Mes remerciements à Joseph Musakane, infirmier en République du Congo pour MSF qui m’a soufflé les nombreux contes traditionnels qui m’ont permis de faire passer des messages aux bénéficiaires de notre programme et d’obtenir leur collaboration.
Le soutien psychologique des patients et de leur famille
Le rôle essentiel du psychologue consiste à offrir un soutien émotionnel aux patients hospitalisés et à leurs accompagnants ainsi qu’aux membres de la famille restés au domicile.
Les entretiens avec les patients valides peuvent être menés sans protection particulière (si ce n’est de respecter une distance de 2 mètres) à travers le grillage en plastique délimitant les zones à faible et haut risque (le psy en zone à faible risque et le malade en zone à haut risque). On peut demander aux logisticiens de construire un abri de consultation (quatre piquets et un peu de shadownet ou de plastic sheeting suffisent).
Les entretiens avec les patients grabataires peuvent être menés à leur chevet en protection complète. L’inconfort dû à la tenue de protection se double du fait que les patients grabataires sont dans un état physique tel qu’il leur est difficile de s’exprimer. Le meilleur soutien qu’ils peuvent recevoir est celui de leur famille. Le psychologue aura donc pour priorité de convaincre un membre de la famille de rester à l’isolation auprès du patient.
Les entretiens avec l’accompagnant. Les accompagnants sont souvent anxieux par rapport à l’état de santé du malade et au leur (proches du malade, ils ont pu être contaminés avant leur entrée à l’isolation). Ils sont fréquemment préoccupés par la stigmatisation dont ils craignent d’être l’objet à leur sortie (« Il a été à l’isolation. Donc, il a Ebola, il est contagieux et nous devons le garder à distance »). Tout comme avec les malades valides, les entretiens se déroulent sous l’abri « psy ».
Les entretiens avec les membres de la famille restés au domicile. Il est important d’aller à la rencontre des familles. Tout comme les accompagnants, elles s’inquiètent de l’état de santé du malade et du leur (proches possiblement contaminés).
Le psychologue doit stimuler les familles à rendre visite au malade (en zone sans risque, à l’extérieur de l’isolation, en zone à faible ou à haut risque en fonction de leur souhait) et à lui apporter de la nourriture (pratique traditionnelle en Afrique lorsqu’une personne est hospitalisée). Si nécessaire, il peut accompagner les plus anxieux (peur d’être contaminés en fréquentant l’isolation) de leur domicile (ou d’un autre lieu convenu) jusqu’à la barrière de sécurité de l’isolation. Dans certaines cultures, certains membres d’une famille endeuillée ont l’interdiction de quitter leur maison et ne peuvent donc rendre visite au malade (voir le chapitre sur le deuil dans la partie « anthropologique »). Ainsi, au Kasaï, si la mère vient de mourir, le père ne pourra venir voir son enfant hospitalisé. Certains patients étant issus de villages éloignés, les familles rencontrent des difficultés pour rejoindre le centre d’isolation (difficulté de trouver un moyen de transport, manque de moyens financiers pour assurer les coûts du voyage, etc.). Dans ce cas, le psy doit s’assurer que les informations circulent entre le patient et sa famille (notamment, sur l’état de santé du malade). Le psy peut lui-même se rendre dans la famille ou transmettre les informations utiles à l’équipe de la promotion à la santé ou à l’équipe « outreach ».
Les familles éprouvées par l’hospitalisation ou le décès d’un des leurs sont fréquemment rejetées par leur communauté. Pour lutter contre la stigmatisation, le psy doit organiser des « causeries » avec la famille et les voisins (et éventuellement, avec les relais communautaires « sensibilisation »). Il doit rester patient et prendre le temps de répondre à toutes les questions et inquiétudes. Durant ma mission, j’ai eu l’occasion d’organiser plusieurs séances de sensibilisation et j’ai pu constater les résultats positifs de ces démarches.
Les entretiens avec les familles endeuillées. Si la charge de travail l’autorise, le psy devrait rendre visite aux familles endeuillées à plusieurs reprises.
Conseil. Rares sont les familles qui possèdent plusieurs sièges. Lorsqu’un visiteur arrive, il doit parfois attendre la chaise que ses hôtes peuvent trouver chez les voisins. Le psychologue ne doit jamais s’asseoir par terre. Ceci serait humiliant pour ses hôtes, car sa communauté le jugerait pour ne pas avoir reçu le visiteur de manière honorable.
La désinfection des maisons
Il est important d’accompagner le travail de désinfection des maisons. Les familles et les voisins peuvent être inquiets et s’interroger sur cette procédure.
De préférence, le psy précédera l’équipe de désinfection. Si cela s’avère impossible (horaire, distance), il pourra accompagner l’équipe « désinfection » et sensibiliser l’entourage durant la désinfection ou venir faire sa causerie plus tard (il n’est jamais trop tard). Sensibiliser au moment même de la désinfection s’avère la méthode la moins efficace, la population étant d’abord intéressée par la préparation des humanitaires en charge de la désinfection (habillage en tenue de protection, préparation du matériel, sortie des objets de la maison, etc.).


La désinfection des maisons
Il est important de s’asseoir pour marquer la disponibilité, d’inviter les voisins et les relais communautaires, d’expliquer le but de la désinfection et de prendre le temps de répondre à leurs interrogations. Ce travail peut également être effectué par l’équipe « promotion à la santé » ou conjointement avec elle.
Le problème principal est souvent que les voisins souhaitent que l’on désinfecte leur case. On peut expliquer : « Nous sommes venus d’Europe pour arrêter l’épidémie. C’est pour cette raison que nous avons fait ce long voyage. C’est notre seul but. Si on pouvait arrêter l’épidémie en désinfectant toutes les maisons du village, c’est ce que nous ferions ».
Conseil : Dans certaines cultures, exposer les casseroles au vu de tous équivaut à exhiber nos sous-vêtements souillés en public. La famille devient alors la risée de sa communauté. Il est donc essentiel de se renseigner sur les us et coutumes avant toute intervention dans une communauté. Si les casseroles sont intimes, dans la mesure du possible, les personnes en charge de la désinfection doivent éviter de sortir les casseroles de la maison. Cela peut s’avérer difficile si l’habitation est petite. Dans ce cas, il est important d’être créatif et de discuter de la manière la plus acceptable de sortir les casseroles.
Les funérailles
Il est important d’accompagner les funérailles. La présence peut être assurée par le psy. Si le psy n’a pas suivi le malade et la famille (par exemple, mort suspecte hors isolation), d’autres membres de l’équipe de l’organisation humanitaire peuvent se rendre aux funérailles.

Funérailles
Le personnel de l’isolation
Le personnel de l’isolation est confronté aux malades et aux risques de contagion (en cas d’accident de protection, peu probable, mais possible). Il est important de leur offrir un espace de parole. Il est utile d’organiser des réunions « formelles » en grand groupe (toute l’équipe) et parallèlement, de mener des « débriefings » émotionnels en petit groupe (staff médical, nettoyeurs, etc.). Il est également conseillé de faire des entretiens informels individuels et en petit groupe. Le psy doit « traîner » dans l’isolation et se montrer disponible pour ceux qui souhaitent lui parler. Parfois, les raisons majeures de stress ne proviennent pas de la maladie Ebola, mais des jalousies et rivalités entre membres du personnel…
Le personnel des centres de santé et des postes de santé
Il est important de mener des réunions avec le personnel des centres de santé et des postes de santé ayant été en contact avec des malades (confirmés, probables ou suspects) dans le cadre de leurs activités professionnelles (ils sont eux-mêmes « contact » et suivis durant 21 jours). Le personnel peut manifester son anxiété par une perte d’appétit, des somatisations, des troubles du sommeil, des crises d’angoisse, etc.
Les relais communautaires « contact »
Les relais communautaires « contact » sont issus de la communauté et sont choisis par les chefs de village. Ils sont chargés de relever quotidiennement la température des personnes ayant été en contact avec un malade confirmé, probable ou suspect, et ce, durant 21 jours (période d’incubation du virus). Il peut être opportun de faire des débriefings émotionnels avec eux. Ces relais communautaires peuvent être anxieux et avoir des questions relevant de la promotion à la santé (mode de transmission, efficacité des mesures de protection), mais le danger auquel ils sont confrontés peut être un prétexte pour quémander des bottes, des stylos ou des cahiers et pour justifier l’augmentation d’une rémunération pour leurs services.
Obtenir des renseignements
Les familles se montrent souvent rétives à répondre aux nombreuses questions posées par l’équipe humanitaire (psy, épidémiologiste, médecins, infirmiers, etc.). Certains pensent que les humanitaires de la police et qu’ils recherchent des coupables. Il peut donc s’avérer difficile de retracer la chaîne de transmission, les personnes taisant, niant ou mentant sur les points suivants : guérisseur consulté et traitement traditionnel ou spirituel administré, église fréquentée, contact et type de contact avec les malades d’Ebola (relations familiales ou amicales, soins apportés au malade ou à la dépouille, etc.), etc.
À ces personnes, nous pouvons dire :
- Le vrai coupable : « Nous, nous connaissons le coupable. Le coupable, ce ne sont pas des personnes, ce ne sont pas les malades, ce ne sont pas les guérisseurs, non, le coupable, c’est le virus, ce sont les chauves-souris et les singes. Quand on va consulter une église, un centre de santé ou un guérisseur, lorsqu’on se rend au chevet d’un malade, qu’on transporte une dépouille ou qu’on la lave, on n’est pas coupable. Quand on fait toutes ces choses, c’est pour apporter son aide à ceux qui souffrent et jamais personne n’est coupable de vouloir aider son prochain. Il n’y a pas d’infraction. Le seul coupable, c’est le virus, les singes et les chauves-souris »
- Les fourmis : Vous ne devez pas vous sentir coupable. Si vous vous sentez coupables, vous allez baissez la tête et alors, qu’est-ce que vous verrez ? Vous ne verrez plus que les fourmis. Si vous vous sentez coupables, vous ne serez plus conseillé que par les fourmis ».
Faire face à des suspects résistants
Certains malades et/ou leur famille refusent l’hospitalisation au centre d’isolation. Les raisons sont multiples :
- Les rumeurs : Des rumeurs circulent : les humanitaires tuent les patients au centre d’isolement, il leur administre de « faux » médicaments, etc. Ebola est une maladie hautement mortelle ; un taux de mortalité élevé au centre d’isolement est à l’origine des rumeurs.
- La mort inévitable : « Notre sœur va mourir. Nous préférons qu’elle meure à la maison, entourée des siens ».
- La sorcellerie : Nombreux sont les villageois qui pensent qu’Ebola est le résultat d’un sort envoyé par un sorcier. « Notre sœur ne souffre pas d’Ebola, c’est la sorcellerie » (déni de contagiosité).
- La malaria : « Ce n’est pas Ebola mais la malaria » (déni de gravité).
- Ce n’est pas Ebola : « Il n’y a pas eu beaucoup de morts, ce n’est pas Ebola. Quand c’est Ebola, ça tue beaucoup de gens ».
Voici quelques tuyaux permettant de faire face aux résistances.
L’attitude. RESTER CALME, NE JAMAIS S’ENERVER. Cela s’avère presque toujours contre-productif et renforce les résistances. Lorsqu’un humanitaire s’énerve, il court le risque que la famille cache le malade et de perdre le contact avec lui.
Les modalités de l’entretien : S’entretenir seul à seul avec le chef de famille dans un endroit isolé, à l’abri des oreilles et des regards indiscrets.
Battre en brèche les rumeurs :
- Les humanitaires désirent la mort : Même si cela dépasse l’entendement, certaines personnes pensent que les humanitaires souhaitent la mort des leurs. Nous pouvons dire : « J’ai un chez-moi. Si je suis venu, c’est pour vous aider. J’ai laissé ma famille, ma maison. Nous tous, dans cette association humanitaire, nous avons laissé nos familles pour venir ici. Quand une de nos sœurs est malade, on a peur. C’est une de nos sœurs. On ne veut pas que ce soit Ebola, non, ça nous fait mal au cœur ».
- Les humanitaires tuent les malades : après avoir expliqué les soins pouvant être administrés en isolation, nous pouvons dire : « Ebola est une maladie mortelle. Beaucoup de gens qui ont Ebola meurent, c’est vrai, mais s’il y a une chance de guérir, c’est à l’isolation. Si un malade se cache dans la case, à l’église ou dans la brousse, c’est certain, il va trouver la mort ».
- La sorcellerie. « Tu dis que c’est la grand-mère qui a mangé ton enfant. Mais telle, telle, telle est morte, c’est aussi la grand-mère ? C’est la grand-mère qui a mangé tous ces gens ? »
Les bienfaits pour le patient. Les malades et les familles sont parfois peu sensibles aux arguments de santé publique (éviter la contamination). Il est donc important de mettre en avant les bienfaits de l’hospitalisation pour le malade lui-même. On peut expliquer : « Ebola est une maladie grave et il faut aider l’organisme à la combattre. Pour cela, il faut éviter que le malade souffre d’autres infections (malaria, amibes, etc.) parce que c’est trop pour l’organisme. Il ne peut pas lutter contre Ebola et contre d’autres maladies en même temps, ce n’est pas possible. En isolation, le patient est protégé contre toutes les maladies qui circulent dans le village. Il reçoit des médicaments pour tuer toutes les maladies du village et on lui donne une bonne nourriture pour qu’il soit le plus fort possible pour lutter contre Ebola. Quand on a Ebola, on a souvent la diarrhée et on vomit. On perd beaucoup de liquide qui se trouve dans le corps. Si le corps n’a plus assez de liquide, on meurt. Si le malade vomit ce qu’il boit, son corps ne garde pas le liquide. Alors, on doit mettre une perfusion pour donner ce liquide et ça, on ne peut pas le faire dans la brousse, dans les églises ou à la maison. Si c’est Ebola, si on une chance de survivre, c’est à l’isolation. Mais on ne veut pas que ce soit Ebola, non. Si comme nous le souhaitons ce n’est pas Ebola, tant mieux, on est très contents. En plus, on aura soigné le malade gratuitement et il va ressortir du centre en bonne forme ».
Les métaphores. Utiliser des histoires, des contes, des dictions et des proverbes. Quelques exemples :
- Les poux :
Humanitaire : « Est-ce qu’un seul doigt peut ramasser les poux sur la tête ? »
Malade/famille : « Non »
Humanitaire : « Non, il faut deux doigts. C’est la même chose dans le cas qui nous occupe. Nous devons être deux : vous (la famille, le malade) et nous (les humanitaires). Nous devons collaborer. Nous devons être solidaires, nous devons nous entraider. Vous n’avez pas les moyens (les médicaments, une nourriture riche, etc.), vous avez besoin d’aide et cette aide, c’est l’association humanitaire qui va vous la donner.
- L’antilope : « L’antilope mâle n’aura pas le temps d’avoir des cornes s’il n’écoute pas les conseils de ses parents ». On raconte l’histoire suivante : « Les parents antilopes expliquent à leur enfant qu’il doit brouter dans la forêt et éviter la savane. Dans la savane, on peut le voir, mais dans la forêt, il est bien caché, il peut manger à l’aise. Le jeune mâle, sûr de la vitesse de sa course, désobéit parce qu’il a envie de manger les belles herbes de la savane. Et vous savez ce qui est arrivé à cet enfant désobéissant ? Il s’est fait attraper par le lion. Il n’a pas respecté les conseils et il s’est fait bouffer. Les parents ont une vision à long terme. Les conseils qu’ils donnent sont le fruit de leur expérience. C’est la même chose ici. Si vous avez un malade dans la famille, la seule façon de l’aider, c’est d’écouter les conseils des humanitaires et de l’hospitaliser à l’isolation. »
- La perdrix :
Humanitaire : « Vous connaissez la perdrix ? Vous connaissez la poule ? »
Malade/famille : « Oui »
Humanitaire : « Qui a la plus longue queue ? »
Malade/famille : « La poule »
Humanitaire : « Vous savez pourquoi ? »
Malade/famille : « Non »
Humanitaire : « Un jour, la perdrix a voulu arranger la queue de ses enfants. La poule lui a dit : « Non, non, ne fais pas ça ! Ce n’est pas toi qui dois faire ça ! Tu ne sais pas comment arranger les queues », mais la perdrix était têtue et elle n’a rien voulu écouter. Elle a coupé, coupé, coupé ; elle a encore corrigé et coupé encore et finalement, les enfants ont perdu leur queue. La poule, elle, n’a pas essayé d’arranger toute seule la queue de ses enfants. Si vous dites « Non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas Ebola, c’est le paludisme, vous arrangez les choses vous-mêmes et puis c’est l’accident et vous perdez la queue ».
- L’insensé : « Vous savez ce qu’on dit, n’est-ce pas ?, si tout le monde va dans la même direction et que quelqu’un prend une autre direction, c’est qu’il est insensé, c’est qu’il est fou. De nombreux malades sont entrés à l’isolation et nombreux sont sortis aussi, mais vous, vous ne voulez pas que votre enfant vienne à l’isolation, vous refusez d’aller où tout le monde va » ou « Tout le monde dans l’association humanitaire, tous ces gens qui ont beaucoup de connaissances vous disent d’aller à l’isolation et vous, vous voulez aller dans une autre direction »
- L’haleine du vieillard :
Humanitaire : « Comment sent l’haleine d’un vieillard ? C’est bon ou c’est mauvais ? »
Malade/famille : « C’est mauvais »
Humanitaire : « Oui, c’est mauvais. La bouche d’un vieillard dégage de mauvaises odeurs parce qu’il ne se lave pas les dents. Et comment sont les paroles d’un vieillard ? Elles sont bonnes ou elles sont mauvaises ? »
Malade/famille : « Elles sont bonnes »
Humanitaire : « Oui, elles sont bonnes. L’haleine sent mauvais, mais les paroles sont bonnes. C’est la même chose avec nous, les humanitaires. On parle d’Ebola et Ebola, ça sent mauvais, mais malgré cela, nos paroles sont bonnes et nous pouvons vous aider, nous pouvons aider cet enfant qui est malade. »
- La cible et le vieillard :
Humanitaire : « Si un vieillard lance une pierre, est-ce qu’il va toujours atteindre sa cible ? »
Malade/famille : « Non »
Humanitaire : « Mais ses paroles, est-ce qu’elles atteignent la cible ? »
Malade/famille : « Oui »
Humanitaire : « Parfois, nous, les humanitaires, nous pouvons rater la cible (vous faire venir à l’isolation pour vous soigner), mais nos paroles visent juste ».
- Le chef et la peau de léopard souillée : « Un jour, un chef se prépare pour une cérémonie traditionnelle. Il met ses beaux habits avec la peau de léopard. Pour être à l’aise pendant la cérémonie, il va d’abord aux toilettes et par accident, il souille la peau de léopard. Mais c’est un chef à qui on ne peut rien dire, il ne veut rien entendre, il ne veut pas écouter les conseils. Si tu lui dis quelque chose, ça ne lui plait pas et il te tranche la gorge. Alors, personne ne le contredit, personne ne lui dit rien et tout le monde lui obéit. Le chef arrive à la cérémonie et il s’assied. Tous ses sujets voient que la peau de léopard est souillée par le caca, mais personne n’ose le lui dire et lui, le chef, il ne le sait pas. Mais qui va le lui dire puisqu’il n’écoute pas les conseils ? Si tu n’écoutes pas les conseils, tu finiras par faire caca sur toi parce que tu n’écoutes pas les conseils et personne ne pourra pas te le dire ».
- Si ces métaphores n’ont pas réussi à vaincre les résistances, au moment de partir :
Humanitaire : « L’homme averti, papa ? »
Malade/famille : « En vaut deux »
Humanitaire : « Tu peux répéter ? »
Malade/famille : « En vaut deux »
Humanitaire : « D’accord, papa. Au revoir »
- L’aide des leaders communautaires :
- L’aide du leader religieux. Lorsque toutes les tentatives ont échoué, on peut faire appel au leader de l’église du malade. Le fidèle ne peut refuser de suivre ses conseils, car c’est Dieu qui parle à travers lui. On peut dire au pasteur : « Vous n’allez pas renforcer votre église avec des morts. Vous savez comment cela va au village. On va dire telle personne était dans cette église et elle est morte ; telle autre était dans cette église et elle est morte et celle-là aussi, elle était dans cette église et elle est morte. Vous pouvez nous aider à convaincre ce malade à venir à l’isolation. S’il meurt dans le village, on ne va dire qu’il était dans votre église ». Si cela peut rassurer la famille, on peut suggérer au leader religieux de bénir les médicaments.
- L’aide du chef de village. On peut également convaincre le chef du village de la nécessité d’hospitaliser un villageois. Il peut user de son autorité morale. Une telle démarche (qui relève plus de la contrainte que les conseils du religieux) risque cependant d’avoir des effets négatifs. En effet, ceux qui tomberont malades par la suite pourraient fuir et se cacher.
Questions fréquemment posées par les villageois
La consommation de chauves-souris et de singes. « Nos ancêtres ont toujours mangé du singe et de la chauve-souris et ils n’ont pas attrapé Ebola ».
- Le sida : « C’est vrai, du temps de nos ancêtres, Ebola n’existait pas. On peut faire une comparaison : nos ancêtres ne connaissaient pas le sida. Un jour, la maladie Ebola a frappé les singes et les chauves-souris ; un jour, le sida a frappé les hommes ».
- Les grands singes : « Quand tu arrives dans un parc animalier, tu vois les singes. Les petits fuient, mais les adultes, les vieux, ils restent là. Mais si un de ces vieux singes a reçu un jour un coup de fusil ou une flèche et qu’il a survécu, là, tu verras, ce sera le premier à fuir. Si un grand singe dort au vu de tout le monde, c’est qu’il n’a pas encore reçu un coup, c’est qu’il n’a pas encore été blessé. Toi, tu dis : « Nous avons grandi avec les chauves-souris, nous mangeons des chauves-souris, nos ancêtres ont toujours mangé des chauves-souris » et tu dis ça parce que tu n’as pas encore reçu un coup, c’est parce qu’Ebola n’a pas encore frappé ta famille. Il ne faut pas arriver à avoir des morts dans la famille, il faut écouter les conseils ».
La consommation d’animaux trouvés morts. « Il faut prendre du temps pour en gagner ». Lorsqu’on trouve un animal déjà mort en brousse, on se dit que c’est une chance ou un cadeau de Dieu. On gagne du temps, on ne doit pas se fatiguer pour tuer un animal, etc. Mais parfois, c’est un cadeau empoisonné, un cadeau du Diable. Un cadavre que l’on trouve en brousse, c’est déjà un déchet.
La sorcellerie, Ebola et la promotion à la santé
Lorsque les communautés défendent l’idée qu’Ebola est le fruit de la sorcellerie, il est inutile de clamer que la sorcellerie n’existe pas, sauf à vouloir provoquer une levée de boucliers.
Les analyses de laboratoire. On peut expliquer : « Lorsqu’un sorcier envoie un sort, les analyses réalisées en laboratoire sur les prélèvements sanguins du malade ou du mort ne peuvent mettre en évidence aucune maladie. Le pouvoir du sorcier ne se « voit » pas. Par contre, on peut voir au microscope le virus dans le sang d’un malade d’Ebola. C’est une maladie connue au même titre que la malaria ou le sida ».
La sorcellerie, les traitements et les moyens de protection. On peut reconnaître qu’on ignore pourquoi le virus a frappé le cas index. Néanmoins, on doit mettre en évidence que même si elle est le fruit de la sorcellerie, Ebola est une maladie contagieuse pouvant tuer n’importe qui.
- La perte du contrôle du sorcier. « Avec Ebola, le sorcier perd le contrôle de son pouvoir et lui-même peut mourir d’Ebola s’il touche la personne qu’il a ensorcelée. Plusieurs guérisseurs sont décédés d’Ebola au cours des différentes épidémies ». On peut faire la comparaison avec la tuberculose (maladie également attribuée fréquemment au pouvoir des sorciers). Même si une personne pense avoir contracté la tuberculose par sorcellerie, elle se rend au centre de santé pour recevoir des soins et ses proches prennent les précautions adéquates pour éviter la contagion.
- Les modes d’ensorcellement. « Le sort produisant Ebola doit trouver une voie d’entrée dans le corps (voies de contamination). On sait comment la maladie entre dans le corps. C’est pour cette raison qu’il faut suivre les conseils de protection ».
Les enjeux financiers. Dans le cas où la sorcellerie a été « révélée » par le malade avant son décès, on demandera qui a rapporté ses paroles. La réponse sera sans doute : le Pasteur (le diacre, les apôtres ou autre leader religieux). On soulignera que personne d’autre n’a entendu ces propos. On s’intéressera aux aides proposées par le représentant religieux. On fera réfléchir au fait que les services proposés (prières, sacrifice d’animaux, parfums, potions, etc.) sont coûteux (en argent ou en nature). Les pratiques de désenvoûtement constituent, en effet, un véritable enjeu économique pour les leaders religieux.
Conseil : Dans un cas d’un décès, la grand-mère, la mère, la tante, l’oncle, la sœur, etc., du défunt sont éprouvés par le décès et peuvent avoir besoin d’un soutien émotionnel. Dans la mesure du possible, le psychologue devrait éviter de s’entretenir le même jour avec la personne identifiée comme sorcière et avec les autres membres de la famille (la mère, la tante, etc.). Tout se sait dans les villages et enchaîner les visites aux membres de la famille en conflit peut être mal perçu (« Elle vient de chez nous pour aller tout raconter aux autres »).
Les églises, Ebola et la promotion à la santé
L’imposition des mains. Par rapport aux leaders religieux qui prétendent guérir par imposition des mains, on peut reconnaître leur intention positive : « Ils veulent vous aider, mais ils obtiennent le contraire de ce qu’ils désirent. Dieu a envoyé les scientifiques, les médecins et les instructions pour éviter la contamination par le virus Ebola. Si Dieu a envoyé la maladie et il a aussi envoyé les moyens de se protéger. Nous devons suivre ces instructions ». Aux prêtres, on peut leur conseiller de placer les mains juste au-dessus du corps, sans le toucher.
La punition de Dieu. Certaines personnes pensent qu’Ebola est une punition de Dieu. On peut répondre que si c’est le cas, Dieu a aussi envoyé les scientifiques, les chercheurs et les moyens de se protéger de la maladie. Qu’il y a là matière à réfléchir.
Toilette mortuaire et promotion à la santé
Problème posé par les villageois : « On ne peut pas laisser partir un mort sans le laver, mais quand quelqu’un meurt et qu’il est suspect d’être infecté par Ebola, on nous dit qu’on ne peut pas procéder à la toilette mortuaire. Comment pourrait-on accepter cela ? ».
Idée de réponse : « Vous lavez le corps pour qu’il soit propre. Ebola est une maladie très sale. Il est donc important de bien laver le corps. Les humanitaires lavent le corps avec des produits spéciaux pour le rendre bien propre ». On peut ajouter que Dieu comprend et qu’il a pitié des hommes. Il sait qu’Ebola a frappé la région et que la tradition ne peut être totalement respectée. C’est Dieu lui-même qui a donné l’intelligence au médecin pour trouver les moyens de se prémunir de la maladie. Les précautions particulières en période épidémique durant le deuil sont donc dictées par Dieu.
Evelyne Josse, 2025
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