C’est une guerre contre les enfants. Toutes les guerres le sont…

Aujourd’hui, la guerre en Syrie, hier en Yougoslavie. Entre les deux, l’Afghanistan, l’Irak, la République Démocratique du Congo et tant d’autres…

Toutes les guerres sont différentes et toutes se ressemblent.

Nous sommes en 1992, en Croatie. La folie des hommes s’est emparée de la Yougoslavie.

« On tirait. Je ne les voyais pas mais j’entendais des coups de feu. Une nuit, je me suis réveillée ; ils avaient fait exploser notre voiture. Nous avons rassemblé des choses et nous avons laissé tout le reste. Nous sommes partis. Ma grand-mère pleurait ».
C’est ainsi qu’Ivana, une fillette de six ans, nous raconte comment elle, son frère cadet et ses parents ont dû fuir leur village de Knin 1. et abandonner leur maison en n’emportant que quelques effets sauvés à la hâte. Ils ont dû fuir parce qu’un peuple voisin, issu d’une même nation, est devenu leur ennemi. Ils ont fui la haine, la violence, le feu.

Ivana ajoute : « Là sont restés mes cousins ».

Elle n’en dira pas davantage sur cette tragédie inexplicable, le massacre de deux petits enfants. Parfois, elle interroge sa mère : « Pourquoi ils les ont tués ? ». Question à jamais sans réponse car pas plus que les enfants, les adultes ne comprennent cette guerre. Les enfants sont victimes d’un conflit dont ils ne sont pas responsables. C’est une guerre contre les enfants. Toutes les guerres le sont.

Ivana poursuit, retraçant le long exode qui devait la conduire jusqu’au camp de déplacés de Špansko situé dans la banlieue de Zagreb, la capitale croate : « On est arrivé chez une dame et puis chez une autre et puis quelque part à la mer et puis on est arrivé ici en bus. Je suis arrivée avec mon père, ma mère et mon frère mais nous sommes arrivés les premiers et après mon grand-père est arrivé. Ma grand-mère est arrivée la dernière ». C’est dans des baraquements destinés avant guerre à l’hébergement des ouvriers de chantiers de construction qu’elle et sa famille trouvent refuge. Ils sont alors quelques 750 déplacés à y vivre depuis près de deux ans, menant une existence précaire faite de promiscuité, d’inconfort et d’hygiène minimale, à quatre ou cinq dans de petites pièces de dix mètres carrés.

« Partage », une association humanitaire française, a engagé un travail auprès des enfants et de leurs proches dans le but de prévenir et de traiter les troubles psychotraumatiques liés à la guerre. Un groupe thérapeutique a été mis sur pied pour aider ces enfants à reconstruire la trame de leur vie brisée en leur permettant d’évoquer la guerre par le biais d’activités créatives.

Ivana a participé à ce groupe dès sa création. Au début, petite fille triste, isolée, inhibée, elle refusait d’évoquer le passé ; tout comme ce petit garçon de cinq ans qui répondait par un étrange sourire lorsqu’on l’interrogeait sur le drame dont il avait été le témoin.
Petit à petit, Ivana s’est autorisée à se remémorer son histoire et ses souffrances. Lorsqu’elle évoque son traumatisme pour la première fois, c’est au travers d’un dessin représentant deux enfants, ses cousins assassinés dont elle précisera : « Ils sont brûlés et sans os ».

Le traitement thérapeutique fût long et difficile mais Ivana a finalement retrouvé le sourire.

Qu’est-elle devenue aujourd’hui ?

Que deviendront tous ces enfants victimes des guerres d’aujourd’hui ?

Références bibliographiques

– Josse E. (2014), Le traumatisme psychique chez l’adulte, De Boeck Université, coll. Ouvertures Psychologiques.
– Josse E. (2011), Le traumatisme psychique des nourrissons, des enfants et des adolescents, De Boeck Université, Coll. Le point sur, Bruxelles
– Josse E., Dubois V. (2009), Interventions humanitaires en santé mentale dans les violences de masse, De Boeck Université, Bruxelles.
– Josse E. (2007), Le pouvoir des histoires thérapeutiques. L’hypnose éricksonienne dans la guérison du traumatisme psychique, La Méridienne-Desclée De Brouwer Editeurs, Paris

Documents joints

Notes et références

  1. Au nord ouest de la Croatie, dans l’arrière pays Dalmate. La rébellion des Serbes de cette région, amorcée à l’automne 1990, s’est transformée peu à peu en vraie guerre

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