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Aider les enfants en deuil


Les enfants confrontés au décès brutal d’un proche

Le décès brusque d’une personne affectivement proche est un événement dramatique pour les enfants1. Les relations qu’ils établissent avec leurs figures d’attachement constituent le substrat sur lequel se tissent leurs sentiments de sécurité et de confiance.

La perte brutale d’une personne signifiante peut compromettre gravement leur développement émotionnel et conduire ultérieurement à des troubles de la personnalité. La privation de « tuteur de développement»2 non compensée par des « tuteurs de résilience »3 se révèle d’autant plus pernicieuse qu’elle est précoce.

Les facteurs influençant les réactions au décès d’un proche

La disparition brutale d’un être cher, en particulier au sein de la famille (parent, frère, sœur, grand-parent, oncle, tante, etc.), est une épreuve pour les tout-petits comme pour les enfants plus grands. Toutefois, leurs réactions émotionnelles sont directement tributaires de leur développement et de leur compréhension des événements.

Les nourrissons, qui manquent à la fois de maturité et d’expérience, n’ont pas conscience de la particularité de la mort. Elle s’apparente pour eux à n’importe quelle séparation. Entre trois et cinq ans, les enfants intègrent petit à petit le concept de mort mais ne réalisent pas qu’un décès représente une séparation définitive. Ils croient que le défunt regagnera un jour le foyer ou qu’il « vit » dans un autre monde (d’où il peut les observer, les entendre, etc.). Vers cinq ans, ils saisissent le caractère irréversible de la mort mais non son universalité. Ils l’envisagent pour les adultes, surtout lorsqu’ils sont âgés, mais pas pour eux-mêmes ni pour leurs proches. Entre cinq et huit ans, ils comprennent que toute forme de vie est condamnée à disparaître, y compris la leur. À partir de la préadolescence, ils ont la même compréhension de la mort que les adultes.

Notons que l’éducation, la culture et la religion (croyances de l’entourage en la résurrection, l’immortalité de l’âme, les anges gardiens, etc.) influencent la conceptualisation de la notion de mort et que les expériences vécues (perte d’animaux ou décès antérieurs de connaissances) en accélèrent généralement la compréhension.

Les nourrissons sont principalement affectés par la disparition des personnes qui les maternent (celles qui les nourrissent, les lavent, les accompagnent au moment du coucher, etc.). Les enfants plus grands sont également touchés par la perte des personnes qui s’occupent d’eux (qui jouent avec eux, les bercent, les éduquent, etc.) ainsi que des proches de la famille (frères et sœurs, grands-parents, etc.). En grandissant, ils souffrent aussi du décès tragique d’un ami, d’un condisciple, d’un membre éloigné de la famille, d’un enseignant, d’un voisin, etc.

La réaction d’un enfant au décès d’un proche est également influencée par l’intensité de son attachement au défunt. Pus le lien est fort, plus le deuil risque d’être intense et long. Durant de nombreuses années, les fêtes familiales et les événements significatifs pour l’enfant (anniversaire, réussite d’un cycle scolaire, remise de prix ou de diplômes, etc.) risquent de raviver sa tristesse.

Les circonstances du décès (attendu ou brutal), le niveau de détresse et de désorganisation que la perte entraîne dans l’univers de l’enfant (disparition d’un parent, accueil transitoire dans la famille élargie ou chez des amis, etc.), l’attention portée à ses besoins par son entourage (proches profondément ébranlés par leur propre deuil momentanément incapables d’assurer correctement leurs fonctions parentales, décès de l’adulte de référence, etc.) sont également des facteurs influant sur les réactions à un décès.

Les réactions au décès d’un proche

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Une souffrance silencieuse

Lorsqu’un décès survient, les enfants peuvent exprimer leur souffrance à travers leur comportement et leurs attitudes mais celle-ci peut aussi passer inaperçue.

Certains ne manifestent pas de réactions de détresse et peuvent paraître indifférents au drame. C’est fréquemment le cas des plus jeunes, en dessous de 5 ans.

Les plus grands peuvent adopter des attitudes défensives et contrôler leurs réactions. Ils se retiennent d’exprimer leur chagrin parce qu’ils comprennent intuitivement que l’expression de leur souffrance serait un poids insupportable pour leurs parents fragilisés eux aussi par le deuil. Ils cherchent à protéger les adultes dont ils dépendent et se montrent heureux pour leur redonner le goût de vivre. Ainsi, par certains côtés, les enfants peuvent manifester une maturité supérieure à leur âge. Ils prennent à l’égard de leurs parents un rôle consolateur, d’appui et de présence : ils se « parentifient ».

Les petits enfants en dessous de 3 ans

En dessous de 3 ans, les enfants ne sont pas en mesure de comprendre la gravité de la disparition inopinée d’un proche, raison pour laquelle ils sont très sensibles au vécu subjectif de leur entourage et sont fortement influencés par sa réaction aux événements adverses.

Lorsqu’ils perdent une figure d’attachement essentielle comme une mère ou un père, nombreux sont les bébés qui pleurent et crient parce qu’ils sont désorientés ou effrayés par une situation inconnue. Ils peuvent ensuite manifester des signes de désespoir tels des pleurs monotones et continus, de l’apathie et un désintérêt progressif pour l’environnement (personnes, activités, jeux). S’ils ne reçoivent pas l’attention dont ils ont besoin, ils risquent de développer une dépression grave. Outre les pleurs, possédant peu de moyens d’exprimer leur malaise et leur souffrance, ils les extériorisent principalement à travers leur fonctionnement corporel, en particulier par le biais du sommeil et de l’alimentation.

Les jeunes enfants entre 3 et 6 ans

Confrontés à la disparition prématurée d’un proche, les enfants se tournent instinctivement vers les adultes qui les entourent et s’identifient immédiatement à leurs attitudes et réactions. Leur comportement est donc souvent calqué sur le leur et profondément influencé par ce qu’ils pressentent de leurs attentes.

Les jeunes enfants peuvent traverser une période de choc (refus de croire au décès, insensibilité provisoire, angoisse), puis manifester du chagrin (désespoir, tristesse) et/ou de la colère. Ils alternent souvent hyperactivité (agitation, instabilité motrice, répétition des cris ou des pleurs) et hypoactivité (retrait, apathie, gestes rares et ralentis, conduites répétitives et monotones tels balancements, rythmies auto-agressives, etc.) ainsi que phases d’insouciance apparente et moments de détresse manifeste.

Leur détresse se marque le plus souvent par de l’anxiété. La peur et les angoisses s’expriment souvent avant le chagrin. Dans l’univers des enfants, les adultes semblent tout savoir et sont tout-puissants à les protéger du danger et à assurer leur propre sécurité. Un décès inopiné vient brutalement démentir ce pouvoir absolu. Ayant vu les adultes vulnérables et impuissants, ils en concluent être à la merci de nombreuses formes de danger. À la suite de telles expériences, les jeunes endeuillés perçoivent le monde comme un univers dangereux duquel émane une menace permanente et vivent avec le sentiment que d’autres catastrophes surviendront. Leurs préoccupations portent essentiellement sur leur survie et celle des membres de leur famille (peur de la séparation, des maladies mortelles, des accidents, etc.). Ainsi, lorsqu’ils perdent un parent, ils redoutent de se retrouver orphelins, privés de protection et abandonnés. Un garçon dont le père a succombé d’une maladie livre ses inquiétudes à sa grand-mère : « Maman n’a pas beaucoup d’argent. Comment va-t-on faire sans papa ? » ; une fillette dont le père est décédé dans un accident de roulage demande à sa mère : « Si tu meurs, qui va s’occuper de nous ? ». Il est fréquent que les jeunes enfants réagissent également par un attachement anxieux, une exigence insatiable d’affection et des rapports capricieux avec leurs parents. Craignant que les personnes auxquelles ils sont attachés disparaissent, ils manifestent une anxiété intense ou de la colère lorsqu’ils en sont séparés, ils refusent de rester seuls ou d’aller se coucher et s’agrippent à leurs proches en présence de personnes étrangères. L’angoisse se manifeste également sous forme de crises, d’agitation, de bégaiements ou de tics ainsi que par une exacerbation des peurs infantiles tels que la peur des cambrioleurs, du noir, du loup et des créatures maléfiques.

Une autre manifestation de la détresse des enfants sont les comportements régressifs. D’anciennes habitudes refont surface comme l’incontinence nocturne, la succion du pouce, le balancement machinal ou l’agrippement à un « doudou ». On peut également constater un recul dans l’apprentissage ou une perte d’aptitudes récemment acquises, par exemple, du langage, de la marche ou de l’autonomie. Tous ces comportements sont des moyens adoptés par les enfants pour se réconforter. C’est une manifestation habituelle de leurs angoisses.
Les troubles du sommeil sont eux aussi fréquents chez les enfants perturbés. Ils protestent au moment du coucher, réclament la présence d’un adulte, éprouvent des difficultés à trouver le sommeil, se plaignent d’insomnies, de cauchemars et de réveils anxieux.

Les enfants peuvent manifester leur mal-être en se montrant agressifs, voire violents. Ces comportements agressifs peuvent être tournés contre eux-mêmes, par exemple, s’arracher les cheveux, se griffer, se cogner la tête contre les murs, etc. ou être tournés vers autrui, comme par exemple, mordre, tirer les cheveux, griffer, frapper, distribuer coups de pied et de poing, lancer des objets en direction d’autrui, etc.

Outre ces réactions, les enfants éprouvent fréquemment des sentiments de culpabilité excessifs ou inappropriés. Confrontés au décès tragique d’un être cher, ils s’interrogent généralement sur leur implication. Ces sentiments de culpabilité peuvent être particulièrement intenses entre deux et sept ans, lorsque les enfants, au stade de l’intelligence préopératoire (Piaget, 1975), accordent des pouvoirs magiques à la pensée et recourent à leur imagination pour expliquer ce qu’ils ne sont pas en mesure de comprendre. Ainsi, ils peuvent être convaincus que le malheur qui les accable leur est infligé pour sanctionner leur comportement (il n’a pas obéi, il n’a pas été sage, il n’a pas été gentil, il n’a pas été suffisamment aimant, etc.) ou leurs pensées coupables (par exemple, il a souhaité la mort du défunt dans un moment de colère).

Les enfants entre 6 à 12 ans

Plus l’enfant grandit, plus il est apte à percevoir et à comprendre le drame de la disparition d’un être cher, d’en apprécier les enjeux et d’en prévoir les conséquences.
Les plupart des réactions décrites pour les petits de trois à six ans s’appliquent aux grands enfants et aux préadolescents.

Plus que leurs cadets, les grands enfants et les préadolescents manifestent de l’irritabilité, de la colère et de l’agressivité envers autrui, expriment des idées de vengeance et s’adonnent à des jeux violents avec leurs camarades. Plus fréquemment également, ils manifestent des symptômes dépressifs et éprouvent des sentiments de culpabilité. À partir de six ans, peuvent apparaître des idées suicidaires et des questionnements sur la mort ainsi que des conduites destructrices (automutilation, ingestion volontaire de produits toxiques ou d’objets dangereux, jeux d’évanouissement, etc.).

En grandissant, les jeunes orphelins de père ou de mère peuvent avoir la sensation d’être différents de leurs camarades. Certains sont persuadés que leur différence est visible et qu’elle les exclu de la communauté des enfants « normaux ». Ils en éprouvent de la honte, ils fuient le regard d’autrui qu’ils perçoivent comme menaçant et persécuteur, ils deviennent agressifs et se replient sur eux-mêmes.

Comment faire face aux réactions de deuil d’un enfant ?

Voici quelques conseils susceptibles de vous aider à soutenir votre enfant endeuillé.4

Vous êtes triste

Vous êtes vous-même affecté.e par le décès. Vous avez le droit d’être triste et vous avez le droit d’être triste devant votre enfant car il n’y a pas davantage de raison de se cacher pour pleurer que de se cacher pour rire. En vous autorisant à être triste, vous autorisez votre enfant à l’être aussi. C’est une forme de permission que vous lui donnez de reconnaître ses propres émotions et de les exprimer.

Inutile de taire vos émotions pour protéger votre enfant ; il ressent votre désarroi et votre douleur. Ne pas lui en signifier la cause, c’est courir le risque qu’il s’attribue l’origine de cette souffrance.

Vous avez le droit d’être triste mais vous devez en expliquer la raison avec des mots simples adaptés à l’âge et à la maturité de votre enfant. Outre les explications concernant l’objet de votre tristesse, vous devez préciser que cette émotion est transitoire et non un état permanent. Vous devez ajouter qu’il ne peut rien faire pour apaiser cette tristesse. Il n’en est pas responsable, pas plus dans sa genèse que dans sa résolution. Si vous ne pouvez en expliquer la raison immédiatement car vous êtes débordé émotionnellement, il est important que vous lui disiez : « Je suis malheureux, je suis triste. Grand-père est mort. C’était mon papa. Je l’aimais beaucoup. C’est normal d’être triste. Ça s’apaisera avec le temps. Je ne suis pas capable d’en parler maintenant mais dès que je le pourrai, j’en parlerai avec toi ».

Si vous ne parvenez pas à faire le deuil du défunt, votre enfant ne le pourra pas non plus. Pensez à vous faire aider par un professionnel de la santé mentale ou par une association pour endeuillés.

Parlez du décès

Quel que soit l’âge de l’enfant, faites-lui part du décès. Vous croyez peut-être préférable de lui dissimuler la vérité afin de lui épargner la peine que va lui infliger cette nouvelle. Sachez cependant que c’est en lui offrant la possibilité de vivre son deuil que vous l’aidez réellement. Expliquez-lui les événements d’une manière simple, honnête et adaptée à son âge. Si votre enfant a déjà été confronté à la mort (décès d’un grand-parent, d’un animal domestique, etc.), vous pouvez partir de cette expérience pour lui expliquer la situation. Donnez-lui ensuite la possibilité de poser des questions.

Si vous ne vous sentez pas capable d’annoncer vous-même le décès, demandez à une personne de l’entourage, investie affectivement par l’enfant et susceptible de le soutenir (parent, membre ou ami de la famille).

Informez-le du décès dans les plus brefs délais. Votre enfant peut perdre confiance en vous s’il apprend que vous lui avez dissimulé la vérité plusieurs jours ou plusieurs semaines.

Expliquez le caractère définitif de la mort : le corps a cessé de fonctionner pour toujours. Dites, par exemple : « Grand-papa ne reviendra jamais. C’est impossible. Il ne le peut pas et personne ne peut le faire revenir ». Dans les mois suivant le décès, si l’enfant est âgé de 3 à 5 ans, il vous demandera peut-être à plusieurs reprises quand il reverra le défunt. Vous devrez répéter que la personne est décédée et que cela signifie qu’elle ne reviendra jamais.

Si vous possédez des informations réconfortantes sur les derniers instants du défunt, faites-en part et dites, par exemple : « Ton papa n’a pas souffert », « Ton grand-père était âgé/malade/handicapé. Il a eu une longue vie et il a bien vécu/il a eu une vie bien remplie. ». En tout état de cause, vous pouvez lui dire que lorsqu’une personne est morte, elle ne souffre pas/plus.

Si votre enfant demande : « Pourquoi est-il/elle mort.e ? ». Répondez-lui le plus honnêtement possible. Parlez de la pathologie, de l’accident, du suicide, de l’homicide, etc. Rappelez-vous que les grands enfants manient internet avec beaucoup d’habileté et risquent de chercher des informations sur la toile s’ils ressentent que vous leur cachez la vérité. Si vous n’avez pas de réponse et que vous êtes vous-même plongé.e dans la perplexité, faites-lui en part : « Je ne comprends pas non plus pourquoi ta maman s’est suicidée. C’est difficile de comprendre qu’une personne puisse mettre fin à sa vie, même pour moi qui suis adulte », « Pour moi aussi, c’est incompréhensible que ton papa qui était en bonne santé ai succombé à une crise cardiaque ».

Les enfants posent souvent la question de ce qu’il advient du défunt après sa mort. Il est difficile de répondre aux questions relatives au sort d’un disparu (par exemple, l’endroit où il va). Restez fidèle à vos croyances et aux traditions familiales mais soyez conscient.e que les métaphores que vous utilisez peuvent être prises au pied de la lettre. Evitez de dire que le défunt est parti en voyage sans quoi votre enfant pourrait attendre son retour, vous demander de partir à sa recherche, craindre de voyager ou bien encore se montrer anxieux lorsqu’un être cher part en vacances. De plus, s’il aime voyager, la mort pourrait lui sembler attrayante et attirante. Abstenez-vous également de déclarer que l’être cher s’est endormi pour toujours car votre enfant pourrait manifester des angoisses au moment du coucher. Dans nos sociétés, il est fréquent de dire que les défunts sont au ciel. Expliquez qu’il s’agit d’une image sinon votre enfant risque de l’entendre au sens littéral. Ainsi, un garçonnet refusait de prendre l’avion car il craignait d’entrer en collision avec son grand-père ; un autre désirait ardemment prendre un vol dans l’espoir de croiser son père au-dessus des nuages. Les adultes n’ont pas de réponse à toutes les questions. Sur la mort et sur ce qui se passe après, il n’y a pas de réponses toutes faites. Tout est question de croyance. Il est important de reconnaître que sur certains sujets, il n’existe pas de vérité universelle et que les adultes ne savent pas tout et ne partagent pas tous les mêmes opinions. Vous pouvez dire : « Voilà ce que moi j’en pense/ce que je crois. ». Vous pouvez également exposer les positions défendues par d’autres. Ouvrez la discussion et demandez à votre enfant quelles sont ses convictions.

Si votre enfant vous demande si vous allez mourir vous aussi, répondez-lui que tous nous sommes mortels mais que vous êtes prudent.e et que vous prenez soin de vous afin de vivre longtemps et de mourir après que lui-même soit devenu adulte. Rassurez-le sur le fait qu’une personne de confiance qu’il affectionne le prendra en charge s’il devenait orphelin et désignez-la-lui.

Certains enfants posent de nombreuses questions sur le décès de son proche et/ou sur la mort, d’autres non. Si le vôtre ne vous interpelle pas, allez vers lui et demandez-lui s’il a des questions.

Parlez du décès mais pensez également à parler du défunt. Remémorez les moments agréables que l’enfant a passé avec lui ; relatez ce que cet être cher lui a fait découvrir, ce qu’il lui a appris ou enseigné (rouler à vélo, cuisiner, l’intérêt pour la nature, etc.). Evoquer également ce que l’enfant a apporté au disparu (de la joie, du bonheur, des rires, de l’émerveillement, etc.) et en quoi il a contribué à rendre sa vie plus riche ; mentionnez ce qu’il appréciait chez l’enfant, ce qu’il aimait partager avec lui, etc.

Écoutez et encourager l’expression des émotions

Il est important d’écouter les enfants et de les encourager à exprimer leurs craintes, leurs émotions et leurs réflexions. Les adultes sont parfois réticents à évoquer des situations douloureuses de crainte d’angoisser leurs enfants et d’induire des troubles chez eux. La meilleure façon de les aider à surmonter leurs peurs, leurs angoisses et leur chagrin est de les encourager à les exprimer. Expliquez à votre enfant qu’il est normal de se sentir triste ou en colère lorsqu’on perd un être cher. Soyez à son écoute et répondez à ses questions. Après avoir parlé du défunt et de la mort, il est essentiel de revenir à la réalité quotidienne et de ramener l’enfant à la routine rassurante : il est l’heure de dîner, de faire les devoir, etc.

Si l’enfant se culpabilise de la mort du défunt, rassurez-le sur le fait qu’il est innocent de la tragédie, quoi qu’il puisse se reprocher. Les désobéissances, les bêtises et les mauvaises pensées n’ont jamais tué personne. Si ces explications sont insuffisantes à apaiser sa culpabilité, discutez avec lui pour comprendre en quoi il se sent fautif. Cette culpabilité peut être comprise comme étant un effort cognitif adaptatif visant à donner sens à l’événement et à s’en réapproprier la maîtrise (« Je suis coupable, car je me suis comportée de manière inadéquate. À l’avenir j’éviterai ce type d’attitude ou de comportement et plus rien de dommageable n’adviendra »).

« Comment a-t-il pu mourir alors que j’avais besoin de lui ? », « C’est injuste qu’il soit mort maintenant », « Je vais le venger » sont autant de réflexions qui traduisent la colère des enfants vis-à-vis du défunt lui-même, du sort ou de l’auteur du drame (par exemple, le conducteur responsable de l’accident mortel, le porteur transmetteur du virus). Normalisez ces sentiments. Laissez-les exprimer leur colère mais réprouvez énergiquement tout passage à l’acte violent.

Il ne faut jamais forcer les enfants qui refusent de parler ou d’entendre parler du décès et qui le manifestent clairement, par exemple en se bouchant les oreilles dès que le nom du défunt est prononcé. Refuser d’affronter le sujet est un moyen pour eux de se défendre contre les émotions violentes. Laissez-leurs quelques jours pour intégrer progressivement les événements puis revenez vers lui. S’il persiste dans son refus, soyez attentif à tout changement dans son comportement tel qu’anxiété, troubles du sommeil, comportements régressifs, agressivité, perte de plaisir à jouer, etc. Il faut éviter de psychiatriser hâtivement mais si ces signes perdurent au-delà de deux ou trois semaines, pensez à consulter un professionnel, psychologue ou pédopsychiatre.

Les rituels de deuil

Expliquez à votre enfant l’importance des rituels de deuil et leurs différentes fonctions : reconnaître la réalité du décès, rendre hommage et dire adieu au défunt et recevoir le soutien de l’entourage. Il est important que votre enfant participe aux rituels de deuil. S’il le souhaite et que la situation l’autorise, il devrait pouvoir assister aux funérailles. Renseignez-le précisément sur la manière dont elles vont se dérouler (en fonction de la situation : rassemblement de personnes éplorées, office religieux, cimetière, ensevelissement, crémation, dispersion des cendres, etc.). Les enfants peuvent être effrayés s’ils sont surpris par les pratiques rituelles ou par leur déroulé. Par exemple, une petite fille s’est mise à hurler lors de l’inhumation de sa grand-mère car elle ignorait que le cercueil serait recouvert de terre. Les obsèques ne constituent pas l’unique rituel de deuil. Si votre enfant refuse de vous y accompagner ou si les circonstances l’en empêchent, inventez ensemble une cérémonie d’adieu qui l’aidera dans son processus de deuil : composez avec lui un bouquet de fleurs, proposez-lui de préparer un dessin à placer dans le cercueil, organisez ultérieurement une visite au cimetière, lâchez ensemble une lanterne volante dans le ciel, plantez un arbre à la mémoire du défunt, etc.

Dans les jours, les semaines ou les mois suivant le décès, vous pouvez offrir à votre enfant un objet personnel du disparu, choisir avec lui une photo du défunt et la faire encadrer, réaliser un album de photos-souvenirs, etc.

Le contact avec les défunts

De nombreux endeuillés témoignent être entrés en contact avec un proche décédé. Les scientifiques les plus prudents parlent de VSCD, Vécu Subjectif de Contact avec un Défunt, mais d’autres n’hésitent plus à parler de CAD, Communication Avec les Défunts. La foultitude de témoignages émanant de personnes saines d’esprit ne permet plus de nier l’existence de ces phénomènes, aujourd’hui largement étudiés. Tout comme les adultes, les enfants rapportent avoir vu ou entendu l’être aimé disparu. Généralement, pour les petits, ces rencontres sont bien réelles. Ils n’interrogent pas la réalité de la perception expérimentée parce qu’ils sont loin de se douter que ces phénomènes soulèvent l’incrédulité dans notre société rationnelle, scientifique et matérialiste.

Si pour certains, ces rencontres sont naturelles et positives, il est toutefois fréquent qu’elles provoquent l’épouvante. Par exemple, après le décès de sa sœur, un petit garçon de 10 ans a refusé de dormir dans sa chambre après que la défunte lui soit apparue au pied du lit.

Si votre enfant témoigne de ce type d’expérience, soyez à son écoute. Même si vous êtes sceptique et que le côté irrationnel de ses propos vous agace, rappelez-vous qu’il s’agit pour lui d’un vécu authentique, intime et puissant émotionnellement. Restez patient.e. Ne vous moquez pas de lui et ne le rabrouez pas en le traitant de menteur ou d’affabulateur. Si vous tenez absolument à lui faire part de votre position matérialiste, signifiez-lui que de nombreuses personnes dans le monde croient à la survivance de l’esprit et connaissent des expériences similaires à la sienne. S’il est angoissé, apaisez-le, dites-lui que le défunt lui rend visite parce qu’il l’aime et qu’il ne veut aucunement l’effrayer. Assurez-lui que cet être cher veille sur lui et le protège.

La peur de mourir

L’enfant endeuillé peut manifester la crainte de mourir ou redouter la disparition d’autres proches. Le décès d’une personne significative peut le renvoyer à la peur de vous perdre. Souvent, pour les enfants, la mort est comme une maladie contagieuse que lui-même et son entourage peuvent contracter. Dans le cas du coronavirus, la confusion est plus forte encore. Reconnaissez qu’il est normal d’avoir peur de la mort et des maladies mortelles. Toutefois, vous devez pouvoir rassurer votre enfant et ramener le risque mortel à sa juste valeur. Même si nul ne peut être certain de l’avenir et prémunir ses proches des aléas de la vie, il est important que vous rassuriez votre enfant et que vous lui disiez que les adultes sont là pour le protéger. Les gestes d’affection des parents tels que câlins et bisous sont une manière complémentaire de le réconforter.

Les enfants entendent parler des accidents de voiture, de trains, d’avions, d’attentats, de cancers, de crise cardiaque, etc. La mort peut frapper à tout moment. C’est une réalité et il ne faut pas la nier. Prendre conscience de cela et l’accepter fait partie du fait de grandir. À partir de 8-9 ans, l’enfant découvre peu à peu, qu’il est impossible de se prémunir de la mort quelles que soient les précautions prises. Il est important de reconnaître qu’il existe une part de notre existence qui ne peut être maîtrisée et les adultes, par un comportement confiant et rassurant, doivent montrer à l’enfant qu’il est tout à fait possible de vivre avec cette donnée.

L’enfant angoissé

Si votre enfant présente des signes évidents d’angoisse, vous devriez éviter d’être séparés de lui durant un long moment, du moins dans un premier temps. Si vous devez vous absenter, vous devriez le prévenir (« Je dois partir mais je reviendrai ce soir. X va rester avec toi »). Lorsque vous ne comptez pas réintégrer le foyer le jour même, informez-le de votre départ la veille ou l’avant-veille et assurez-lui que vous reviendrez. Durant votre absence, il est important de le confiiez à des personnes de confiance.

Si votre enfant se montre anxieux en votre présence, impliquez-le dans une activité ludique ou scolaire et confiez-lui une occupation mobilisant son esprit ; les craintes sont ainsi dérivées vers une activité salutaire.

L’absence de manifestations de chagrin

Les adultes sont souvent déconcertés lorsqu’un enfant semble indifférent au drame qui le frappe, en particulier dans le cas du décès d’une mère, d’un père, d’une sœur ou d’un frère. En l’absence de signes évidents de souffrance, ils sont généralement persuadés que leur enfant va bien et qu’il n’a pas conscience de la gravité des événements. Par conséquent, ils négligent son besoin de soutien. Même si votre enfant ne manifeste pas de tristesse ni d’autres signes de mal-être, rappelez-vous qu’il n’en vit pas moins un deuil. En aucun cas, l’absence de symptômes ne signifie qu’il n’est pas éprouvé, qu’il n’a pas besoin d’aide ou qu’il ne présentera pas ultérieurement des troubles. Ne vous laissez pas piéger par cette apparente insouciance. Allez vers lui, parlez-lui et restez attentif/ve aux signes qui pourraient signaler de l’angoisse tels que cauchemars, énurésie nocturne, peur de quitter le domicile ou les parents, etc. Pour ces enfants-là, il faudra vous montrer présent.e et ouvert.e lorsqu’ils seront prêts à poser des questions.

Les responsabilités

Ne demandez pas à l’enfant d’endosser la responsabilité de prendre soin d’une personne endeuillée. Rappelez-vous que c’est aux adultes à prendre soin des enfants et non l’inverse. Trop souvent, on entend dire : « Tu dois être très gentil avec ta grand-mère parce qu’elle a beaucoup de peine depuis la mort de papy » ou « Ton papa est mort, c’est maintenant toi l’homme de la maison. Ta maman compte sur toi », « Ta maman n’est plus là. Tu vas devoir être bien sage. C’est toi la grande. Tu vas devoir aider ton papa et bien t’occuper de ta petite sœur ».

Retrouvez une routine quotidienne

La mort d’un proche perturbe les repères des enfants Retrouver une routine quotidienne les aide à récupérer d’événements perturbants. La stabilité offerte par la famille permet d’annihiler l’impression de chaos qu’ils ont du monde des adultes. Réinstaurer les habitudes propres à la vie familiale ou scolaire contribue à créer un sentiment de continuité et de sécurité. Se lever, se coucher et manger à heures régulières, participer aux activités scolaires et fréquenter des compagnons de jeux sont des activités réconfortantes pour les enfants.

Bibliographie

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Hanus M. (2001). Le deuil de ces tout-petits enfants. Études sur la mort, no 119(1), 7-15. doi:10.3917/eslm.119.0007.

Hasevoets J.-H. (2008). « Le deuil, la mort et l’enfance : les vicissitudes d’un chantier psychique » in Traumatismes de l’enfance et de l’adolescence : un autre regard sur la souffrance psychique. De boeck

Josse E. (2011). Comment faire face aux réactions de deuil d’un enfant ? http://www.secunews.be, le 07 mars 2011

Josse E. (2011). Décès brutal d’un proche : les réactions des enfants et adolescents. http://www.secunews.be, le 28 février 2011

Josse E. (2ème éd. 2019), Le traumatisme chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent, de Boeck

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Romano H. (2007). L’enfant face à la mort. Études sur la mort, 131(1), 95-114. doi:10.3917/eslm.131.0095.

Articles de la série

Josse E. (2020). Le deuil chez la personne âgée au temps du coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article424

Josse E. (2020). Aider les enfants en deuil. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article430

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Evelyne Josse5

2020

Chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz)
Psychologue, psychothérapeute (EMDR, hypnose, thérapie brève), psychotraumatologue

Documents joints

Notes et références

  1. Le deuil chez l’adolescent ne sera pas abordé dans le présent article et fera l’objet d’une publication ultérieure.
  2. Selon l’expression de Boris Cyrulnik.
  3. Selon l’expression de Boris Cyrulnik.
  4. Ce paragraphe ne décrit pas les réactions d’un enfant à un deuil de manière exhaustive. Pour des plus amples, informations, nous renvoyons à l’ouvrage de l’auteur : Josse E. (2ème éd. 2019). Le traumatisme chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent. de Boeck.
  5. Evelyne Josse s’est spécialisée dans les psychothérapies du traumatisme psychique et du deuil. Elle enseigne ces thématiques à l’université en Belgique et en France (DU) et forme des hypnothérapeutes à la prise en charge des patients traumatisés et endeuillés.