Le vécu de l’enfant atteint d’une maladie cancéreuse – Diagnostic et première hospitalisation

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Maladies graves
  • Temps de lecture :19 min de lecture

Par Evelyne Josse, psychologue, psychothérapeute (hypnose, EMDR, EFT), consultante en psychologie humanitaire, http://www.resilience-psy.com

Pour télécharger ce document, cliquez sur l’icône PDF au bas de l’article.

Si vous désirez inviter Evelyne Josse pour une conférence ou un séminaire sur « Hypnose et cancer », contactez-la en lui envoyant un email à evelynjosse@gmail.com

Que dire à l’enfant ?

Lorsque le diagnostic du cancer est posé, l’enfant est considérée par ses parents et l’équipe médicale comme étant gravement malade. Se pose alors la question : « que dire à l’enfant ? ».

Certains parents, pour protéger l’enfant de l’angoisse, le tiennent dans l’ignorance de son diagnostic. Cette tentative est illusoire car il a pu ressentir l’ampleur du bouleversement émotionnel de ses parents. Rien que cela lui permet de conclure qu’il est en mauvaise posture. Exclu d’un savoir qui le concerne au premier chef, il est ainsi plongé dans un flou insupportable qui renforce des fantasmes angoissants. Cette conspiration du silence, à laquelle il se soumet rapidement en se taisant lui-même, est d’autant plus anxiogène qu’elle préfigure la mort, le mutisme nous dit Freud étant le symbole de la mort. A contrario, asséner tout de go un diagnostic n’a ni sens ni intérêt pour l’enfant car les mots « leucémie », « tumeur », «cancer » n’ont pour lui pas de contenu concret (du moins, pas celui qu’il a pour les médecins ou ses parents) et ne lui permettent pas d’apprécier la réalité pathologique dont il est atteint.

Il est donc essentiel d’expliquer à l’enfant la maladie dont il est atteint de telle sorte qu’il puisse s’en faire une représentation mentale. Bien entendu, pour ce faire, il faut tenir compte de ce que l’enfant veut savoir, de sa maturité et de ce que les parents acceptent qu’il soit dit. Par exemple, certains enfants ne veulent pas entendre parler de leur pathologie et délèguent à leurs parents le rôle de médiateur. Il va de soi que cette demande doit être respectée.

Être informé au sujet de sa maladie n’empêche certes pas l’enfant de souffrir. Néanmoins, cela permet d’établir un climat de confiance entre lui, l’équipe médicale et ses parents en facilitant la communication sur la préoccupation majeure de tous : la maladie. De plus, parce qu’il participe au savoir concernant son affection, l’enfant en assume davantage les conséquences (traitement, évolution, etc.) et maîtrise plus efficacement ses peurs et ses angoisses. À ce titre, une visite explicative du laboratoire de l’hôpital où séjourne l’enfant peut constituer une expérience intéressante. Du sang, de la moelle osseuse ou des cellules tumorales peuvent y être montrés au microscope de manière à ce que l’enfant puisse se faire une image -son image- de « sa » maladie. Par ailleurs, remontant le parcours emprunté par les prélèvements biologiques, l’enfant se rend compte du rôle de ceux-ci dans l’étude de sa pathologie et dans les indications de son traitement.

Pour Raphaël, 14 ans, sa maladie jusqu’alors impalpable, fut ainsi révélée à son regard, ce qui a considérablement diminué son angoisse. Il n’avait plus le sentiment de lutter à l’aveuglette, en terrain inconnu et invisible. Il savait désormais qu’il se battait contre des cellules « bleues ».


Que veut dire « être malade » ?


Même lorsqu’il a été expliqué à l’enfant qu’il est malade, on doit se demander ce que cela signifie pour lui. Bien qu’atteint d’une pathologie dûment diagnostiquée, il n’a pas pour autant connu de manifestations symptomatiques douloureuses ou invalidantes et, généralement, n’a pu constater aucun changement physique important. Se sentant bien, comment peut-il appréhender la réalité de sa maladie et comprendre que cette mise en mots d’un mal invisible a immédiatement pour lui des conséquences désagréables : hospitalisation, examens médicaux, etc. ?
Force est de constater que la maladie du médecin et des parents n’est pas celle de l’enfant. Alors que pour l’entourage l’affection grave débute avec le diagnostic, on peut s’interroger : quand l’enfant commence-t-il à se sentir malade ? Dès qu’on l’informe de son état de santé ? Peut-il accorder du crédit à une information qu’il n’a dans un premier temps aucun moyen de vérifier ? Est-il malade parce qu’on l’hospitalise, que des douleurs apparaissent ou qu’il souffre d’effets secondaires au traitement ?


De quoi souffre l’enfant ?


La séparation

En ce qui concerne la pathologie de l’enfant, les soucis des parents, des médecins et de l’enfant lui-même divergent considérablement.
Si les parents s’inquiètent de la morbidité et du risque vital, si les oncologues se préoccupent des thérapeutiques à administrer et de la réponse aux traitements, l’enfant quant à lui s’alarme davantage de la séparation avec les siens ainsi que de la perspective douloureuse ou contraignante des diverses techniques médicales.

Plus que les aspects purement somatiques de sa maladie, ce sont les conséquences de cette dernière qui fonde sa souffrance.

Pour le jeune enfant, la source principale d’angoisse est d’être séparé de ses parents et principalement de sa mère. L’on sait depuis longtemps que si la rupture avec ses parents perdure, il peut présenter des troubles psychiques graves, voire se laisser mourir (cf. l’hospitalisme décrit par Spitz). Or, l’hôpital représente un lieu de séparation, les parents ne pouvant constamment rester au chevet de leur enfant. Il est donc générateur d’une anxiété importante.

Son corps ayant fait exclusivement jusqu’alors l’objet de soins de la part de ses proches, l’enfant est plongé dans le plus grand désarroi de se voir abandonné à des mains étrangères dont les manipulations le conduisent rapidement à expérimenter la douleur. Son affliction sera majorée d’autant plus que ses parents avaient toujours cherché à le protéger et à le défendre contre tout tourment. En l’occurrence, c’est vers sa mère qu’il avait l’habitude de se tourner lorsqu’il éprouvait des désagréments et ce, dans le but d’être soulagé. Ces modifications du comportement de ses parents et de leur investissement à son égard, étant pour lui incompréhensibles, peuvent le plonger dans un grand désarroi.
Cette séparation concrète est également dramatisée par les fantasmes qui la sous-tendent. En effet, pour l’enfant, l’hospitalisation peut préfigurer la séparation définitive et être étroitement liée à l’angoisse de mort. De plus, l’absence de ses parents à ses côtés peut signifier qu’ils l’ont oublié ou qu’ils ont cessé de l’aimer.
Afin d’atténuer la perte de repères habituels provoquée par l’hospitalisation, il peut être conseillé aux parents d’apporter à leur enfant des objets (jouets, vêtements, etc.) auxquels il est particulièrement attaché. De même, des photographies des différents membres de la famille, des animaux domestiques, de la maison, rassurent l’enfant sur le maintien de son intégration au sein du milieu familial. En tissant ainsi des liens avec l’environnement qui était le sien avant son entrée à l’hôpital, on diminue son impression de rupture et son sentiment d’abandon.

Les soins médicaux

Alors qu’il se sent en forme ou déplore un inconfort mineur, l’enfant devra subir des interventions médicales investigatrices et curatives douloureuses (prise de sang, ponction lombaire et de moelle osseuse, opération chirurgicale, etc.) altérant son état général et entraînant des modifications physiques négatives (particulièrement pénibles pour les adolescents). Les chimiothérapies, par exemple, provoquent des nausées, des vomissements, une fatigue importante, une perte pondérale, une alopécie (perte de cheveux, des sourcils et des cils), des réactions fébriles, etc. Les thérapeutiques à base de corticoïdes (administrés, par exemple, en début de traitement des leucémies) provoquent généralement des fringales irrépressibles et une prise de poids ainsi qu’une modification de l’humeur (suivant les cas, euphorie, agressivité ou dépression). D’autres médications telles que certains immunosuppresseurs (administrés, par exemple, en vue de tolérer une greffe de moelle osseuse) entraînent une prolifération disgracieuse de la pilosité, notamment au niveau du visage.

Les effets secondaires des thérapeutiques étant plus dramatiques que les symptômes initiaux, l’enfant peut penser que la maladie s’aggrave et ce, avec la complicité de ses parents. Bien que ceux-ci présentent les soins comme un bienfait et déclarent vouloir sa guérison, il peut être convaincu que malgré leurs dires, ils sont favorables à la pathologie, voire qu’ils en sont les instigateurs. Il n’est d’ailleurs pas sans se rappeler que ce n’est pas lui mais ses parents qui ont fait appel aux médecins et qu’ils ont accepté l’hospitalisation.

On peut considérablement aider à l’apaisement de l’enfant en lui expliquant que ses parents sont, comme lui-même, « obligés d’obéir » aux décisions médicales et cela même en vertu de leurs vœux de guérison à son égard. De cette façon, on opère un transfert symbolique de la position des parents : du camp des agresseurs, ils passent à celui de l’enfant quoique, de leur part, la soumission soit volontaire.

Ce sentiment d’avoir été désigné pour souffrir est renforcé par une croyance fréquemment rencontrée chez les enfants à savoir qu’ils sont responsables de leur maladie, châtiment qui leur est infligé en rétorsion aux diverses désobéissances et méchancetés dont ils se sont rendus coupables.
Les parents avaient mis l’enfant en garde : « mets ton écharpe sinon tu vas être malade » mais il n’a pas obtempéré. Sa maturité ne lui permet pas toujours de saisir les multiples logiques de cause à effet. Il ne peut savoir qu’un cancer ne « s’attrape » pas comme une angine parce qu’il a négligé de se couvrir. Il n’est pas non plus en mesure de faire la différence avec des menaces, celles-là bien réelles, : « si tu n’arrêtes pas tout de suite, tu vas ramasser une fessée ».

Jeremy à trois ans. Lors de sa première hospitalisation, il se réveille la nuit en criant : « c’est ma faute ! c’est ma faute ! », expliquant tantôt que s’il est malade, c’est parce qu’il a maltraité son petit cousin tantôt qu’il a été méchant avec ses parents. Il dira aussi à diverses reprises qu’il ne veut pas guérir indiquant ainsi qu’il juge sa punition méritée eu égard à la jalousie coupable qu’il éprouve pour son cousin et aux sentiments ambivalents qu’il porte à ses parents.

Les nombreuses obligations et interdictions imposées par la maladie et les soins ainsi que la douleur dont l’enfant fait l’expérience augmentent également la prégnance de cette conviction. En effet, des régimes sont prescrits conjointement à certains médicaments (par exemple, un régime sans sel) et les examens médicaux nécessitent parfois d’être à jeun. Or, les privations alimentaires sont souvent utilisées comme punition : « si tu n’es pas sage, tu n’auras pas de dessert, de bonbons, etc. ». Quant au goût désagréable de certains médicaments, il n’est pas sans évoquer les poisons et nourritures maléfiques des contes pour enfants.
A l’hôpital, les perfusions ainsi que l’isolement nécessité par l’aplasie

1

consécutive aux chimiothérapies réduisent la mobilité de l’enfant, restreignent ses possibilités ludiques et limitent ses contacts humains. De retour à la maison, l’enfant n’est pas quitte pour autant de ces restrictions. A cause de l’hypoplaquettose 2 et pour éviter des hémorragies, les parents veilleront à ce que l’enfant ne se blesse pas. Les activités sportives telles que le vélo, le football, etc. seront proscrites. Ces contraintes peuvent être associées dans l’inconscient de l’enfant aux punitions qu’il a subies telles qu’être obligé de rester dans sa chambre, ne pas avoir le droit de sortir, d’aller jouer, de voir ses amis.
De façon analogue, les douleurs physiques sont généralement liées inconsciemment aux châtiments corporels et à la méchanceté délibérée.
Ainsi, l’enfant soumis à l’ordre médical se voit-il interdire la maîtrise et l’accès à la jouissance de son corps, ce qu’il cherche normalement à faire au fur et à mesure de son développement. Cette dépossession de son propre corps lui ôte du même coup son indépendance et son autonomie et le ramène à un stade antérieur passif de son évolution. La prise de distance par rapport aux parents de même que le déplacement des investissements affectifs sur des personnes étrangères sont ainsi retardés. Cette régression advient le plus souvent alors que s’installe une relation fusionnelle à la mère basée sur la satisfaction des besoins et le maternage.

L’enfant fait également l’amère expérience de son impuissance et est confronté au fait qu’il ne suffit pas de désirer ardemment et d’être très sage pour être exaucé. Ainsi, sa soumission et son obéissance n’ont pas, dans ce contexte, les effets habituels : « si tu es gentil, Saint-Nicolas, le Père Noël, la Petite Souris, etc. passeront ». Sa pensée magique est inopérante, elle ne lui apporte pas la guérison, ne précipite pas la sortie de l’hôpital, n’apaise pas ses souffrances.

De par l’intervention -justifiée- de la médecine, l’enfant est donc renvoyé à une image dévalorisée de lui-même : il est devenu un objet de manipulation. Qui plus est, cette image peut être morcelée. D’une part, du fait de la douleur, l’enfant peut percevoir isolément les différentes parties de son corps. D’autre part, les médecins, en fonction de la localisation de la pathologie, s’intéressent de façon privilégiée à une jambe, au ventre, à la tête, etc.

Ces répercussions négatives sur l’image corporelle peuvent modifier la conception que l’enfant s’est faite de lui-même et contribuer à l’apparition de troubles émotionnels (notamment chez les pré-adolescents et chez les adolescents).

Remarquons qu’en regard de la rapidité du développement de l’enfant, l’interruption que représente la maladie semble être une éternité scandée par l’insatisfaction des besoins, par les obligations, les interdits et la douleur.


La place de l’enfant malade dans sa famille


L’annonce de l’affection grave d’un enfant provoque un bouleversement complet au sein de la famille. À dater du diagnostic, le petit malade et son entourage vont vivre au rythme des soins, des examens médicaux et de l’évolution de la maladie, reléguant au second plan toutes les autres préoccupations. Dans cette nouvelle dynamique familiale, l’enfant occupe la place centrale, devenu pour ses proches extrêmement fragile et précieux. Aussi, adopte-t-on à son égard un comportement protecteur et indulgent.

La disparition des anciens principes éducatifs prive l’enfant de ses repères familiers et génère chez lui une inquiétude morbide. Il n’est pas dupe et comprend vite que son nouveau pouvoir n’est dû qu’à son extrême faiblesse. Cette omnipotence, il ne l’a pas conquise, elle lui a été soudain concédée, ce qui lui indique combien il est difficile d’établir des relations avec lui. Il n’existe plus en tant qu’enfant soumis à l’autorité parentale mais en tant que malade, isolé et stigmatisé parmi les autres. Paradoxalement donc, l’accroissement prodigieux d’attentions à son égard de la part de son entourage le marginalise et le met à l’écart.

De plus, le laisser « tout faire » le renvoie à une image tyrannique de lui-même, ce qui en retour ne manque pas de l’angoisser et de le culpabiliser. En effet, l’enfant peut être terrifié de se trouver ainsi confronté à l’absence de résistance : il n’a plus face à lui d’interlocuteur solide et fiables à un âge où il croit ses parents tout-puissants.

Par ailleurs, il peut se sentir coupable d’alourdir par son despotisme le fardeau de tristesse et d’angoisse que sa maladie fait déjà porter à ses parents. Aussi, peut-il craindre une diminution de leur amour car il est la cause de leurs soucis et se sent responsable de leur souffrance.
Il est important que les parents maintiennent leur rôle d’éducateurs en offrant un cadre et des limites. Cependant, ce n’est pas là tâche aisée car l’enfant, lorsqu’il fait le choix de se soumettre aux « agressions » médicales, éprouve le besoin de se venger du mal subi. Généralement, il tourne son agressivité vers ses parents leur faisant payer ce qu’ils n’ont pas empêché : les soins médicaux, la maladie, etc.


La communication avec l’enfant malade


L’enfant malade se trouve donc aux prises avec des sentiments ambivalents et paradoxaux tant vis-à-vis de lui-même que de son entourage. Il est confronté à des problèmes sans avoir pour autant les capacités cognitives et la maturité émotionnelle lui permettant de les exprimer verbalement.
Les adultes quant à eux méconnaissent le plus souvent les fantasmes de l’enfant, imaginant le vécu de celui-ci semblable au leur. Aussi, la communication entre l’enfant et ces derniers se trouve-t-elle fréquemment entravée, ce qui dans les circonstances aussi terribles que la maladie grave entraîne une incompréhension dramatique.

Les psychologues peuvent intervenir utilement auprès des familles aux prises avec la maladie grave d’un enfant. Leur rôle sera de rétablir la communication avec et autour de l’enfant. En reconnaissant les situations d’angoisse et de conflit, en augmentant et en les traduisant, et pour l’enfant et pour son entourage, ils peuvent favoriser une meilleure gestion des sentiments et faciliter les échanges. Les comportements de l’enfant deviennent alors porteurs de sens et de messages. Ainsi, les parents peuvent-ils décoder et comprendre les sentiments qui animent leur enfant lorsque celui-ci se montre soit agressif, exigeant et dépendant d’eux soit qu’il refuse de les voir, est déprimé, se renferme sur lui-même et refuse tout contact.


Notes :

Articles de la série :
– Le vécu de l’enfant atteint d’une maladie cancéreuse – Diagnostic et première hospitalisation
– Le vécu des parents d’un enfant malade du cancer

Documents joints

Notes et références

  1. L’aplasie médullaire est une complication très fréquemment observée chez le patient atteint de cancer, qu’elle soit due au traitement (chimiothérapie, radiothérapie) ou qu’elle soit liée à l’infiltration néoplasique de la moelle osseuse. Elle se manifeste par des anomalies de l’hémogramme : leucopénie, thrombopénie, anémie.

    Une leucopénie est une baisse du nombre de leucocytes totaux (c’est-à-dire de globules blancs)dans le sang. Les globules blancs étant composés en partie de granulocytes (ou polynucléaires) et de lymphocytes, suivant la lignée atteinte, on parle de neutropénie ou de lymphopénie.

    La neutropénie prédispose à des complications infectieuses graves et la thrombopénie à des syndromes hémorragiques potentiellement mortels.

  2. L’hypoplaquettose ou thrombopénie est définie par une diminution du taux des plaquettes circulantes dans le sang.