Les signes faisant suspecter une agression sexuelle

Evelyne Josse
Juin 2020
Chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz)
Psychologue, psychothérapeute (EMDR, hypnose, thérapie brève), psychotraumatologue
http://www.resilience-psy.com

Article paru dans le bimestriel EJE Journal, Le journal des éducateurs de jeunes enfant #83, juin-juillet 2020.

Un enfant sur cinq serait victime de violences sexuelles selon le Conseil d’Europe. Un sur cinq. Un chiffre effrayant. Pour aider ces tout-petits, les professionnels de l’enfance peuvent décrypter certains signaux qui, s’ils ne peuvent être considérés comme des preuves irréfutables, sont autant d’indices permettant de comprendre que quelque chose ne va pas. En voici quelques-uns.

Les affaires de pédocriminalité connaissent un traitement médiatique plus important depuis que le mouvement #metoo a donné à la voix des femmes agressées tout l’écho qu’elle méritait. Il s’agit souvent d’agressions anciennes, la victime ayant eu besoin de comprendre ce qui lui était arrivé et de trouver la force de parler. Pour les jeunes enfants, la situation est d’autant plus compliquée que par absence de langage et manque de vocabulaire, ils sont incapables de signaler les agressions dont ils sont l’objet. De plus, leur immaturité ne leur permet pas de différencier le bien du mal, ni de s’opposer aux adultes. La crainte de ne pas être entendus par leur entourage, les sentiments de honte, la peur des représailles, l’impossibilité de recourir aux aides disponibles ou de faire valoir leurs droits sont quelques-unes des causes les conduisant plus grands à taire les violences subies. Et ce, d’autant plus que dans la majorité des cas, la victime connaît son agresseur : plus l’enfant est jeune, plus la probabilité que l’auteur soit un membre de sa famille ou un proche est élevée. Pour qu’une aide adéquate puisse être offerte aux jeunes victimes, il est impératif que les adultes responsables soient en mesure de déceler les agressions.

Les symptômes physiques fortement suspects

Les symptômes listés ci-dessous doivent toujours faire soupçonner une violence sexuelle :
La présence de sperme sur le corps de l’enfant ou sur ses vêtements.
Des lésions au niveau génital, périnéal et anal, des saignements vaginaux et rectaux ainsi que des douleurs pelviennes, génitales ou anales. Soulignons cependant que l’intromission par l’enfant lui-même d’un objet tel un jouet dans le vagin ou l’anus peut provoquer des lésions similaires.
Les infections sexuellement transmissibles pouvant se signaler par des douleurs, une leucorrhée (pertes blanches), des ulcérations, des démangeaisons ou une irritation. Notons toutefois que certains germes peuvent être transmis de la mère à l’enfant in utero, au moment de l’accouchement ou par l’allaitement. La contamination par transfusion sanguine ou par contact avec du sang, des sous-vêtements et des objets de toilette est également possible pour certaines maladies. Un herpès vaginal au-delà de 3 mois, des trichomonas chez un nourrisson de plus de 6 mois, une gonorrhée chez un enfant de plus d’1 an ou des chlamydia après l’âge de 3 ans donnent une quasi-certitude d’abus sexuel. Il en est de même d’une syphilis ou d’un VIH lorsque la mère est séronégative pour ces infections.
Les contusions et les déchirures hyménales sont suspectes surtout si les lésions sont importantes. A contrario, l’absence de déchirure de l’hymen n’exclut pas une agression sexuelle : il peut y avoir pénétration vaginale sans déchirure de l’hymen et violence sexuelle sans pénétration vaginale.

Les signes physiques discrets

Dans de nombreux cas, les maltraitances sexuelles n’entraînent pas de séquelles physiques évidentes. Même lorsque l’on procède à un examen médical immédiatement après l’agression, des dommages corporels ne sont pas systématiquement détectés. En effet, dans la grande majorité des cas, les abus sont commis par des proches sans brutalité. De plus, les violences perpétrées contre les enfants consistent aussi en attouchements, simulations d’actes sexuels et pénétrations buccales.

Certains symptômes incitent néanmoins à envisager l’éventualité d’un abus sexuel en raison du contexte dans lequel ils surviennent. Ils ne sont pas caractéristiques des violences sexuelles et aucun pris isolément n’atteste à coup sûr d’une agression. C’est la répétition, l’accumulation et la permanence d’indices physiques et de signes en rupture avec le comportement antérieur de l’enfant qui permettront de confirmer ou d’infirmer le diagnostic de maltraitance sexuelle. Plus ils sont nombreux, plus le diagnostic est probable et plus les abus sont potentiellement graves et chroniques.
Parmi les symptômes somatiques devant retenir l’attention, citons :
Les manifestations liées à l’agression telles que les douleurs abdominales, les vomissements, la constipation, la diarrhée, la contraction du sphincter anal au cours de la défécation, les troubles urinaires, les douleurs pelviennes, les maux de gorge ou la gêne à la déglutition.
Pour les enfants plus âgés, voire les adolescentes : une grossesse, surtout si elle est mal acceptée, déniée, déclarée tardivement et que le père présumé est absent ou que son identité est gardée secrète ; une demande d’avortement adressée en présence d’un membre masculin de sa famille ; une demande de test VIH, d’un test de grossesse ou de contraception pour une jeune fille pubère surtout si elle émane des parents ou d’un tiers adulte.

Les signes comportementaux

Des signes de souffrance
Après une agression sexuelle, près de 60 % des enfants manifestent des signes de souffrance. L’expression de leur tourment couvre un large éventail de réactions qui s’étendent de troubles discrets à des symptômes intenses. Elle prend des formes diverses selon l’âge de la victime, sa personnalité et ses antécédents, la durée et la fréquence des agressions ainsi que l’identité de l’agresseur et la proximité relationnelle qu’il entretient avec la victime.

Quel que soit son âge, un changement massif du comportement de l’enfant doit inciter d’emblée à envisager l’éventualité d’un traumatisme. L’apparition subite de peurs incontrôlables, de pleurs, d’une tristesse, d’une énurésie, d’une encoprésie, des désordres de l’appétit, de troubles du sommeil ainsi que le désinvestissement d’activités ludiques et de la scolarité sont des signes d’alerte. Soulignons que ces réactions ne sont pas spécifiques des agressions sexuelles et peuvent être manifestées suite à d’autres événements potentiellement perturbants tels que la maltraitance physique ou morale, la négligence grave, un deuil, une séparation familiale, etc. De plus, certains enfants présentent des réactions que l’on peut juger préoccupantes alors qu’ils n’ont pas subi de maltraitance ou d’abus.

Un traumatisme silencieux
Plus de 30 % des jeunes victimes ne manifestent pas de réactions préoccupantes au moment des faits. Les très jeunes enfants ne sont pas en mesure de percevoir la gravité d’un événement, d’apprécier ses enjeux ou d’en prévoir les conséquences. De ce fait, certains ne manifestent aucune réaction et ne semblent pas éprouver d’émotion particulière. À la recherche d’amour, d’affection ou d’attention, animés par la curiosité, ils peuvent accepter l’activité sexuelle avec l’adulte abuseur afin d’obtenir des gratifications affectives. Parfois même, ils recherchent activement ce contact, voire en tirent un certain plaisir1.

Même si leur douleur n’est pas apparente, certains souffrent néanmoins de troubles affectifs profonds et verront leur état psychique se dégrader après un temps de latence de plusieurs mois, voire de plusieurs années.

Les troubles de la conduite sexuelle et les comportements sexuels précoces
Ils doivent dans tous les cas faire suspecter des abus sexuels :
Les mises en scène répétées des aspects de l’agression sexuelle : dessins suggestifs, jeux « papa et maman » ou du « docteur » réalistes ou violents, simulations de rapports sexuels avec des jouets accompagnées de gestes, de bruitages, etc.
Les connaissances sexuelles inadaptées à l’âge ou au degré de développement : mots crus, gestes sexualisés, etc.
Les préoccupations sexuelles excessives : curiosité soudaine portée aux parties génitales des êtres humains ou des animaux, questionnement récurrent sur la sexualité, voyeurisme, allusions répétées et inadéquates à la sexualité, etc.
Les conduites auto-érotiques , parfois compulsives : attouchements des parties génitales, masturbation excessive, y compris en public, introduction d’objets dans le vagin ou l’anus.
Les conduites sexuellement provocantes et exhibitionnistes : comportement séducteur et sexualisé, connotation sexuelle injustifiée attribuée aux attitudes des adultes, harcèlement ou agression sexuelle des adultes ou d’autres enfants.
– A contrario, d’autres enfants manifestent un rejet de tout ce qui touche à la sexualité .

Ces comportements ne constituent pas une preuve irréfutable d’agression sexuelle : les enfants manifestent généralement une grande curiosité sexuelle et à l’adolescence, les bouleversements hormonaux stimulent également cet intérêt. La masturbation, même intensive, est banale avant l’âge de 3 ans. De plus, l’enfant peut reproduire des scènes d’adultes se livrant à des rapports sexuels qu’il a surprises ou vues à la télévision. A contrario, toutes les victimes ne présentent pas ce type de trouble.

Le rapport au corps et à l’hygiène
Certains enfants expriment leur peur que leurs parties génitales soient endommagées, déclarent que leur corps est sale ou se livrent à des rituels de toilette obsessionnels. D’autres, au contraire, refusent d’être changés, craignent la toilette des organes génitaux ou négligent soudainement leur hygiène.

Le rapport à la nudité
Un refus brutal de se déshabiller pour aller se coucher ou de se dévêtir dans des lieux ad hoc (piscine, plage, vestiaire sportif, etc.) et la manifestation soudaine d’une gêne inhabituelle devant un adulte sont également en faveur d’un abus de nature sexuelle.

A contrario, d’autres enfants, parce qu’ils ont appris à construire leurs relations sur base sexuelle, adoptent un comportement provocant et se dévêtent sans gêne dans des situations inconvenantes.

Le rapport aux autres
On doit se poser la question d’une maltraitance lorsque l’enfant refuse soudainement, sans raison apparente ni compréhensible, de côtoyer ou de rester seul en compagnie d’une personne jusqu’alors appréciée ou tolérée ou lorsqu’il déclare abruptement qu’il la déteste.

Une conduite d’évitement ou une peur subite des adultes selon leur genre doit également inciter à envisager un vécu de violence.

Évelyne Josse est psychologue clinicienne.

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Notes et références

  1. Rappelons que la responsabilité de l’activité sexuelle avec l’enfant doit toujours être attribuée à l’adulte, peu importe qui a initié la rencontre et qui en retire satisfaction. En effet, c’est à lui, et non à l’enfant, de discriminer ce qui constitue une transgression aux normes sociales ou morales et de poser les interdits.

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