pour assister aux obsèques d’un être cher. Quelle qu’en soit la cause, si l’idée de mort s’est attachée à l’avion et l’intervention d’un psychothérapeute est souvent incontournable.
Pour certains, un trouble impossible à éradiquer ?
Certains troubles sont, en effet, plus difficiles à traiter. C’est le cas des troubles qui ne sont finalement pas spécifiques à l’avion. Par exemple, certains passagers souffrent d’anxiété généralisée. Ces personnes sont tracassées par rapport à de nombreuses situations, par exemple, par rapport à leur santé, aux finances, etc. Elles ont souvent le sentiment persistant que quelque chose de négatif est sur le point de se produire. L’avion n’est qu’une des nombreuses situations qui les effraient. C’est également le cas des claustrophobes et des agoraphobes.