Le vécu des parents d’un enfant malade du cancer

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  • Post category:Maladies graves
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Par Evelyne Josse, psychologue, psychothérapeute (hypnose, EMDR, EFT), consultante en psychologie humanitaire, http://www.resilience-psy.com
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Diagnostic et hospitalisation

1. L’annonce du diagnostic

Même si elle a été anticipée, l’annonce d’une affection grave touchant un enfant provoque chez ses parents un choc émotionnel important. Leur désarroi est tel que bien souvent ils s’en trouvent intellectuellement inhibés, incapables dans un premier temps d’entendre et de comprendre ce qui leur est dit. Ce n’est que progressivement qu’ils pourront appréhender les différents éléments concernant la pathologie de leur enfant.

Leur détresse est majorée par le fait que les médecins ne peuvent se prononcer d’emblée de façon précise quant au pronostic et aux traitements. Les chances de guérison et l’attitude thérapeutique dépendent en effet de nombreux facteurs spécifiques à la maladie cancéreuse (caractéristiques histologiques, génétiques et moléculaires, ampleur de l’envahissement de l’affection, etc.) dont les résultats ne sont connus qu’après plusieurs jours, voire quelques semaines, pour les techniques les plus sophistiquées telles que l’analyse moléculaire du tissu tumoral. Cependant, l’incertitude quant à l’évolution perdure -de manière plus ou moins vive suivant le cas- son caractère favorable ou péjoratif se précisant en fonction de la réponse aux traitements.

Plus faibles sont les chances de guérison, plus grand sera le nombre de parents à développer une activité fébrile. Par exemple, ils vont consulter d’autres spécialistes dans l’espoir de trouver un démenti sinon du diagnostic du moins de son pronostic. Il ne s’agit pas de nier la maladie elle-même ni sa morbidité mais de rejeter l’idée qu’elle puisse être mortelle.

Avec l’affection grave, c’est l’angoisse de mort qui fait soudain irruption dans les fantasmes des parents : ils craignent de perdre leur enfant, leur raison de vivre, le prolongement d’eux-mêmes après leur disparition. Les projets qu’ils avaient formés, l’ambition et les espoirs qu’ils avaient placés en lui sont anéantis. Aussi, considérer l’avenir, alors qu’ils l’avaient envisagé avec et pour leur enfant devient-il insupportable. Ils ne peuvent plus penser au futur sans voir la mort à l’horizon.

2. La culpabilité des parents

Lorsqu’on leur annonce que leur enfant est gravement malade, les parents tentent généralement de trouver la cause justifiant un tel malheur. Cette recherche étiologique les amène parfois à cibler un facteur extérieur. La faute est alors attribuée à l’environnement (par exemple, la pollution), aux médicaments pris pendant la grossesse, aux irradiations (celles des centrales nucléaires, des antennes G.S.M. ou des téléphones portables, etc.) et aux produits chimiques (présents dans l’air du fait de la proximité d’une usine, ajoutés aux aliments, etc.) auxquels le fœtus ou l’enfant aurait été exposé, à des facteurs génétiques, à l’alimentation, etc.

2.1. Origine de la culpabilité

Le plus souvent néanmoins, c’est leur propre responsabilité que les parents mettent en avant avec le plus d’insistance.
De façon tout à fait normale, ils éprouvent des sentiments ambivalents à l’égard de leur enfant. Si ce dernier vient à tomber malade, ils peuvent penser que leurs sentiments hostiles (colère, reproches, énervement) sont à l’origine du processus morbide. La culpabilité est un signe manifeste de ces fantasmes agressifs inconscients.
D’autre part, les parents peuvent se sentir coupables de n’avoir pas été à la hauteur de leur rôle : protéger leur progéniture contre tout ce qui est mauvais, nuisible, pénible. Ils sont persuadés qu’avec davantage de vigilance et d’attention, ils auraient certainement décelé les symptômes avant-coureurs de la maladie. Les parents, croient-ils, connaissent d’instinct les besoins de leur enfant et repèrent rapidement toutes ses sensations.
Quand bien même ils ont consulté un médecin précocement, ils gardent l’impression d’avoir pris du retard et de n’avoir pas suffisamment insisté pour qu’il soit procédé à tous les examens nécessaires. Ils se jugent fautifs et perdent l’estime d’eux-mêmes ; ils sont des parents indignes, dénaturés.
Ils peuvent également se persuader que l’épreuve qu’ils endurent est une punition méritée pour toutes sortes de pensées honteuses ou de méfaits 1 dont ils se seraient rendus coupables au cours de leur existence.

Pour comprendre la culpabilité des parents, il est essentiel de se référer aux motivations inconscientes à l’œuvre dans la procréation. Tout désir d’enfant se teinte de désirs incestueux inconscients envers le parent du sexe opposé. En concevant un enfant, l’homme et la femme réalisent donc partiellement la satisfaction de ces désirs. La maladie grave de l’enfant peut alors être vécue comme le châtiment infligé pour avoir transgressé l’interdit oedipien.
De plus, les parents sont les témoins impuissants de la peur, de la révolte et de la souffrance de leur enfant malade. Leur sentiment de culpabilité est donc accentué par la nécessité de lui imposer des traitements douloureux et de le soumettre aux diverses obligations médicales.

De son côté, l’enfant tient généralement ses parents pour responsables du malheur qui l’accable. Cette « accusation » du petit malade faisant écho à leurs fantasmes inconscients les plonge le plus souvent dans une grande détresse morale.

Négligents, fautifs, inaptes, mauvais parents donc, ils remettent parfois en question la légitimité de leur statut face à l’enfant.

2.2. Culpabilité et règles éducatives

La culpabilité des parents entrave leurs fonctions d’éducateurs. En effet, ils veulent réparer à n’importe quel prix l’outrage subi par leur enfant. Aussi, beaucoup de parents font-ils l’impossible pour satisfaire les demandes, y compris les plus folles, du petit malade et le laissent agir à sa guise, pour peu que l’ordre médical l’autorise, sans plus imposer leurs propres règles éducatives.

Dès lors, les nombreuses limitations et interdictions deviennent celles imposées par la seule maladie. Les prérogatives parentales : « tu ne peux pas rouler en vélo, jouer sous la pluie ou manger des chips parce que maman ou papa l’interdit » cèdent le pas devant l’état somatique et le pouvoir normatif médical: « ta santé ne le permet pas ».

Cette attitude permissive s’accompagne généralement d’un comportement exagérément protecteur à l’égard du petit malade. Ces prévenances excessives s’exercent dans tous les domaines qu’il s’agisse des activités physiques ou de la vie émotionnelle de l’enfant.

Ainsi, nombre de parents désirent cacher à l’enfant son état pathologique afin de lui épargner la vive inquiétude qu’une telle nouvelle, pensent-ils, engendrerait inévitablement. De même, ils évitent soigneusement de manifester leur tristesse et leurs angoisses en sa présence.

Privé de la possibilité de se mesurer à une autorité parentale normative, entouré d’attentions outrancières, tenu à l’écart d’un savoir qui le concerne, limité par les prescriptions médicales, l’enfant malade se trouve dès lors empêché dans son développement physique, psychique et social.

Cette tolérance extrême à l’égard du petit malade ainsi que l’hyperprotection dont il est l’objet sont non seulement l’indice de l’angoisse qui tenaille ses parents devant le risque de le perdre mais également le révélateur de sentiments agressifs refoulés. En effet, l’enfant malade confronte ses parents à l’impuissance, à la culpabilité, met en échec leur idéal parental et brise les projets que ceux-ci avaient formés pour lui. À travers leur progéniture, les parents investissent narcissiquement une prolongation d’eux-mêmes ainsi qu’un idéal, celui de l’enfant merveilleux capable d’accomplir ce qu’eux-mêmes n’ont pu réaliser. Malade, l’enfant ne permet plus à ses parents de miser sur ces représentations imaginaires. Aussi, victime de sa pathologie, il est également, au niveau fantasmatique, agresseur, cause de la blessure narcissique et de la souffrance de ses parents.

3. Le couple parental

3.1. La mère

Dans la grande majorité des familles, c’est la mère qui interrompt ses activités professionnelles afin de rester au chevet de l’enfant. Rapidement, s’établit entre elle et le petit malade une relation fusionnelle régressive proche du maternage. Cependant, il arrive de plus en plus fréquemment que les pères, longtemps absents des unités hospitalières pédiatriques, prennent maintenant cette place privilégiée auprès de l’enfant. La mère est alors reléguée au second plan et c’est une dyade père – enfant qui s’instaure.
Bien que généralement présente à l’hôpital où elle exerce autant qu’il se peut un rôle actif, la mère souffre d’un sentiment d’échec lié à l’impossibilité de remplir pleinement sa fonction maternelle.

Ainsi, par exemple, son rôle de nourricière est repris par l’institution hospitalière qui prépare les repas ou lui impose une nouvelle façon de cuisiner (menu sans sel, interdiction de consommer certains aliments). De plus, suite aux traitements médicaux, l’enfant peut être en proie à un appétit féroce ou au contraire, refuser toute nourriture, être nauséeux et vomir.

Quant aux soins apportés à l’hygiène corporelle de son enfant ainsi qu’à l’entretien de ses vêtements, l’hôpital les déclare insuffisants et édicte de nouvelles règles (le bain de bouche peut remplacer le brossage quotidien des dents, les vêtements lavés et repassés par la mère doivent parfois être stérilisés).

Du fait des mesures strictes d’asepsie motivée par l’aplasie médullaire 2 (nécessitant parfois le port d’un bonnet, d’un masque, de gants et d’une blouse stérile) et des perfusions (tuyaux, pompe), la mère ne peut prendre son enfant dans les bras, le toucher ou l’embrasser comme elle le désire. Les restrictions et les contraintes imposées dans la manière de prodiguer les soins maternels peuvent considérablement affecter les modalités relationnelles de la mère avec son enfant.

3.2. Le père

L’introduction de l’ordre médical au sein de la famille modifie également la fonction paternelle de façon conséquente. En effet, les rôles de protecteur et d’éducateur qui lui étaient assignés sont symboliquement repris par le médecin. Il n’est plus en droit, par exemple, d’imposer les principes éducatifs qui jusqu’alors réglaient les rapports parents-enfant. Seuls les spécialistes hospitaliers sont habilités à décider de ce que peut et doit faire l’enfant. De même, malgré tout l’amour qu’il porte au petit malade, le père est incapable d’écarter les dangers qui le menacent et se trouve obligé de se fier au savoir médical.

La souffrance peut aussi être accrue du fait que généralement exclu de la dyade mère-enfant, il peut avoir le sentiment de n’avoir qu’un rôle affectif mineur, voire accessoire. En effet, il n’est plus en mesure d’exercer la fonction de père oedipien à savoir être symboliquement le tiers séparateur dans la relation duelle mère-enfant. Sa détresse est souvent accentuée car son épouse, entièrement mobilisée par le petit malade obère tout sentiment amoureux et ne lui prête plus guère attention. Il est d’autant plus désemparé que c’est généralement elle qui répondait aux exigences domestiques quotidiennes à présent négligées. Le repas du soir, moment privilégié de retrouvailles quotidiennes pour toute la famille, est souvent abandonné au profit d’un sandwich mangé rapidement.

Alors qu’il souffre grandement de la situation, les convenances sociales lui imposent d’être fort, courageux, encourageant et réconfortant envers l’enfant et sa conjointe. Sa femme elle-même, inquiète et triste, attend qu’il la rassure, la console, prenne les décisions et endosse toute responsabilité qui incombe au couple. L’équipe médicale elle-même ménage généralement moins le père que la mère et se montre moins prévenante. De plus, il est contraint de continuer à travailler afin de subvenir aux besoins du ménage. La vie sociale ne lui permettant pas d’exprimer librement ses angoisses et son chagrin, il adopte généralement des voies détournées pour manifester sa détresse au travers de somatisations, de problèmes professionnels, d’un virage alcoolique, etc.

4. Parents actifs

Pour continuer à lutter et à vivre malgré l’intense souffrance qui est la leur, les parents tentent un essai de réparation de leur idéal parental en se mobilisant -parfois à l’extrême- pour le petit malade. Se sentir utile et nécessaire, offrir une présence active (en prenant part aux soins, par exemple) est un exutoire, un remède en quelque sorte pour eux-mêmes qui les aide à maîtriser leur sentiment de culpabilité, leur dépression et leur angoisse. Dans ce contexte, il n’est pas rare qu’ils recourent à des médecines parallèles ou qu’ils fassent appel à des guérisseurs. Certains se tournent vers la religion ou le paranormal. En agissant de la sorte, ils se donnent l’impression d’exercer une influence favorable sur le processus pathologique dont est atteint leur enfant. De cette façon, ils se protègent également de la culpabilité qu’engendrerait le fait d’avoir négligé le plus infime recours. En effet, ils veulent être tout à fait certains que, quoi qu’il advienne à leur enfant, ils auront tout tenté même et surtout l’impossible.

5. Le couple conjugal

Lorsque survient la maladie grave, l’économie psychique de toute la famille se trouve profondément ébranlée. Les rôles de chacun, nous l’avons vu, sont notablement modifiés et ce, en fonction de la position centrale nouvellement occupée par le petit malade au sein de la dynamique familiale. Ainsi, la réalité du couple conjugal s’estompe, voire disparaît, au profit du couple parental. Plus que jamais, ce qui compte, c’est être une bonne mère, un bon père : l’enfant malade et la lutte pour sa guérison justifient tous les sacrifices et deviennent la seule raison de vivre.

Dans un tel contexte, il est fréquent que des différends conjugaux antérieurs s’exacerbent de façon dramatique. A contrario, dans de rares cas, la maladie et la mobilisation qu’elle suscite procurent un exutoire aux tensions existant dans le couple. La maladie devient alors garante de l’unité conjugale.
Généralement, les parents ne prennent plus le temps de se parler ou de se retrouver ensembles et se refusent tout plaisir (entre autres, le plaisir sexuel). Ils n’en ont plus l’envie et surtout, ils ne s’en reconnaissent pas le droit. En effet, leur affliction, parce qu’elle est indissociablement liée à leur enfant, les rattache imaginairement à celui-ci. Dès lors, sortir de sa peine et de son angoisse signifie pour eux qu’ils abandonnent leur enfant, qui le laissent seul. Or, l’idée de le quitter ou de l’oublier, ne serait-ce qu’un court instant, représente une trahison soulevant une culpabilité insupportable.
Très souvent, les partenaires, pour se protéger mutuellement d’un surcroît de douleur, évitent tout sujet potentiellement porteur d’anxiété et de chagrin. Cette précaution est cependant inutile car inopérante. Bien plus, elle peut avoir des effets pervers car ce ménagement mutuel, s’il ne peut être dépassé, entraîne progressivement une distanciation, sorte de désunion émotionnelle des conjoints. Pas plus que les époux ne peuvent s’épargner inquiétudes et souffrances ils ne sont à même de s’apporter soutien et consolation. Chacun d’eux ayant à supporter sa propre peine est impuissant à soulager l’autre.

Ceci est d’autant plus vrai que la situation est douloureuse. Alors qu’ils croyaient pouvoir compter sur l’autre « en cas de coup dur », ils font la tragique expérience qu’il n’en est rien. Ils se sentent d’autant plus seuls et désemparés qu’ils constatent, souvent sans le comprendre, que l’autre n’a pas les mêmes réactions émotionnelles face aux malheurs qui les accable. Inconsciemment, chacun supposait que la maladie de l’enfant représentait pour l’autre ce qu’elle est pour lui-même et que celui-ci manifesterait angoisse et chagrin de la même façon que lui. Cependant, c’est rarement le cas et souvent cette incompréhension réciproque devient rapidement source de conflit et de reproches. Ainsi, s’amenuise la possibilité des époux de s’épauler et de dialoguer.

Il peut être utile de rassurer un partenaire sur le fait que l’autre souffre également en dépit d’une émotion discrète (par exemple, le fait qu’il ne pleure pas n’est pas un indice qu’il n’est pas malheureux), maintient ses activités professionnelles, continue à s’adonner à son hobby ou désire poursuivre les relations sexuelles.

Alors qu’au début de la maladie de l’enfant les parents font généralement front ensemble et se serrent les coudes, ils risquent, nous le voyons, de s’isoler de façon graduelle. Les réactions décrites ci-dessus sont d’autant plus fréquentes et aiguës que le pronostic de l’enfant est pessimiste, ses souffrances sévères, les relations du couple difficiles, la personnalité des conjoints fragile, l’entourage peu présent, etc.

Dans les cas extrêmes, cette crise conjugale peut déboucher sur séparation ou le divorce. Le plus souvent, les ruptures interviennent lorsque la tension se relâche, soit que l’enfant est guéri, soit qu’il est décédé.

6. Les parents et l’ordre médical

Lorsqu’un enfant est gravement malade, ses parents se trouvent dans l’obligation de le confier à la médecine « pour le meilleur et pour le pire ».

6.1. Ordre médical et temporalité

L’introduction du médical perturbe considérablement la notion temporelle. Le temps médical est à la fois scandé par l’urgence et par la durée. D’une part, la temporalité s’accélère du fait de la nécessité d’agir au plus vite (par exemple, un traitement est décidé sans délai dès le diagnostic connu, les hospitalisations sont décidées en toute hâte en cas de fièvre ou de tout autre symptôme inquiétant, etc.).

D’autre part, le temps semble suspendu dans l’attente d’un affinement du savoir quant aux traitements et aux chances de guérison de l’affection cancéreuse (plusieurs mois sont parfois nécessaires pour juger de la réponse aux traitements).

Ce ballottement entre la rapidité stressante et les attentes anxieuses est extrêmement éprouvant pour les parents dont le rythme de vie est déjà bouleversé par la maladie de l’enfant.

Dès l’annonce du diagnostic, les consultations et les hospitalisations font partie intégrante de leur quotidien et l’hôpital devient une seconde résidence. Les parents auront en effet à opérer une rapide adaptation face à cette situation nouvelle afin d’assumer le traitement du petit malade tout en continuant à répondre aux impératifs du ménage.

6.2. L’institution hospitalière, séparation et sécurité

Bien que l’institution hospitalière soit un lieu à la fois de séparation et de pouvoir (on « garde » les enfants à l’hôpital), malgré le cortège d’inquiétudes, de tristesse et de douleurs qu’elle charrie, il peut paradoxalement être rassurant de lui confier son enfant. La haute technicité et la qualification du personnel médical peuvent sécuriser les parents en leur donnant la conviction que le petit malade y est à l’abri du danger. Imaginairement donc, l’hôpital peut aussi être un lieu de protection d’où le risque de mort est écarté. De plus, les parents se trouvent ainsi déchargés de la lourde tâche d’être responsables de leur enfant gravement atteint.
Par ailleurs, au cours du temps, l’hôpital devient aussi un lieu important d’interactions sociales. Les parents y tissent des liens avec les membres de l’équipe hospitalière. Ils y viennent si souvent et parfois pour de si longues périodes qu’ils sont « de la famille ». ils connaissent le nom de chaque infirmière, des médecins, des institutrices, des éducateurs, des psychologues, des bénévoles, etc. De plus, des échanges, voire des amitiés, se forment avec d’autres parents. Ils se rendent ensemble à la cafétéria, s’échangent des conseils, parlent de tout et de rien, se donnent des nouvelles de leur petit malade.

6.3. L’équipe hospitalière, alliée et rivale

Avec la maladie, c’est aussi l’introduction de l’équipe hospitalière dans le réseau des relations de la famille. Face au personnel médical dont dépend la vie de leur enfant, ils sont impuissants, n’ayant aucun moyen d’influer sur le cours des événements. Alors que se joue la tragédie la plus cruelle : la guérison ou la mort de celui qu’ils aiment par-dessus tout, ils se trouvent dépossédés de leur fonction de parents. Non seulement le médecin sait sur leur enfant ce qu’eux-mêmes ignorent mais en plus, ils sont incapables de faire ce que fait celui-ci : tenter de le sauver. Cette extrême dépendance à l’égard de la médecine provoque une ambivalence aiguë à l’endroit des spécialistes et du personnel hospitalier et ce, d’autant plus que si ceux-ci soulagent, ils imposent également des traitements douloureux.
L’ambiguïté de ces sentiments est exacerbée par l’enjeu affectif, les parents étant forcés de partager l’affection de leur enfant avec le personnel médical. La mère, en l’occurrence, peut ressentir l’équipe infirmière en majorité féminine comme une rivale. Cependant, s’agissant de la vie ou de la mort de leur enfant, la majorité des parents se soumet aux clauses du contrat médical.

La façon dont les parents vont s’intégrer dans l’univers des soins dépend de leur personnalité et de leur histoire. Ils délèguent une part de leurs responsabilités aux soignants tout en conservant leur place de parents. Le statuts de chacun est déterminé sans confusion ni rivalité. Ils évitent autant que possible les tensions avec le personnel médical car toute mésentente provoque inévitablement angoisse et culpabilité. En effet, ils craignent -du moins inconsciemment- que l’équipe hospitalière excédée par leur indiscipline ou leur mauvaise humeur ne se venge en négligeant les soins alloués à leur enfant. Aussi, leur agressivité s’exprime-t-elle préférentiellement sur des personnes moins décisives quant à la prise en charge médicale (famille élargie, psychologue, stagiaire médecin ou infirmier, etc.).

Cependant, certains peuvent tenter de rivaliser sur le territoire des soignants, soucieux de montrer que l’enfant leur appartient et qu’ils connaissent plus sur lui et sur ce qui lui convient le mieux que n’importe qui. Cela peut aller jusqu’à la contestation de l’équipe hospitalière et des choix médicaux. Ce comportement revendicateur est une tentative d’élaboration des relations avec leur enfant alors que s’interpose une autorité, une puissance à laquelle ils ne peuvent s’identifier.

D’autres parents ayant perdu confiance en eux-mêmes, cherchent à intégrer le camp des spécialistes, adoptant leur façon de voir et de penser. Les médecins et les infirmiers risquent alors de devenir rapidement des modèles d’identification, vécus tantôt comme complices, tantôt comme rivaux.
D’autres parents encore, plus fragiles, ne se sentent plus le droit ou n’osent plus assumer leur autorité parentale. Sous le couvert d’une totale confiance, ils se déchargent de leurs responsabilités sur l’équipe hospitalière.

Symboliquement, ils assignent à ces dernières leur fonction protectrice et éducative. Dès lors, seuls les professionnels sont habilités à décider de ce que peut et doit faire l’enfant. Plus qu’une référence à laquelle s’identifier, c’est une image protectrice qui est recherchée auprès des soignants.

7. Les parents et la fratrie

Il reste important pour les parents de continuer à exercer leurs fonctions de père et de mère auprès des frères et sœurs du petit malade. Or, par manque de disponibilité, ils négligent trop souvent ces derniers. Cette situation les attriste et les culpabilise d’autant plus qu’ils se sentent responsables de la souffrance ressentie par la fratrie. Ces sentiments sont par ailleurs renforcés par l’indifférence, les attitudes de rejet ou l’agressivité manifestées par celle-ci à leur égard.

Néanmoins, les parents, pour pouvoir se rendre au chevet du petit malade hospitalisé, sont dans l’obligation de confier leurs enfants en bonne santé à des personnes de leur entourage. C’est principalement aux grands-parents que revient cette responsabilité. Ceux-ci sont ainsi amenés à descendre d’un cran sur l’axe générationnel en reprenant une fonction de parents vis-à-vis de leurs petits-enfants. Les frères et sœurs des parents ainsi que des amis proches peuvent également participer à la prise en charge. Alors qu’ils souffrent déjà d’un sentiment d’échec dans leur rôle de parents à l’égard de l’enfant malade, ils se trouvent contraints par les circonstances d’abandonner leurs prérogatives parentales vis-à-vis de leurs autres enfants au profit de tiers.

8. La famille et l’entourage social

L’épreuve de la maladie réclame des parents force, courage et patience. Or, le plus souvent, leurs possibilités de se ressourcer se restreignent considérablement. En effet, leurs contacts sociaux et leurs loisirs se réduisent de façon drastique. D’une part, ils n’ont plus ni le temps ni la disponibilité d’esprit pour entretenir des contacts avec l’extérieur. D’autre part, l’entourage a tendance à éviter l’enfant malade et sa famille. Car si les grands malheurs suscitent un vif intérêt, voire une curiosité malsaine, un rapprochement trop direct provoque immanquablement un sentiment de malaise et réveille des fantasmes inconscients. Devant une famille en souffrance, l’entourage social ne sait plus comment réagir, que dire ou que faire et craint fantasmatiquement d’être contaminé par la peine, la tristesse et le désarroi de celle-ci.


Le retour au domicile


1. Comment les parents gèrent-ils le retour au domicile?

À l’urgence médicale de l’entrée à l’hôpital ne doit pas répondre l’urgence subjective de la sortie. La sortie doit se préparer.

Pour bon nombre de parents, le retour à son domicile de l’enfant malade apporte un grand réconfort moral. En effet, il leur permet de s’investir davantage auprès du petit malade.

Néanmoins, le retour au foyer du petit patient en traitement pose des difficultés et les écueils sont nombreux. Les risques de dérive ne sont donc pas à négliger.

Pour les parents revendicateurs, le traitement à domicile de l’enfant peut offrir la possibilité d’affirmer dangereusement leur statut parental. Ayant plus de latitude d’action qu’à l’hôpital du fait de l’absence ou du temps de présence réduit des soignants, ils peuvent chercher à avoir le dernier mot.
Pour les parents fragilisés, doutant de leur compétence parentale, le retour au foyer du petit patient en traitement peut constituer une source importante d’angoisse, l’hôpital étant considéré comme le seul endroit où l’enfant est à l’abri du danger. Prendre soin de son enfant à la maison nécessite donc que les parents se déprennent de l’image idéale et toute-puissante qu’ils se font de l’équipe médicale.

Le retour à domicile doit aussi être envisagé dans un contexte d’éventuelles ruptures affectives : rupture des relations tissées avec le personnel hospitalier et avec les parents des autres petits patients, toutes personnes capables de comprendre leur douloureux calvaire.

2. Parents d’enfant malade : réapprendre à être parent

Rappelons que lorsque les parents confient leur enfant à l’hôpital, leur autorité parentale est, du moins en partie, transférée aux soignants.
Inversement, lorsque l’enfant regagne son foyer entre les différentes phases du traitement, les parents sont mandatés d’une certaine autorité médicale. L’équipe hospitalière leur demande d’être attentifs à l’état somatique du petit malade et de mesurer l’importance des divers signes cliniques (par exemple, une hausse de température, une modification des selles, l’apparition d’un rash cutanée, etc.). À l’évidence, cette responsabilité s’accroît lorsqu’un traitement se poursuit au domicile.

Mais s’ils octroient une part de leur pouvoir médical, les professionnels n’en mettent pas moins les parents sous tutelle. En effet, les soignants « éduquent » les parents à être parent d’un enfant malade en leur assignant des contraintes de type parental. Ainsi, par exemple, les parents sont astreints par l’équipe hospitalière à certaines règles domestiques et ménagères notamment en ce qui concerne l’hygiène ou la préparation des repas.

Parmi d’autres écueils, on distingue principalement deux attitudes extrêmes, celle du type « parents-infirmier » d’une part et de « parents-élève » d’autre part.

Les « parents-infirmiers » sont ceux qui surinvestissent leur fonction soignante. Ils veulent apprendre à faire tous les gestes de nursing et assumer la totalité des soins que nécessite l’enfant. Les mères sont principalement concernées par ce risque de pervertissement de leur rôle car généralement, ce sont elles qui restent auprès de l’enfant. Ainsi, elles peuvent se sentir revalorisées par ces nouvelles obligations médicales mais ces actes techniques déforment considérablement le statut des soins maternels.

Les mères, outillées et techniciennes, médiatisent leurs relations avec l’enfant par du matériel médical. Du reste, il semble difficile qu’elles puissent dialectiser une attitude empathique, chaleureuse, apaisante et l’inexorabilité, l’inflexibilité, l’agressivité des actes techniques qui, à l’inverse, réclament d’elle un retrait d’identification. Par ailleurs, si la mère pratique elle-même les soins infirmiers, l’enfant peut vivre péniblement cette complicité écrasante des parents avec les soignants, complicité dont il se sent exclu et qui lui semble se faire contre lui. Donc, pour être « plus » mère, il faut que la mère évite de se surcharger d’actes techniques. Si elle pratique les soins courants, il est essentiel que les actes de nursing soient exécutés par les professionnels.

Les « parents-élèves », quant à eux, tentent d’appliquer à la lettre les prescriptions des soignants sans jamais prendre d’initiatives personnelles. Ils peuvent manifester des réactions d’angoisse à l’idée de ne pas bien faire, de ne pas faire aussi bien ou de ne pas être aussi vigilants que le personnel hospitalier. Souvent, ils redoutent de sous-estimer des manifestations somatiques, ce qui les amène à surveiller constamment leur enfant et à s’alarmer au moindre bobo. Leur comportement « bon élève » et leur souci d’efficacité peut tourner à l’obsessionnalité. Certains parents, particulièrement anxieux, risquent de contacter l’équipe hospitalière à tout propos. Leurs questions peuvent dépasser largement le savoir médical pour interroger un savoir plus élargi -celui des parents -qu’ils prêtent aux soignants et ne s’autorisent plus : « À quelle heure coucher l’enfant ? Peut-il consommer tel ou tel aliment ? Comment faut-il réagir lorsqu’il désobéit ? »
Pour ces parents, la parole du médecin est objective et dit la vérité de la situation médicale mais c’est aussi une parole subjective qui s’engage par rapport à l’enfant et à sa famille.

D’autres dérapages attendent les parents au tournant du retour à domicile de l’enfant malade en traitement. Ainsi, se sentant investis par l’hôpital d’une mission, ils peuvent adopter une attitude rigide à l’égard de leur enfant afin de faire respecter les prescriptions médicales. Néanmoins, il peut, à la longue, être épuisant de résister aux protestations de l’enfant devant les divers aspects de son traitement médical. La tentation peut être grande, pour les parents, d’abandonner une thérapeutique rigoureuse afin de ne pas devoir lutter avec lui tout le temps. Leur culpabilité envers le petit malade et les souffrances qu’il endure vient elle aussi, nous l’avons vu, renforcer la tendance au laxisme et à la permissivité.

3. Les soins à domicile

Lorsqu’un traitement nécessitant l’exécution d’actes techniques se poursuit au domicile, le retour implique alors des interactions avec de nouveaux soignants. Les parents et l’enfant peuvent éprouver des difficultés devant la nécessité d’accepter l’intrusion d’une personne supplémentaire au sein de la dynamique familiale et de placer, une fois encore, leur confiance dans des professionnels de la santé.

Les parents peuvent craindre comme une menace d’ainsi exposer au regard d’un étranger une partie cachée de leur vie. Mais en même temps, ils ont besoin de cet équilibre difficile à trouver entre l’intimité qu’ils désirent partager avec leur enfant et la reconnaissance que d’autres peuvent s’intégrer dans cet espace, sans forçage et sans confusion de rôle.

Les soignants à domicile doivent pouvoir reconnaître cette double exigence et y répondre faute de quoi ils gênent le partage possible entre parents et enfants ou, au contraire, ils les enferment dans une solitude qu’ils n’ont pas désirée.

Les soignants chargés de répondre aux besoins du petit patient à domicile doivent clarifier leur rôle : s’ils apportent leur aide, ils n’en reconnaissent pas moins aux parents leur rôle irremplaçable et leur capacité à s’occuper de leur enfant.


Pour ne pas conclure mais pour terminer


La souffrance des parents d’enfants gravement malades est multiforme et nul n’est en mesure d’y remédier de façon radicale. Cependant, le personnel médical, infirmier et paramédical peut, par une meilleure compréhension de ces difficultés, jouer un rôle important pour humaniser la prise en charge de ces familles.

La culpabilité des parents et la façon dont l’expérience de la maladie de leur enfant organise la représentation de soi, leurs angoisses, leurs fantasmes et leurs stratégies psychiques pour lutter contre le découragement réclament d’être entendus. En prenant le temps de les écouter, de leur parler, de les informer, en leur permettant dans certaines conditions d’être actifs au chevet de leur enfant, en leur interprétant le comportement de celui-ci, on aide ces parents à aider leur petit malade tout en les respectant en tant que sujet. Il est nécessaire de soutenir les parents à prendre soin de leur enfant dans ce constant et difficile exercice de souplesse sans faiblesse et de rigueur sans rigidité.

Articles de la série :
– Le vécu de l’enfant atteint d’une maladie cancéreuse – Diagnostic et première hospitalisation
– Le vécu des parents d’un enfant malade du cancer

Site de l’auteur :

http://www.resilience-psy.com


Notes :

Documents joints

Notes et références

  1. Par exemple, certaines femmes ayant avorté peuvent vivre le cancer de leur enfant comme un châtiment : « Tu n’as pas voulu de cet enfant qui t’était destiné et tu l’as tué, tu ne garderas pas celui que tu as voulu ».
  2. L’aplasie médullaire est une complication très fréquemment observée chez le patient atteint de cancer, qu’elle soit due au traitement (chimiothérapie, radiothérapie)ou qu’elle soit liée à l’infiltration néoplasique de la moelle osseuse. Elle se manifeste par des anomalies de l’hémogramme : leucopénie, thrombopénie, anémie. Une leucopénie est une baisse du nombre de leucocytes (c’est-à-dire de globules blancs)dans le sang. Elle prédispose aux complications infectieuses.