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Les commémorations des attentats terroristes, à quoi ça sert ?

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Evelyne Josse
Septembre 2021
Chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz)
Psychologue, psychothérapeute (EMDR, hypnose, thérapie brève), psychotraumatologue
http://www.resilience-psy.com

Le présent article est un extrait de l’ouvrage d’Evelyne Josse, « Le traumatisme psychique chez l’adulte », 2ème édition, paru en 2019 aux Editions de boeck Supérieur.

Rassemblements publics et marches silencieuses, inaugurations de stèles et de plaques commémoratives, minutes de silence, visite, recueillement, dépôt de gerbes de fleurs et discours des autorités sur les lieux des attentats, etc. sont autant de moyens publics de commémorer les événements.

Tout comme les rituels spontanés de l’immédiat après-coup des attentats terroristes, les actes commémoratifs officiels locaux et nationaux jouent un rôle important pour les victimes, les endeuillés et leur communauté. Ils revêtent diverses dimensions :

Une dimension de deuil : Ils rendent hommage aux défunts et honorent leur mémoire et, pour les endeuillés, ils marquent des étapes sur le chemin du deuil.

Une dimension de soutien et d’entraide : Ils offrent aux endeuillés, aux victimes directes et à leur entourage l’opportunité d’exprimer leur affliction et de recevoir les témoignages de compassion de leur communauté. C’est une manière de manifester que les victimes ne sont pas oubliées et de reconnaître que le drame est encore d’actualité dans leur vie.

Une dimension communautaire : Ils promeuvent le renforcement du tissu social. En traduisant l’idée que chacun a traversé, à sa façon, la même épreuve, ils donnent une dimension collective au drame. Ils construisent ainsi une histoire commune, renforcent les liens entre les individus et affermissent la notion de communauté. Les actes commémoratifs sont une manière de marquer et de renforcer l’identité sociale. Ils confortent le sentiment d’appartenance au groupe, à la foule, à la nation. Y participer, même depuis son salon via la radio ou la télévision, c’est se sentir appartenir à la communauté ; c’est adhérer à ses normes et à ses valeurs. La dimension du Moi social transcende les autres facettes : le « même » devient plus important que le « différent » ; ce qui rapproche les individus au niveau culturel prévaut sur ce qui les distancie au niveau individuel. Les valeurs consensuelles (culturelles, religieuses, etc.) que les commémorations propagent suscitent la solidarité communautaire et le respect mutuel. Ils ont donc une fonction de médiation et promeuvent l’atténuation des divergences individuelles, politiques, sociales, etc.

Une dimension de mémoire (devoir de mémoire) : En raison de leur nature officielle, ces manifestations et symboles commémoratifs participent au devoir de mémoire. Leur fonction majeure réside dans leur pouvoir évocateur : ils consistent à évoquer les préjudices subis par les victimes et les conditions dramatiques dans lesquels les disparus ont trouvé la mort.

Une dimension d’historisation (travail de mémoire) : En rappelant les attentats, les commémorations réactualisent le passé dans le présent, mais simultanément, elles marquent leur dépassement dans un temps tourné vers le futur. Pour l’historien Jean-Noël Jeanneney, « Il n’y a pas de commémoration neutre. C’est toujours au présent qu’un tel événement survient, c’est toujours l’avenir qu’il doit, au premier chef, contribuer à éclairer et, dans le meilleur des cas, à dessiner pour le mieux – ou le moins mal. » (Jeanneney J-N., 2013). Ces commémorations réveillent les douleurs des événements tragiques mais contribuent aussi à les dépasser. Tout en conservant les traces du passé, elles favorisent leur transformation, par exemple, par l’intégration des enjeux symboliques tels que la fraternité, la solidarité, la tolérance, etc. À terme, un travail de mémoire réussi, c’est tout à la fois se rappeler et oublier. Tout oublier serait dangereux. Sans mémoire, les périodes les plus sombres de l’Histoire se répéteraient inlassablement. Comme le rappelle l’analyste politique David Rieff, « L’oubli est l’atout de quelques-uns des personnages les plus sinistres de l’Histoire. Hitler se demandait qui, en 1939, se souvenait encore du massacre des Arméniens par les Turcs, pour avancer que les nazis pouvaient agir à leur guise sans avoir rien à craindre. » (Courrier International, 2012). Mais, d’une certaine façon, oublier est indispensable. L’Histoire, tout comme le psychisme des individus, est fortement dominée par les processus de répétition et les conflits entre peuples sont largement nourris par cette incapacité à oublier. La mémoire peut attiser la colère et, nous dit l’essayiste, « finir par faire ressembler l’Histoire à un arsenal doté des armes nécessaires pour perpétuer les guerres et fragiliser la paix. » (Rieff D., 2018). Avec les années, les lieux de commémoration et les stèles perdent leur charge émotionnelle tout comme l’ont perdu les nombreux monuments aux morts érigés après les deux guerres mondiales en mémoire aux soldats tombés sur le front. Le psychiatre Patrick Clervoy nomme ce phénomène le lissage. « On continue à voir les traces, mais on les range parmi les traces qui existaient préalablement. » (Clervoy P., Tollet A.-I, 2016) dit-il. Le processus de résilience collective efface peu à peu le caractère traumatique d’un événement et l’historicise. Le travail de deuil est indispensable, mais doit cesser un jour pour que la vie continue.

Une dimension identitaire : Les actes commémoratifs réaffirment les valeurs et l’idéal qui unissent les membres d’un groupe (liberté d’expression, fraternité, tolérance, etc.) et favorisent leur engagement à les défendre. En organisant ces rituels collectifs, une communauté s’auto-institue en rappelant les bases morales et les idéaux qui la fondent. Pour l’historien Patrick Garcia, commémorer « c’est produire un discours, mettre en scène un geste qui utilise le passé pour esquisser, devant les hommes du présent, leur devenir commun et manifester ce qui les lie ensemble aujourd’hui. » (Garcia P., 2001). Ce faisant, les rituels conservent, préservent et transmettent l’identité culturelle d’une communauté.

Une dimension politique : Selon l’Encyclopédie critique du témoignage et de la mémoire, les commémorations ont pour rôle « d’affirmer politiquement une identité commune et de transmettre des valeurs aux générations suivantes à travers des mises en scènes, ou théâtralisations du passé. » (Kesteloot C. et coll., 2017). Le mémorial du 9/11 rappellent sa mission par la citation : « Puissent les vies remémorées, les exploits reconnus et les esprits éveillés à nouveau faire figure de guides éternels, en réaffirmant le respect de la vie, en renforçant notre détermination à préserver la liberté et en luttant contre la haine, l’ignorance et l’intolérance. » Cette citation fait écho au discours de George W. Bush devant le Congrès peu après le 11 septembre dans lequel il affirmait que les attentats avaient été perpétrés parce que les terroristes « détestent nos libertés – notre liberté de culte, notre liberté d’expression, notre liberté de voter, de nous réunir et de ne pas être d’accord entre nous. »

Les associations de victimes sont également très actives en suscitant des cérémonies commémoratives, en conseillant les autorités sur l’organisation des hommages officiels, etc.

Les médias participent eux aussi aux commémorations : ils préparent des éditions spéciales, proposent des documentaires et des témoignages sur le sujet, retransmettent les hommages publics, publient des mémoriaux, etc.

Bibliographie

– Clervoy P., Tollet A.-I. (2016). Tous choqués : Vaincre nos peurs après les attentats. Taillandier.
– Garcia P. (2001), Exercices de mémoire ? Les pratiques commémoratives dans la France contemporaine, in Cahiers français, n° 303, juillet-août 2001.
– Jeanneney J-N. (2013), La Grande Guerre si loin, si proche. Réflexions sur un centenaire. Paris : Seuil.
– Kesteloot C. et coll. (2017). Commémorations. Encyclopédie critique du témoignage et de la mémoire. https://www.memoires-en-jeu.com/encyclopedie-critique/
– Rieff D. (2018). Eloge de l’oubli. Editions Premier Parallèle

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