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Le vote est-il rationnel ? La politique est-elle une affaire de passions ?

Foule sentimentale

Nos émotions jouent un rôle très important dans nos prises de décisions, bien plus qu’on ne le croit généralement, et c’est vrai pour le vote comme pour beaucoup d’autres choses. Oui, comme le disait Alain Souchon, nous sommes des foules sentimentales et nous ne sommes pas aussi rationnels que nous nous plaisons à le croire.

La faute à qui ? La faute à notre cerveau…

Notre système limbique, celui que l’on surnomme souvent le cerveau émotionnel, est constitué de différentes structures : les amygdales qui sont le siège de la peur, l’hippocampe que l’on peut considérer comme la bibliothèque conservant nos expériences passées et le gyrus cingulaire qui joue un rôle de médiateur dans nos réactions émotionnelles et donc, dans les solutions que nous prenons. Au-dessus de cette structure, nous avons le cortex, la matière grise. Notre matière grise, c’est elle qui nous permet de réfléchir et de prendre des décisions rationnelles. Mais réfléchir prend du temps et notre cerveau émotionnel, plus rapide, à tendance à prendre les décisions dans les situations où nous nous sentons insécurisés. Face à un gros ours, réfléchir aux moyens les plus adéquats de lui échapper nous ferait perdre de précieuses secondes, et c’est la raison pour laquelle notre cerveau choisi la voie rapide, celle du système limbique. Or, les messages des candidats jouent sur nos émotions, notamment sur la peur, la frustration et la colère. Et notre cerveau réagit plus fortement aux messages émotionnels qu’aux messages rationnels parce que nos émotions ont aidé notre espèce à survivre au cours des siècles. Par exemple, c’est parce que nous sommes à même d’anticiper les dangers que nous avons pu survivre. Les émotions sont un moteur à l’action, elles nous font agir, et elles peuvent donc nous faire opter pour tel ou tel candidat. Si on prend l’exemple de la crise sanitaire, la peur a été un moteur essentiel pour l’action, notamment pour adapter nos comportements à la situation.

Le non-verbal et le paraverbal

Les candidats, par ce qu’ils disent, mais aussi par ce qu’ils ne disent pas, par leur langage non-verbal et paraverbal (ton, intonation, rythme de ce qui est dit) influencent nos choix électoraux. En tant qu’être humain, nous nous régulons émotionnellement dans le lien. Pensez aux nourrissons. Ils pleurent parce qu’ils ont faim, parce que leur couche est souillée, parce qu’ils ont mal, parce qu’ils ont froid, etc. C’est dans les bras d’un adulte bienveillant qu’ils se calment. Ils sont incapables de s’apaiser par eux-mêmes ; ils ne trouvent le réconfort que dans le lien. En grandissant, nous apprenons à nous auto-réguler, mais nous trouvons aussi du réconfort auprès de nos proches. Les recherches récentes montrent qu’adulte, nous nous co-régulons de manière réciproque. Et pensez à la manière dont vous calmez un nourrisson : en lui parlant d’une voix douce, en lui souriant, en penchant la tête, etc. En fait, lorsque nous sommes adultes, par des signaux spontanés à peine perceptibles émis par nos visages, la modulation de nos voix et la posture de notre corps, nous nous communiquons mutuellement des signaux de sécurité ou de danger. Et ceci, sans que nous en soyons conscients. On appelle cette perception inconsciente neuroception ou neuroceptivité. Les signaux émis inconsciemment par les candidats, et perçus tout aussi inconsciemment par les téléspectateurs, jouent donc un rôle non négligeable. Les citoyens voteront parce qu’ils « sentent » ou « ne sentent pas » tel ou tel candidat ; ils voteront pour celui qui leur apporte le plus de sécurité, pour celui qui les rassure le plus. Bien sûr, ces signaux « neuroperçus », c’est-à-dire perçus par notre système neurologique en dehors de notre conscience, agissent différemment sur chacun d’entre nous en fonction de notre histoire et de notre personnalité, ce qui explique qu’un même candidat n’est pas perçu comme rassurant ou inquiétant par l’ensemble de la population. Les personnes peu politisées et peu intéressées par la politique, et nous savons qu’elles sont nombreuses dans notre pays, sont particulièrement sensibles au vote émotionnel. Une émotion positive, ressentie en voyant ou en écoutant un candidat pourrait se substituer, chez elles, au défaut d’information et au manque de connaissance politique. Un électeur convaincu de ses orientations politiques est évidemment moins influencé par l’image affective émanant des candidats en campagne électorale.

Les gestions de crise

Les personnages politiques cristallisent une quantité importante d’émotions. Cette condensation d’émotions est le fruit de leur image, comme nous l’avons vu, mais évidemment également des émotions engendrées par leurs discours et leurs actions, en particulier durant les crises anxiogènes. La manière dont le président a géré les gilets jaunes, les grèves de la SNCF, et plus récemment, la crise sanitaire et actuellement, la guerre en Ukraine, ont condensé sur sa personne des émotions importantes, parfois massives, positives ou négatives selon les citoyens. C’est vrai aussi pour Marine Le Pen par les discours qu’elle a tenu à propos de ces différents événements. Les citoyens que les décisions prises par Macron ont insécurisés seront plus enclins à voter pour Le Pen ou à s’abstenir, et inversement, les discours anxiogènes de Le Pen peuvent être profitables au président sortant. Les citoyens ont donc tendance à voter pour le candidat qui les sécurise et qui crée ou maintien des repères de sécurité pendant ou malgré les crises.