Infodémie : le coronavirus à l’épreuve des fake news et des théories complotistes

Evelyne Josse1, 2020

Chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz)
Psychologue, psychothérapeute (EMDR, hypnose, thérapie brève), psychotraumatologue

http://www.resilience-psy.com

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  • Le monde est complexe et certains préfèrent que ce soit faux mais simple (Erik Orsenna)

Dans le décours d’un malheur collectif, quel qu’il soit, catastrophes naturelles (par exemple, séisme, tsunami), accident technologique (par exemple, accident d’une usine chimique ou d’une centrale nucléaire), guerres, attentats terroristes, épidémies mortelles, etc., les fake news et les théories conspirationnistes naissent quasi inévitablement au sein des populations inquiètes. Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé, dans une communication datée du 2 février 2020 nomme infodémie la pandémie d’infox au sujet du coronavirus.

Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle important dans la création et la diffusion de ces fausses informations. Les situations de crise déclenchent de nombreux échanges d’informations. Plus le volume d’information échangé est important, plus le risque de nouvelles erronées et de rumeurs s’accroit. Et celles-ci enflent rapidement…

Les fake news

Le terme anglophone « fake news », davantage usité que sa traduction française de fausses nouvelles, désigne des informations trompeuses.

Les informations erronées

Face à l’absence de vaccins et de traitements pharmacologiques efficaces, les recettes de potions miracles censées prémunir ou guérir de l’infection deviennent légion sur les réseaux sociaux. Les internautes proposent des recettes de grand-mère inoffensives (par exemple, infusion de fenouil, ail bouilli) mais également des solutions discutables voire dangereuses (whisky chaud additionné de miel, boissons alcoolisées, cocaïne, etc.). Ainsi, en Iran, selon l’agence officielle Irna, 44 personnes sont décédées après avoir ingéré de l’alcool frelaté suite à une rumeur prétendant que l’alcool aide à guérir du covid-19 (le Nouvelliste, 2010).

Qui sont les instigateurs de ces remèdes farfelus? Des personnes anxieuses, bien intentionnées, persuadées qu’elles détiennent des informations essentielles. Parce qu’elles éprouvent le besoin de protéger leur communauté, elles les propagent sans questionnement sur leur validité et sans vérification.

Les promesses et les punitions infondées

Le 4 mars, une enquête a été ouverte sur une Église évangélique brésilienne. Sur les réseaux sociaux, la Cathédrale Globale de l’Esprit Saint de Porto Alegre promettait à ses fidèles « une onction avec de l’huile consacrée pendant le jeûne pour immuniser contre tout épidémie, virus ou maladie » (Le Quotidien, 2020). David Kingleo Elija, un prédicateur évangélique nigérian de l’église du Mont Glorieux de la Possibilité, prétend lui aussi pouvoir guérir le virus.

D’autres leaders religieux voient dans l’épidémie un fléau infligé à l’humanité pour la punir de ses agissements. Par exemple, le 8 mars 2020, en Israël, le rabbin Mazuz a provoqué l’indignation en déclarant que le coronavirus est causé par la « prolifération de l’homosexualité » (Le Courrier du soir, 2020). Dans la même veine, le pasteur Rick Wiles affirme que les transsexuels et les « saletés » diffusées à la télévision sont responsables du covid-19.

Ces déclarations mensongères sont le plus souvent le fait d’opportunistes qui opèrent ainsi une récupération idéologique de l’épidémie. Ils profitent du désarroi de la population pour ramener des fidèles dans leur giron voire, possiblement pour tirer des bénéfices financiers des crédules qui recourent à leurs soins.

Les informations délibérément trompeuses

Certaines personnes diffusent des informations truquées sur les réseaux sociaux dans le but d’entretenir un climat de peur, d’attiser la haine ou de faire le buzz. Par exemple, le 5 mars 2020, un avion de la compagnie canadienne Westjet en route vers la Jamaïque a été contraint de rebrousser chemin après que James Potok a clamé avoir contracté le coronavirus lors d’un voyage en Chine. L’homme de 28 ans a déclaré qu’il voulait créer une vidéo virale (Radio Canada, 2020).

Ces alertes malveillantes peuvent également être le fait de déséquilibrés mentaux. Parfois, elles sont initiées par des adolescents qui trouvent dans les événements actuels une opportunité de manifester leur mal-être, de se frotter aux limites ou de gagner en popularité auprès de leurs pairs.

Les théories du complot

Le complotisme est un phénomène social important. Les thèses complotistes circulent depuis plusieurs décennies mais internet leur offre aujourd’hui un moyen de diffusion rapide et démultiplicateur. D’une manière générale, elles trouvent un écho de plus en plus important au sein de la population et touche particulièrement les jeunes (Huchon, 2015).

Voici quelques-unes des thèses complotistes populaires et pérennes : le président John Fitzgerald Kennedy a été assassiné par la CIA, les premiers pas de l’homme sur la lune sont une pure invention de la NASA, le décès de Lady Diana dans un accident de roulage est un assassinat maquillé, le sida a été créé en laboratoire par le gouvernement américain, la nocivité des vaccins est sciemment cachée au grand public par le ministère de la Santé de mèche avec l’industrie pharmaceutique, les attentats du 11 septembre 2001 n’ont pas été menés par Al-Qaïda mais par l’administration du Président Bush elle-même pour justifier ses interventions militaires au Moyen-Orient et ses mesures sécuritaires anti-terroristes.

En janvier 2018, un sondage de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et l’observatoire Conspiracy Watch montre que 79 % des Français croient à au moins une théorie du complot, 61 % à au moins deux, 47 % à au moins trois, 34 % à au moins quatre, 25 % à au moins cinq, 19 % à au moins six et 13 % à au moins sept (Ifop, 2017). Un sondage réalisé à l’automne 2016 par l’institut Odoxa révèle que 65 % des Français considèrent qu’on leur a caché quelque chose sur l’attentat du 11 septembre. Ce sentiment est plus marqué encore chez les moins de 25 ans, au point de concerner 75 % des interrogés (Odaxa, 2016).

En ce qui concerne le coronavirus, il serait une création des laboratoires pharmaceutiques avides d’engranger des bénéfices substantiels en proposant des traitements et des vaccins. Depuis plusieurs années, l’industrie pharmaceutique est diabolisée par les complotistes qui font d’elle une cible privilégiée (théorie du complot connue sous le nom de Big pharma). Selon l’Ifop, 55% des Français soupçonnent le ministère de la Santé de collusion avec les laboratoires pharmaceutiques pour dissimuler la nocivité des vaccins (Ifop, 2017). Une autre rumeur affirme que le covid-19 est une arme biologique créée par la CIA pour éradiquer une partie de la population chinoise.

Les théories du complot peuvent être le fait de meneurs ou de zélateurs de groupuscules qui ont intérêt à créer ou à maintenir un climat de peur ou de doute à l’égard des autorités, de l’État, du système économique, etc.

Les facteurs favorisant les théories du complot

La défiance à l’égard des dirigeants
En Italie, la population entière est confinée, en France des régions sont mises en quarantaine, en Belgique la population circule librement. Dans l’Oise, parce que les concentrations de population doivent être évitées, un marché en plein air est évacué alors que les clients poursuivent librement leurs achats en milieu confiné dans la surface commerciale située de l’autre côté de la rue (Europe1, 2020) ; de grands événements sportifs sont maintenus alors que d’autres moins populeux sont annulés. La disparité des décisions politiques prises pour éviter la propagation du covid-19 par les pays européens et au sein d’un même État, dans les différentes régions, plonge les populations dans la perplexité. L’hétérogénéité des mesures laisse penser que les autorités sont incapables de maîtriser l’épidémie et font suspecter qu’elles dissimulent leurs intentions réelles au grand public.

En 2016, le baromètre Edelman a signalé que plus de la moitié de la population mondiale n’accorde pas sa pleine confiance à ses institutions démocratiques (Edelman, 2016). L’effondrement de l’économie, l’injustice sociale, la montée des inégalités, les crises financières, les abus de biens sociaux et la corruption, la crise migratoire, les crises écologiques et environnementales contribuent à altérer la confiance des citoyens. Aux États-Unis, les théories du complot, marginales dans la vie politique des premières années post-11 Septembre, ont vu leur popularité croître corrélativement à l’impopularité de Bush et de la guerre en Irak. Leur influence a régressé, sans toutefois disparaître, à la fin de l’administration Bush. Cet exemple illustre bien le fait que la suspicion à l’égard des autorités créée les conditions favorables au complotisme et lui permet de gagner des adeptes en cas de troubles ou de tragédies.

La défiance vis-à-vis des médias officiels
A chaque grande crise, quelle qu’elle soit, les critiques, justifiées ou non, fusent quant à la gestion médiatique de la situation. Les médias se retrouvent irrémédiablement en position d’accusés. On les tient pour responsables de l’amplification du climat de peur, on leur reproche d’avoir paniqué l’opinion publique par la multiplication de nouvelles alarmantes ou sensationnalistes, on met en doute la réalité du danger, on les soupçonne d’être de mèche avec les politiques et d’utiliser la menace pour étouffer les affaires qui empoisonnent le pouvoir, etc. Les différents scandales sanitaires, politiques, sociétaux, économiques et financiers des dernières années ont altéré la confiance envers ceux qui délivrent l’information officielle. A contrario, si les médias font preuve de modération dans leurs propos, si plusieurs jours passent sans véritable nouvelle, on les suspecte de retenir des informations pour ne pas inquiéter la population ou pour d’autres raisons obscures. Par ailleurs, plongés dans le maelstrom d’une crise, les médias livrent parfois des informations inexactes. Le rythme de l’information en continu pose des problèmes particuliers : vacuité de nombre de témoignages, recours à des experts autoproclamés, reprises de rumeurs. L’impression d’un manque de transparence nourrit le sentiment que les médias cachent ou travestissent la réalité. L’impression d’être trompé, manipulé et désinformé par les institutions est un terreau fertile pour les thèses complotistes. En effet, la peur et la méfiance sont les deux facteurs principaux prédisant l’adhésion à de telles théories.

Théories du complot et épidémie du covid-19

Les nombreuses chaînes télévisées diffusent les mêmes images, les mêmes commentaires ; les médias ânonnent. Sur internet, d’autres informations, celles des complotistes, circulent. Elles expliquent des détails inexpliqués et éclaircissent des zones d’ombre. Les explications ainsi diffusées sont séduisantes ; elles donnent un sens, elles fournissent une logique unificatrice et répondent à un besoin de cohérence en transformant et en insérant les éléments chaotiques, déroutants et angoissants dans un schéma compréhensible. Pour Hannah Arendt, les théories du complot répondent à un besoin des foules qui « ne font confiance ni à leurs yeux ni à leurs oreilles, mais à leur seule imagination, qui se laissent séduire par tout ce qui est à la fois universel et cohérent en soi-même » (Arendt, 2005). De plus, les arguments déployés par les promoteurs du complot sont parfois subtils et techniques, ce qui tout à la fois leur confère l’allure d’une vérité scientifique et les rendent difficiles à réfuter pour la majorité des citoyens. Au côté rassurant que procure le fait de comprendre s’ajoute la fierté de ne pas s’en être laissé compter, de ne pas être un mouton, d’être au-dessus de ceux qui croient tout ce que les médias leur disent. Le diable se cache dans les détails et c’est précisément aux détails que s’attachent les complotistes. Ils s’emparent d’indices minimes, non significatifs pris individuellement, mais qui, réunis, créent une théorie divergente de la thèse officielle. Bien que les autorités et les médias officiels s’appliquent à déconstruire ces théories fallacieuses, elles continuent souvent longtemps d’avoir leurs partisans.

À force d’être répétées, ces thèses complotistes forgent la manière dont leurs adeptes perçoivent la réalité. Elles les entraînent dans un monde où l’insécurité réelle ou imaginaire, la manipulation, les machinations et les complots sourdent de toutes parts. Leur besoin de sécurité les pousse à chercher de l’information mais paradoxalement, celle-ci, lorsqu’elle est brute et sans analyse ou tronquée, entretient leur angoisse.

Des théories pérennes

Bien que les experts, les autorités, les scientifiques et les journalistes invalident de nombreuses thèses complotistes, elles continuent de faire des émules. Ainsi, dix-sept ans après les attentats du 11 septembre, les théories du complot convainquent encore, tant en Amérique qu’en Europe. La démonstration de l’irrationalité d’une information faite par les médias officiels peut ramener certains internautes à la raison mais pour les irréductibles de la théorie du complot, le démenti apporté par la voix même accusée de mentir ne fera que valider et renforcer leur conviction que l’information erronée est véridique. Pour Normand Baillargeon, auteur de l’ouvrage Petit cours d’autodéfense intellectuelle, ceux-là font preuve de « dénialisme », c’est-à-dire d’un « raisonnement destiné à appuyer une conviction à laquelle on adhère d’abord, plutôt qu’un examen impartial des faits destiné à établir ce qui est vrai ou le plus probable » (Baillargeon N., Charb, 2005). Cette attitude est un biais cognitif, appelé biais de confirmation d’hypothèse, qui consiste à accorder davantage de poids aux preuves qui confirment les croyances de départ.

Internet et les contre-vérités

Les médias réfléchissent à la manière de traiter des sujets aussi sensibles et complexes que celui d’une épidémie mortelle. Toutefois, dans la façon de consommer l’information aujourd’hui, on ne peut ignorer les nouveaux moyens de communication : sites, blogs, réseaux sociaux, SMS, etc. L’information est diffusée rapidement et partout dans le monde. Le réseau informatique agit comme une caisse de résonance des informations erronées, des contre-vérités et des théories conspirationnistes. Les gens transfèrent l’information en la modifiant ou sans en vérifier l’authenticité. Les jeunes sont particulièrement vulnérables car internet et les réseaux sociaux sont leur principale source d’information.

Articles de la série

Josse E. (2020). Le deuil chez la personne âgée au temps du coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article424

E. (2020). Ces adolescents qui bravent le confinement. Pistes de réflexion. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article423

Josse E. (2020). Sur le front d’une guerre biologique. La santé mentale du personnel hospitalier face au coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article422

Josse E. (2020). Enfants et adolescents confinés, mode d’emploi. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article417

Josse E. (2020). Le coronavirus pour les nuls. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article415

Josse E. (2020). Les enfants face au coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article411

Josse E. (2020). Infodémie : le coronavirus à l’épreuve des fake news et des théories complotistes. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article414

Josse E. (2020). L’épidémie de peur du coronavirus. http://www.resilience-psy.com/spip.php?article408

Bibliographie

Baillargeon N., Charb (2006). Petit cours d’autodéfense intellectuelle. Editions Lux Quebec

Edelman Trust Barometer (2016) En ligne : http://www.edelman.com/2016-edelman- trust-barometer/

Europe 1, Le marché de Crépy-en-Valois évacué à cause du coronavirus : « C’est du n’importe quoi », 01 mars 2020, https://www.europe1.fr/sante/le-marche-de-crepy-en-valois-evacue-a-cause-du-coronavirus-cest-du-nimporte-quoi-3952658

Huchon T. (2015). Attentats : La théorie du complot, Spicee. En ligne : http://www.spicee.com/fr/program/attentats- la-theorie-du-complot-589

Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et l’observatoire Conspiracy Watch (2017). Enquête sur le complotisme. En ligne : https://jean-jaures.org/sites/default/files/redac/commun/productions/2018/0108/115158_-_rapport_02.01.2017.pdf

Le Courrier du soir, Un rabbin juif dérape : « le Coronavirus est une punition divine à cause de l’homosexualité », dit-il, 9 mars 2020, https://lecourrier-du-soir.com/un-rabbin-juif-derape-le-coronavirus-est-une-punition-divine-a-cause-de-lhomosexualite-dit-il/

Le Quotidien, Enquête sur une Église promettant d’«immuniser» contre le coronavirus, 14 mars 2020, https://www.lequotidien.com/actualites/insolite/enquete-sur-une-eglise-promettant-dimmuniser-contre-le-coronavirus-fbe88294e4ef228b27e1e40b7c2a29b2

Le Nouvelliste, Ils pensaient que l’alcool soignait le coronavirus: des dizaines de morts en Iran, 10 mars 2020, https://www.lenouvelliste.ca/actualites/insolite/ils-pensaient-que-lalcool-soignait-le-coronavirus-des-dizaines-de-morts-en-iran-02bc6e5df364de4491bcded69d90f330

Odaxa pour Spicee (2016). 15 ans après : regard des Français sur les attentats du 11 septembre 2001. http://www. odoxa.fr/sondage/15-ans-apres-regard-francais-attentats-11-septembre-2001/

Radio Canada, Vol détourné pour une fausse infection au coronavirus : « Ce n’était pas intelligent », 5 février 2020, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1506794/james-potok-westjet-coronavirus-blague-detournement-toronto-jamaique

Documents joints

Notes et références

  1. Evelyne Josse a travaillé pour Médecins Sans Frontières au Vietnam dans la lutte contre l’épidémie de SRAS (un coronavirus) ainsi qu’en République Démocratique du Congo et en Guinée pour des épidémies Ebola.

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